Découvrir, comprendre, créer, partager

Article

Maurice Denis (1870-1943), à l’époque nabie

Le Nabi aux belles icônes
Les Muses, dit aussi parfois Dans le parc
Les Muses, dit aussi parfois Dans le parc

© GrandPalaisRmn (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski

Le format de l'image est incompatible
La vie et l’œuvre de Maurice Denis sont très marquées par sa foi catholique. Sa rencontre avec Lugné-Poe, au lycée Condorcet, le sensibilise au symbolisme littéraire français et élargit ses horizons vers le théâtre et la musique contemporains. Théoricien du groupe de Nabis, il touche avec bonheur à toutes les techniques : tableaux, fresques, vitraux, estampes, illustrations et objets d’art décoratif.

Né à Granville, Maurice Denis a passé toute sa vie à Saint-Germain-en-Laye où demeuraient ses parents, dont il est le fils unique, et où il s’installe lui aussi. Il fait de brillantes études au lycée Condorcet, en même temps qu’Édouard Vuillard, François Xavier Roussel (dit Ker-Xavier Roussel), Aurélien Lugné (dit Lugné-Poe) et les frères Natanson. Profondément croyant et attiré très tôt par la peinture, il affirme, dès quinze ans, sa vocation de devenir « peintre chrétien », contre l’avis paternel.

Denis avait une figure ronde plutôt souriante où se lisaient la volonté et la réflexion. Son œil bleu regardait à l'intérieur.

Pierre Bonnard, 1943

Maurice Denis et Bernadette avec J. Guérandel dans le salon du peintre
Maurice Denis et Bernadette avec J. Guérandel dans le salon du peintre |

© Musée d’Orsay, Dist. GrandPalaisRmn / Alexis Brandt

Après un apprentissage dans l’atelier du peintre brésilien Julio Balla, Denis s’inscrit à l’Académie Julian. Il y rencontre Pierre Bonnard, Paul-Élie Ranson, Henri-Gabriel Ibels et Paul Sérusier avec lesquels il se lie. En juillet 1888, il est admis à l’École des Beaux-Arts, où il retrouve Édouard Vuillard et Ker-Xavier Roussel, ses anciens condisciples de lycée. Il découvre l’art de Gauguin par l’intermédiaire de Paul Sérusier qui rapporte de Pont-Aven le fameux Talisman, peint sous la dictée du maître, à l’origine de la formation des Nabis.

Au sein du groupe, Denis se voit attribuer le surnom de « Nabi aux belles icônes ». Il en devient non seulement l’un des acteurs essentiels mais aussi le théoricien. Dès 1890, alors qu’il est âgé de vingt ans, il publie, sous le pseudonyme de Pierre Louis, un article dans Art et critique qui, sous le titre de « Définition du néo-traditionnisme »1, résonne comme le manifeste des Nabis et contient la formule devenue célèbre 

Se rappeler qu'un tableau, avant d'être un cheval de bataille, une femme nue, ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées.

Maurice Denis, in Art et Critique, 1890

À cette époque, il partage avec Bonnard, Vuillard et Lugné-Poe un atelier situé 28, rue Jean-Baptiste Pigalle.

Marquées par l’influence de Puvis de Chavannes, les peintures du jeune Denis révèlent le choix d’un art synthétique affranchi de tout réalisme mimétique. Il expose aussi bien au Salon des Indépendants (Mystère catholique) qu’au château de Saint-Germain-en-Laye, au Salon des XX de Bruxelles ou chez Le Barc de Boutteville, un des premiers marchands à s’intéresser aux Nabis.

Mystère catholique
Mystère catholique |

GrandPalaisRmn (musée Maurice Denis) / Benoît Touchard

Maurice Denis et la lithographie

Sa découverte de l’estampe remonte à 1889, année où il lithographie en couleurs La Voie étroite, dont il reprend le motif pour le frontispice de Sagesse de Paul Verlaine, première expérience dans le domaine de l’illustration ou plutôt de la « décoration d’un livre » telle que Denis l’envisage.

