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Henri-Gabriel Ibels (1867-1936), à l’époque nabie

Le Nabi journaliste
À bas le progrès !
À bas le progrès !

Bibliothèque nationale de France  
 

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« Ibels ne manquait ni d’esprit ni de verve, ni d’esprit d’observation ni d’esprit tout court ». C’est en ces termes que Thadée Natanson qualifie, dans ses souvenirs parus en 1948, Henri-Gabriel Ibels, artiste à présent oublié, alors qu’il est l’un des membres fondateurs du groupe des Nabis et qu’à la fin du 19e siècle, ses nombreuses contributions à des publications très diverses lui valent une grande notoriété.

Henri-Gabriel Ibels
Henri-Gabriel Ibels |

Bibliothèque nationale de France

Ibels est né à Paris en 1867, dans une famille aisée. Entre 1886 et 1887, il fréquente l’École des arts décoratifs où il côtoie Armand Séguin. Parallèlement, il suit les cours de l’Académie Julian où il se lie d’amitié avec Pierre Bonnard, Paul-Elie Ranson, Maurice Denis, et Paul Sérusier. Ces artistes partagent une admiration commune pour Gauguin et forment le groupe des Nabis. Charles Saunier relate cette période dans La Plume en 1893 : « Le petit groupe quitta bientôt la Maison Julian, décidé à chercher lui-même la vérité. En des réunions naissaient des théories neuves, se discutaient les tentatives de chacun. Les primitifs étaient glorifiés, les Japonais admirés, dont les synthèses de lignes, les harmonies colorées enthousiasmaient ces fiévreux chercheurs. »

Catalogue d’une exposition de groupe chez Le Barc de Boutteville
Catalogue d’une exposition de groupe chez Le Barc de Boutteville |

Bibliothèque nationale de France

En 1891, Ibels participe à la première exposition des peintres impressionnistes et symbolistes à la galerie Le Barc de Bouteville qui réunit des œuvres de Nabis et de Toulouse-Lautrec. Il prendra part à toutes les autres expositions du groupe dans ce lieu jusqu’en 1896. Une exposition personnelle lui est consacrée au théâtre de La Bodinière en 1894.

Ibels se fait surtout connaitre par son œuvre imprimé qu’il s’agisse de dessins de presse, d’affiches, de programmes de théâtre, d’illustrations pour des livres, de couvertures de partitions de chansons. Il met ainsi en pratique l’idée d’un art intégré à la vie quotidienne. Il essaye toutes les techniques d’impression, mais pratique surtout la lithographie en couleurs qui permet une large diffusion et est susceptible de plaire à un public de non-initiés. Il n’hésite pas également à recourir aux procédés photomécaniques. Parallèlement, ses images imprimées sont diffusées en tirage limité, sans texte, avec de grandes marges, dans le circuit artistique.

Ibels devient un fidèle collaborateur d’André Antoine qui a contribué à révolutionner le théâtre en fondant le Théâtre Libre en 1887. Il orne ainsi les programmes des huit spectacles de la saison 1892-1893, de lithographies aux couleurs vives qui n’ont, bien souvent, pas de rapport avec les pièces.

En 1892, André Marty le sollicite avec Toulouse-Lautrec pour illustrer Le Café-concert de Georges Montorgueuil, chacun des artistes livrant onze lithographies. Ibels qui est alors le plus connu des deux, fournit la couverture de l’ouvrage.

Album café-concert
Album café-concert |

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Au cirque
Au cirque |

Bibliothèque nationale de France

André Marty fait également appel à lui pour participer au premier fascicule de L’Estampe originale paru en 1893, dans lequel il publie une lithographie en couleurs, Le Cirque. Ce thème, fréquemment abordé par les artistes de cette époque, est particulièrement prisé d’Ibels qui est un habitué du cirque Fernando comme le relate Thadée Natanson : « H. G Ibels passait beaucoup de temps au cirque ou y entrait souvent pour une heure. Il y a trouvé le point de départ de nombre de ses dessins ou de ses tableaux et il atteint, dans des profils de paillasses et de chevaux de voltige ou de gymnastes, à un style. Or, il aimait l’endroit pour lui-même ainsi qu’il en aimait les odeurs de piste ou d’écurie et n’y cherchait jamais l’extraordinaire comme un autre qui serait venu exprès. Il goûtait le cirque le plus quotidien, à la façon d’un habitué. »

Jules Mevisto déguisé en Pierrot
Jules Mevisto déguisé en Pierrot |

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Ami de Toulouse-Lautrec, Ibels partage avec lui l’attrait pour le café-concert et crée également des affiches de spectacle. Avec Steinlen et Willette, il se spécialise dans l’illustration de partitions de chansons de cabaret qui dénoncent souvent les injustices de l’époque. À la mise en image littérale des thèmes des chansons, il préfère représenter les interprètes, dont Jules Mevisto déguisé en Pierrot.

