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Anthologie

Les Orientales dans le texte

Cri de guerre du Mufti
 

Victor Hugo, Les Orientales, 1829.
Texte intégral : Paris, J. Hetzel et A. Quantin, 1880-1926.
Les Orientales, VI
Othman, qui apparaît dans la dernière strophe de ce poème, est le fondateur de la dynastie ottomane. L’enjeu de cette guerre sainte est Athènes.
 

Hierro, despierta te !
Cri de guerre des Almogavares.
Fer, réveille-toi !

 

En guerre les guerriers ! Mahomet ! Mahomet !
Les chiens mordent les pieds du lion qui dormait,
Ils relèvent leur tête infâme.
Écrasez, ô croyants du prophète divin,
Ces chancelants soldats qui s’enivrent de vin,
Ces hommes qui n’ont qu’une femme !
 
Meure la race franque et ses rois détestés !
Spahis, timariots, allez, courez, jetez
À travers les sombres mêlées
Vos sabres, vos turbans, le bruit de votre cor,
Vos tranchants étriers, larges triangles d’or,
Vos cavales échevelées !
 
Qu’Othman, fils d’Ortogrul, vive en chacun de vous.
Que l’un ait son regard et l’autre son courroux.
Allez, allez, ô capitaines !
Et nous te reprendrons, ville aux dômes d’azur,
Molle Setiniah, qu’en leur langage impur
Les barbares nomment Athènes !
 
21 octobre 1828.

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Chanson de pirates
 

Victor Hugo, Les Orientales, 1829.
Texte intégral : Paris, J. Hetzel et A. Quantin, 1880-1926.
Les Orientales, VIII
Cette chanson avec refrain est l’une des premières jamais écrites par Victor Hugo. Elle a été souvent mise en musique, notamment par Nougaro.


 

Alerte ! alerte ! voici les pirates d’Ochali qui traversent le détroit.
Le Captif d’Ochali.

 
Nous emmenions en esclavage
Cent chrétiens, pêcheurs de corail ;
Nous recrutions pour le sérail
Dans tous les moutiers du rivage.
En mer, les hardis écumeurs !
Nous allions de Fez à Catane…
Dans la galère capitane
Nous étions quatrevingts rameurs.
 
On signale un couvent à terre.
Nous jetons l’ancre près du bord.
À nos yeux s’offre tout d’abord
Une fille du monastère.
Près des flots, sourde à leurs rumeurs,
Elle dormait sous un platane…
Dans la galère capitane
Nous étions quatrevingts rameurs.
 
– La belle fille, il faut vous taire,
II faut nous suivre. Il fait bon vent.
Ce n’est que changer de couvent,
Le harem vaut le monastère.
Sa hautesse aime les primeurs,
Nous vous ferons mahométane…
Dans la galère capitane
Nous étions quatrevingts rameurs.
 
Elle veut fuir vers sa chapelle.
– Osez-vous bien, fils de Satan ?...
– Nous osons ! dit le capitan.
Elle pleure, supplie, appelle.
Malgré sa plainte et ses clameurs,
On l’emporta dans la tartane...
Dans la galère capitane
Nous étions quatrevingts rameurs.
 
Plus belle encor dans sa tristesse,
Ses yeux étaient deux talismans.
Elle valait mille tomans ;
On la vendit à sa hautesse.
Elle eut beau dire : Je me meurs !
De nonne elle devint sultane…
Dans la galère capitane
Nous étions quatrevingts rameurs.
 
12 mars 1828.
 
 

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Clair de lune
 

Victor Hugo, Les Orientales, 1829.
Texte intégral : Paris, J. Hetzel et A. Quantin, 1880-1926.
Les Orientales, X
Pour écrire ce poème assez peu virgilien malgré « le silence ami de la lune », Victor Hugo s’est sans doute inspiré d’un passage du Giaour de Byron, où la femme infidèle de Hassan est jetée à la mer enfermée dans un sac.

Per amica silentia lunœ.
Virgile.

La lune était sereine et jouait sur les flots. –
La fenêtre enfin libre est ouverte à la brise,
La sultane regarde, et la mer qui se brise,
Là-bas, d’un flot d’argent brode les noirs îlots.
 
De ses doigts en vibrant s’échappe la guitare.
Elle écoute … Un bruit sourd frappe les sourds échos.
Est-ce un lourd vaisseau turc qui vient des eaux de Cos,
Battant l’archipel grec de sa rame tartare ?
 
Sont-ce des cormorans qui plongent tour à tour,
Et coupent l’eau, qui roule en perles sur leur aile ?
Est-ce un djinn qui là-haut siffle d’une voix grêle,
Et jette dans la mer les créneaux de la tour ?
 