L’édition illustrée du Voyage d’Urien, publiée en 1893, est le fruit de la collaboration d’André Gide et de Maurice Denis dont les créations littéraire et artistique dialoguent sur un pied d’égalité. Cette même année est marquée par son mariage avec Marthe Meurier, véritable muse de l’artiste, dont la silhouette et le visage émaillent l’œuvre. Les thèmes chrétiens abordés dans ses peintures font l’objet de transpositions lithographiques (Pèlerins d’Emmaüs).

Les Pélerins d’Emmaüs
Les Pélerins d’Emmaüs |

 Bibliothèque nationale de France

Les Bateaux roses 
Les Bateaux roses  |

© GrandPalaisRmn (musée Maurice Denis) / Benoît Touchard

Comme ses amis nabis, il participe à la première livraison de L’Estampe originale d’André Marty avec une lithographie en couleurs qui témoigne de l’influence d’Odilon Redon, Madeleine ou Tendresse.
En 1893, il présente à la galerie Le Barc de Boutteville, à côté de ses peintures, quatre motifs de papiers peints. Les projets de papiers peints qu’il conçoit dans un souci de rendre l’art accessible au plus grand nombre, sont restés à l’état de maquettes peintes à la gouache, à l’exception des Bateaux roses édités sous la forme de panneaux lithographiques par L’Estampe originale.

À l’instar des autres membres du groupe des Nabis, Denis contribue aux publications d’Ambroise Vollard. En 1896, paraît, dans L’Album des Peintres-graveurs, La Visitation à la villa Montrouge, une lithographie en quatre couleurs et, l’année suivante, Le Reflet dans la fontaine, planche lithographiée en cinq couleurs. Cette participation aux albums collectifs de l’éditeur est couronnée par la publication, en 1899, de l’album Amour, la plus belle réussite du peintre-lithographe.

Sur le même modèle que ceux de Vuillard et de Bonnard, l’album est composé de douze planches et d’une couverture. Sa genèse remonte à 1891, l’année des fiançailles de Maurice Denis avec Marthe Meurier. Le jeune homme a noté dans son journal intime les émotions de son amour naissant. Ce sont ces textes, rassemblés sous le titre Les Amours de Marthe, qui constituent la source d’inspiration première des douze lithographies dont chacune des légendes reprend une phrase extraite du journal.

Sur le canapé d’argent pâle
Sur le canapé d’argent pâle |

Bibliothèque nationale de France

Selon un ordre choisi, les planches déclinent, dans une veine allégorique et symboliste, les étapes de la rencontre amoureuse. Représenté de profil ou de face, le visage de Marthe est omniprésent. Celui de Maurice apparaît à quatre reprises, notamment dans deux scènes d’intérieur Sur le canapé d’argent pâle et Nos âmes en des gestes lents, qui rapprochent Denis de Bonnard et Vuillard. Le bouquet matinal, les larmes fait allusion à la difficulté de rallier leurs familles respectives à leur projet d’union tandis qu’Allégorie évoque leur voyage de noces à Perros-Guirec. Comme en témoigne une annotation sur une esquisse dessinée, la planche était initialement intitulée Nous nous sommes aimés près de la mer, le changement de titre visant à gommer toute connotation intime. Ce glissement de l’intime à l’universel est révélateur du désir de l’artiste de louer la dimension spirituelle de l’amour.

La gamme chromatique délicate et l’emploi d’un crayon lithographique léger cherchent à imiter le pastel. Pour y parvenir, Denis s’est appuyé sur l’expérience de l’imprimeur Auguste Clot avec lequel s’est établie une collaboration étroite.

Hommage à Cézanne
Hommage à Cézanne |

© GrandPalaisRmn (musée d'Orsay) / Adrien Didierjean

Peint un an après la publication de cet album, l’Hommage à Cézanne, est double : en même temps que le peintre provençal, Maurice Denis célèbre, par la présence des membres du groupe nabi réunis dans la galerie d’Ambroise Vollard, la décennie d’une confrérie artistique qui s’achève.

Notes

  1. Maurice Denis, « Définition du néo-traditionnisme » in Théories, 1890-1910 : du symbolisme et de Gauguin vers un nouvel ordre classique, Bibliothèque de “l'Occident” (Paris), 1913

Provenance

Cet article a été publié dans le cadre de l’exposition Impressions nabies présentée à la BnF du 9 septembre 2025 au 11 janvier 2026. 

Lien permanent

ark:/12148/mmhvbz4czg3gt