Bien que faisant partie du groupe des Nabis, Ibels s’en démarque par le choix de ses sujets : il s’attache en effet à la représentation des différents types sociaux : paysans, ouvriers, militaires, vagabonds, avec une prédilection pour les « demi-cabots », c’est-à-dire les artistes de café-concert et de cirque. Il est également un fin observateur des milieux populaires qu’il représente de manière réaliste, sans chercher à les enjoliver. René Druart écrit à son sujet dans son dictionnaire des illustrateurs :

Peu d’artistes ont cherché aussi peu à plaire, mais c’est par l’analyse et à la réflexion qu’on apprécie ses qualités.

René Druart, Dictionnaire des illustrateurs, fin XIXe - première moitié du XXe siècle, vers 1950
Les paveurs
Les paveurs |

INHA, « Licence OuverteOpen Licence » Etalab 

Vieille femme portant un panier
Vieille femme portant un panier |

Bibliothèque nationale de France

Mère moderne
Mère moderne |

Musée Lorrain de Nancy / Bibliothèque nationale de France (conservation numérique)

Ses estampes se caractérisent par leurs couleurs vives cernées de noir. Mellerio écrit ainsi au sujet d’Ibels : « L’opposition de couleurs crues ne lui répugne pas. Il les marie hardiment presque brutalement, cependant, il garde une harmonie. Ses personnages sont campés avec naturel, d’une silhouette vigoureuse, parfois un peu sommaire. […] Ces qualités et ces défauts se retrouvent dans son estampe en couleurs comme dans sa peinture. À une observation directe et vraie, il joint de la bonne humeur, un entrain facile et fécond1. »

Ibels est surnommé « le Nabi journaliste » en raison de son activité de dessinateur dans la presse. Il collabore à de nombreux journaux dont Le Courrier français, L’Echo de Paris, Le Rire, L’Assiette au beurre, Le Mirliton (journal dirigé par le chanteur et poète Aristide Bruant), L’Escarmouche (revue illustrée à tendance anarchique, fondée et dirigée par Georges Darien), Le Siècle, Le Cri de Paris, Le Père Peinard, ainsi qu’à des revues d’avant-garde comme La Revue blanche et La Plume. Il défend ardemment le principe des droits d’auteur pour les artistes.

Affiche pour L’Escarmouche
Affiche pour L’Escarmouche |

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Très engagé politiquement et proche du courant anarchiste, il adhère aux idées de son frère André Ibels qui fonde La Revue anarchiste en 1893. Ardent dreyfusard, il est à l’origine du journal Le Sifflet en 1898 qui s’oppose à Psst...!, publication violemment anti-dreyfusarde initiée par les dessinateurs Forain et Caran d’Ache.

Torquemada ou Les Tourments de l’histoire
Torquemada ou Les Tourments de l’histoire |

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Amoureuse !
Amoureuse ! |

Musée Lorrain de Nancy / Bibliothèque nationale de France (conservation numérique)

Dès la fin des années 1890, Ibels s’éloigne des Nabis. Après 1900, il poursuit son œuvre de peintre et d’illustrateur et fournit des illustrations notamment pour les textes naturalistes Sébastien Roch d’Octave Mirbeau (1906) et La Fille Elisa d’Edmond de Goncourt (1908). Il se consacre par la suite à la création de costumes de théâtre et à l’enseignement du dessin.

Notes

  1. André Mellerio, La lithographie originale en couleurs, L’Estampe et l'affiche (Paris), 1898, p. 10.

Provenance

Cet article a été publié dans le cadre de l’exposition Impressions nabies présentée à la BnF du 9 septembre 2025 au 11 janvier 2026. 

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