Qui trouble ainsi les flots près du sérail des femmes ? –
Ni le noir cormoran, sur la vague bercé,
Ni les pierres du mur, ni le bruit cadencé
D’un lourd vaisseau, rampant sur l’onde avec des rames.
 
Ce sont des sacs pesants, d’où partent des sanglots.
On verrait, en sondant la mer qui les promène,
Se mouvoir dans leurs flancs comme une forme humaine. –
La lune était sereine et jouait sur les flots.
 
20 septembre 1828

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Le Voile
 

 Victor Hugo, Les Orientales, 1829.
Texte intégral : Paris, J. Hetzel et A. Quantin, 1880-1926.
Les Orientales, XI
Ce poème dialogué avait pour premier titre envisagé « Les Quatre Frères ». Sa pointe finale est un chef-d’œuvre d’humour noir.
 


Avez-vous prié Dieu ce soir, Desdémona ?
SHAKESPEARE.

 
LA SŒUR
Qu’avez-vous, qu’avez-vous, mes frères ?
Vous baissez des fronts soucieux.
Comme des lampes funéraires,
Vos regards brillent dans vos yeux.
Vos ceintures sont déchirées.
Déjà trois fois, hors de l’étui,
Sous vos doigts, à demi tirées,
Les lames des poignards ont lui.
 
LE FRÈRE AÎNÉ
N’avez-vous pas levé votre voile aujourd’hui ?
 
LA SŒUR
Je revenais du bain, mes frères,
Seigneurs, du bain je revenais,
Cachée aux regards téméraires
Des Giaours et des Albanais.
En passant près de la mosquée
Dans mon palanquin recouvert,
L’air de midi m’a suffoquée.
Mon voile un instant s’est ouvert.
 
LE SECOND FRÈRE
Un homme alors passait ? un homme en caftan vert ?
 
LA SŒUR
Oui... peut-être... mais son audace
N’a point vu mes traits dévoilés...
Mais vous vous parlez à voix basse,
À voix basse vous vous parlez.
Vous faut-il du sang ? Sur votre âme,
Mes frères, il n’a pu me voir.
Grâce ! tuerez-vous une femme,
Faible et nue en votre pouvoir ?
 
LE TROISIÈME FRÈRE
Le soleil était rouge à son coucher ce soir !
 
LA SŒUR
Grâce ! qu’ai-je fait ? Grâce ! grâce !
Dieu ! quatre poignards dans mon flanc !
Ah ! par vos genoux que j’embrasse...
Ô mon voile ! ô mon voile blanc !
Ne fuyez pas mes mains qui saignent,
Mes frères, soutenez mes pas !
Car sur mes regards qui s’éteignent
S’étend un voile de trépas.
 
LE QUATRIÈME FRÈRE
C’en est un que du moins tu ne lèveras pas !
 
1er septembre 1828.

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 L’Enfant
 

Victor Hugo, Les Orientales, 1829.
Texte intégral : Paris, J. Hetzel et A. Quantin, 1880-1926.
Les Orientales, XVIII
 
« L’Enfant » est l’un des poèmes les plus célèbres des Orientales ; il a peut-être même dépassé en notoriété le tableau de Delacroix peint sur le même sujet, pour devenir le symbole même de la guerre de libération grecque contre l’oppression turque.

 

O horror ! horror ! horror !
SHAKESPEARE. Macbeth.

 
Les Turcs ont passé là. Tout est ruine et deuil.
Chio, l’île des vins, n’est plus qu’un sombre écueil,
Chio, qu’ombrageaient les charmilles,
Chio, qui dans les flots reflétait ses grands bois,
Ses coteaux, ses palais, et le soir quelquefois
Un chœur dansant de jeunes filles.
 
Tout est désert. Mais non ; seul près des murs noircis,
Un enfant aux yeux bleus, un enfant grec, assis,
Courbait sa tête humiliée.
Il avait pour asile, il avait pour appui
Une blanche aubépine, une fleur, comme lui
Dans le grand ravage oubliée.
 
Ah ! pauvre enfant, pieds nus sur les rocs anguleux !
Hélas ! pour essuyer les pleurs de tes yeux bleus
Comme le ciel et comme l’onde,
Pour que dans leur azur, de larmes orageux,
Passe le vif éclair de la joie et des jeux,
Pour relever ta tête blonde,
 
Que veux-tu ? Bel enfant, que te faut-il donner
Pour rattacher gaîment et gaîment ramener
En boucles sur ta blanche épaule
Ces cheveux, qui du fer n’ont pas subi l’affront,
Et qui pleurent épars autour de ton beau front,
Comme les feuilles sur le saule ?
 
Qui pourrait dissiper tes chagrins nébuleux ?
Est-ce d’avoir ce lys, bleu comme tes yeux bleus,
Qui d’Iran borde le puits sombre ?
Ou le fruit du tuba, de cet arbre si grand,
Qu’un cheval au galop met, toujours en courant,
Cent ans à sortir de son ombre ?
 
