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Focus

Heinrich Barth en Afrique

À la rencontre des savants musulmans
Inscriptions en tifinagh translittérées
Inscriptions en tifinagh translittérées

Bibliothèque nationale de France / Société de géographie

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Personnalité atypique, savant aussi rigoureux qu'ouvert aux autres cultures, Heinrich Barth a longtemps subi un désintérêt de la part des universitaires et du public. Pourtant, cet esprit brillant, très éloigné des conceptions coloniales, peut être considéré comme l'un des pères des études africanistes.

Portrait de Heinrich Barth
Portrait de Heinrich Barth |

Bibliothèque nationale de France / Société de géographie

Né à Hambourg en 1821, Heinrich Barth était un voyageur cosmopolite : trois décennies avant la création de l’Empire colonial allemand (Kaiserreich), il effectua, avec le soutien financier de l’État britannique, des expéditions scientifiques en Afrique du Nord et au Sahel entre 1849 et 1855. Seul membre européen de ces explorations à y avoir survécu, il publia à son retour, en allemand et en anglais, cinq épais volumes de comptes rendus.

Un savant aux nombreuses spécialités

Alphabet latin-arabe-tifinagh
Alphabet latin-arabe-tifinagh |

Bibliothèque nationale de France

Barth était un homme doté d’une culture remarquable : il avait certes étudié la géographie, mais ses carnets de notes révèlent également de vastes compétences en (proto)ethnographie, histoire, archéologie, économie et linguistique. Des inscriptions de la Rome antique à celles des Touaregs en tifinagh, Barth entreprit de compiler une géographie totale du Sahara et du Sahel, en croisant de multiples techniques d’investigation : entretiens oraux, lecture de manuscrits en langue arabe, analyse de peintures rupestres, relevés topographiques…

Partant du principe que les sciences devaient aborder l’Afrique et les Africains avec les mêmes méthodes que celles appliquées à la géographie de l’Europe, il refusa d’en réduire l’étude à la simple recherche des sources du Nil ou du Congo comme d’autres avaient pu le faire, et s’attacha à produire de plus vastes connaissances sur ce continent. À ce titre, certains universitaires spécialistes de l’Afrique le considèrent aujourd’hui comme étant à l’origine de l’interdisciplinarité qui caractérise les études africanistes.

Quoi qu’il en soit, sous bien des aspects, Barth était un universitaire propre à son époque, qui n’établissait de frontières claires ni entre les sciences, ni entre les sociétés humaines. Il n’exprima jamais aucun sentiment de suprématie raciale, culturelle ou religieuse. S’il admirait ou se moquait de ses informateurs africains, ce fut toujours à l’aune de leur niveau d’instruction et d’éducation.

Carnet de note d'Heinrich Barth
Carnet de note d'Heinrich Barth |

Bibliothèque nationale de France / Société de géographie

Le sens du dialogue

De confession protestante, Barth était particulièrement impressionné par les travaux scientifiques des savants musulmans d’Afrique, qu’il traitait en égaux. Parlant couramment l’arabe et certaines langues africaines comme le haoussa, il discutait régulièrement avec ses serviteurs, ses hôtes, ses informateurs, autant qu’avec les marchands et pèlerins qu’il pouvait croiser au cours de ses voyages (durant lesquels il ne traversa pratiquement que des zones musulmanes). S’intéressant notamment à l’histoire et à l’architecture de l’Islam, il documenta les vastes mosquées de terre séchée et les hameaux urbains du Sahel à travers des dessins.

Quand Barth traversa la région, plusieurs mouvements djihadistes avaient mené à la création d’émirats et de sultanats islamiques régis par des formes de soufisme puritain et ascétique. L’explorateur fut bien accueilli par ces nouveaux dirigeants. Au Gwandu (Bénin/Niger), dans l’Empire de Sokoto, il sut gagner la confiance de l’Émir et des savants de son palais, et travailla dans leur bibliothèque arabe. Il recopia de larges pans de manuscrits historiographiques et de chroniques africaines, comme le célèbre Tarikh es-Soudan Histoire du Soudan »).

Cartographe passionné, Barth était avide de connaître les conceptions que les Africains se faisaient du monde, des continents et des États. Il créa une carte mondiale de référence en arabe pour servir de base aux discussions qu’il entretenait avec ses homologues sur la géographie.

Carte du monde traduite en arabe
Carte du monde traduite en arabe |

Bibliothèque nationale de France

Dans sa correspondance avec des universitaires allemands, Barth décrit tout particulièrement son hôte à Tombouctou, Ahmad Al-Bakkay, qualifiant son « noble ami » de « père de famille idéal » et de « créateur de paix1 ». Cette relation respectueuse avec l’élite politique et universitaire locale valut à Barth d’être considéré comme un voyageur non-colonialiste, « compréhensif et plein d’affection envers les peuples parmi lesquels il vivait2. ».

Une reconnaissance tardive

En tant qu’universitaire, Barth fut clairement sous-estimé à son époque, et ceci pour plusieurs raisons. Tout d’abord ses publications, de style très « académique », étaient loin d’être des récits d’aventures exotiques. Ensuite, en tant qu’Allemand, il ne pouvait servir la propagande coloniale nationaliste de l’Empire britannique. Enfin, considéré comme islamophile, il souffrit de relations tendues avec les missions chrétiennes en Afrique. Les missionnaires abolitionnistes firent donc courir des rumeurs en Grande-Bretagne selon lesquelles l’explorateur allemand avait toléré et pratiqué la traite « arabe » des esclaves en Afrique. Ils faisaient référence aux jeunes serviteurs de l’expédition, dont deux, Abega et Dorugu, rentrèrent en Europe avec Barth pour l’aider à poursuivre ses recherches linguistiques sur le haoussa et le kanouri.

Déçu par cette opposition britannique, Barth retourna à Berlin en 1858. Il y mourut en 1865 sans que son rêve de remplacer le professeur Carl Ritter à la première chaire de géographie créée en Allemagne à l’université de Berlin ne se soit réalisé. Et pourtant les universitaires africanistes – d’Europe et d’Afrique – redécouvrent régulièrement ses méthodes, son attitude, et la somme si riche de ses recherches.

Notes

  1. Gustav von Schubert, Heinrich Barth, Der Bahnbrecher der deutschen Afrikaforschung. Ein Lebens- und Charakterbild, auf Grund ungedruckter Quellen entworfen, Berlin : Dietrich Reimer, 1897, p. 63
  2. A. Kirk-Greene, « Heinrich Barth : An Exercise in Empathy », dans Robert I. Rotberg (ed.), Africa and Its Explorers. Motives, Methods, and Impact, Londres : Harvard University Press, 1970, p. 25.