Veux-tu, pour me sourire, un bel oiseau des bois,
Qui chante avec un chant plus doux que le hautbois,
Plus éclatant que les cymbales ?
Que veux-tu ? fleur, beau fruit ou l’oiseau merveilleux ?
– Ami, dit l’enfant grec, dit l’enfant aux yeux bleus,
Je veux de la poudre et des balles.
 
8-10 juin 1828.

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Sultan Achmet
 

Victor Hugo, Les Orientales, 1829.
Texte intégral : Paris, J. Hetzel et A. Quantin, 1880-1926.
Les Orientales, XXIX
Ce sultan amoureux d’une chrétienne rappelle le Maure amoureux de Blanca dans Les Aventures du dernier Abencerage (tribu arabe du royaume de Grenade) de Chateaubriand (1821). Mais leur dialogue en vers impairs est nettement plus tonique et joyeux.

 

Oh ! permets, charmante fille, que j’enveloppe mon cou avec tes bras.
HAFIZ.

 
À Juana la Grenadine,
Qui toujours chante et badine,
Sultan Achmet dit un jour :
– Je donnerais sans retour
Mon royaume pour Médine,
Médine pour ton amour.
 
– Fais-toi chrétien, roi sublime !
Car il est illégitime,
Le plaisir qu’on a cherché
Aux bras d’un Turc débauché.
J’aurais peur de faire un crime.
C’est bien assez du péché.
 
– Par ces perles dont la chaîne
Rehausse, ô ma souveraine,
Ton cou blanc comme le lait,
Je ferai ce qui te plaît,
Si tu veux bien que je prenne
Ton collier pour chapelet.
 
20 octobre 1828.

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Rêverie

Victor Hugo, Les Orientales, 1829.
Texte intégral : Paris, J. Hetzel et A. Quantin, 1880-1926.
Les Orientales, XXXVI
Avec cette rêverie dont l’épigraphe sort de L’Enfer (« Le jour s’en allait et l’air assombri soulageait de leurs peines les âmes qui sont sur terre ») s’amorce la fin du voyage oriental et le retour nostalgique au Paris contemporain.

 

La giorno se n’andava, e l’aer bruno
Toglieva gli animai che sono ‘n terra,
 Dalle fatiche loro.
DANTE

 
Oh ! laissez-moi ! c’est l’heure où l’horizon qui fume
Cache un front inégal sous un cercle de brume,
L’heure où l’astre géant rougit et disparaît.
Le grand bois jaunissant dore seul la colline.
On dirait qu’en ces jours où l’automne décline,
Le soleil et la pluie ont rouillé la forêt.
 
Oh ! qui fera surgir soudain, qui fera naître,
Là-bas, – tandis que seul je rêve à la fenêtre
Et que l’ombre s’amasse au fond du corridor, –
Quelque ville mauresque, éclatante, inouïe,
Qui, comme la fusée en gerbe épanouie,
Déchire ce brouillard avec ses flèches d’or !
 
Qu’elle vienne inspirer, ranimer, ô génies,
Mes chansons, comme un ciel d’automne rembrunies,
Et jeter dans mes yeux son magique reflet,
Et longtemps, s’éteignant en rumeurs étouffées,
Avec les mille tours de ses palais de fées,
Brumeuse, denteler l’horizon violet !
 
5 septembre 1828.

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Extase
 

Victor Hugo, Les Orientales, 1829.
Texte intégral : Paris, J. Hetzel et A. Quantin, 1880-1926.
Les Orientales, XXXVII
Les poèmes courts sont plus fréquents qu’on ne le croit dans l’œuvre de Victor Hugo. Cette « Extase » en est un bel exemple vers la fin des Orientales ; elle annonce à la fois « La Pente de la rêverie » des Feuilles d’automne, les « Nuits de juin » des Rayons et les ombres et « Stella » de Châtiments.
 

Et j’entendis une grande voix.
Apocalypse.

 
J’étais seul près des flots, par une nuit d’étoiles.
Pas un nuage aux cieux, sur les mers pas de voiles.
Mes yeux plongeaient plus loin que le monde réel.
Et les bois, et les monts, et toute la nature,
Semblaient interroger dans un confus murmure
Les flots des mers, les feux du ciel.
 
Et les étoiles d’or, légions infinies,
À voix haute, à voix basse, avec mille harmonies,
Disaient, en inclinant leurs couronnes de feu ;
Et les flots bleus, que rien ne gouverne et n’arrête,
Disaient, en recourbant l’écume de leur crête :
– C’est le Seigneur, le Seigneur Dieu !
 
25 novembre 1828.

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