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Les projets de monuments de pouvoir par Etienne-Louis Boullée : Le roi, la loi, le peuple

Cirque
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Bibliothèque nationale de France

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Quel écrin donner au pouvoir dans les dernières décennies du 18e siècle ? Architecte du roi, puis de la révolution, Etienne-Louis Boullée puise aux sources antiques pour  inscrire royauté et république dans l'espace.

Nombreux sont les projets de Boullée qui s'attachent à mettre en scène l'exercice du pouvoir, dans ses expressions les plus variées, voire complémentaires. Exalter le pouvoir monarchique par la proposition de rénover, totalement et avec ampleur, le château de Versailles où réside Louis XVI, fait partie de ces tentatives pour renforcer l'image de l’Ancien Régime déclinant. auxquelles d'autres architectes que Boullée se sont essayés. L'état des finances royales, d'abord, puis l’établissement d'une monarchie constitutionnelle, éteignirent toute velléité de passer à l'acte.

Restauration du Château de Versailles
Restauration du Château de Versailles |

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Le projet de palais idéal pour un souverain, sur le site du château de Saint-Germain-en-Laye, lieu de naissance de Louis XIV, ressortit à une recherche symbolique similaire. Mais le programme de ce palais qui inclut, comme à Marly, des résidences pour les courtisans, et, surtout, un ensemble d’édifices autonomes destinés à des activités utiles à l'éducation des princes, montre l'influence de la pensée philosophique et politique des Lumières sur la conception du pouvoir monarchique. Ce thème de l’éducation, étendu aux individus citoyens et au peuple appelé à découvrir ses droits et ses devoirs civiques, en jouissant du bonheur qu'apportent l’usage des premiers et le respect des seconds, est le thème récurrent des édifices administratifs et législatifs que Boullée projette avec une égale magnificence.

Palais de justice
Palais de justice |

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Palais municipal ou Maison commune
Palais municipal ou Maison commune |

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Le palais de Justice, le palais d’Assemblée Nationale et le palais Municipal expriment les fonctions auxquelles ils sont consacrés à partir de plans, de formes et d’emblèmes qui doivent parler à l’imagination des usagers. La symétrie, la simplicité géométrique des volumes, le gigantisme, l’intégration au site, la multiplication des lieux de passage entre l’intérieur et l’extérieur, comme la sculpture (colonnes Trajanes) ou les épigraphes (textes gravés en façade), sont commentés par Boullée dans son Essai, comme autant d’incitations à une dramaturgie progressiste de la vie civique.

Cirque
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Tous ces projets, conçus entre 1780 et 1792 , annoncent ou préfigurent l’évolution des mœurs politiques qui conduiront à la Révolution. Le plus bel exemple en est sans doute le projet de nouveau Colisée, destiné aux réjouissances et, surtout, à la formation patriotique du peuple. Dessiné en 1782, commenté par l’architecte à l’aide d’un texte historico-théorique de l’abbé Brotier, il annonce par sa destination le plus grand local urbain édifié durant la Révolution : l’amphithéâtre du Champs de Mars, qui ne sera réalisé qu'en madriers et en terre battue pour la Fête de la Fédération (14 juillet 1790). Il servit près de dix ans aux rituels civiques parisiens, accueillant jusqu’aux compétitions sportives.

La restauration du château de Versailles

Daté de 1783, le projet de rénovation du château de Versailles est une commande de Louis XVI à laquelle répondit Boullée et plusieurs de ses confrères. La distribution générale du Palais fait l’objet d’une réflexion très approfondie. Elle demande, selon Boullée, « une marche grande, libre et surtout noble. » Les « retours » ou les détours à l’intérieur des appartements sont évités et le parcours qui obéit à une progression concertée, doit offrir une démonstration éclatante de la grandeur royale : « C’est après avoir parcouru une multitude de grandes pièces remplies des plus brillantes productions des arts, que le spectateur, qui n’attend rien de plus beau, vient à découvrir un lieu tellement supérieur à tout ce qu’il a vu, qu’il reste étonné et saisi d’admiration de sa grandeur et de sa magnificence ». A l’extérieur, figurent les deux colonnes Trajanes, symbole de l’aspiration séculaire de la monarchie française à l’Empire européen, comme dans les projets d’Assemblée Nationale et de Cirque, scellant ainsi symboliquement l’union patriotique souveraine du roi, des lois et du peuple.

Restauration du Château de Versailles
Restauration du Château de Versailles |

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À l’extérieur, figurent les deux colonnes Trajanes, symbole de l’aspiration séculaire de la monarchie française à l’Empire européen, comme dans les projets d’Assemblée Nationale et de Cirque, scellant ainsi symboliquement l’union patriotique souveraine du roi, des lois et du peuple.

Les aménagements intérieurs mettent en scène les rapports du souverain et de son peuple : « En parcourant […] ce grand nombre de pièces existantes aujourd’hui, on arrive à la galerie [des Glaces], et ce magnifique lieu est le point de centre d’où le public peut apercevoir l’enfilade des appartements de Leurs Majestés. Il peut circuler facilement dans toute la première partie du palais jusqu’au moment où le monarque, sortant de son appartement, le laisse jouir de sa présence ».

Le projet d'un palais pour un souverain

Un palais situé à Saint-Germain-en-Laye. Le projet d’un Palais pour un Souverain date de 1785. À cette époque le château de Saint-Germain appartenait au comte d’Artois, dont l’architecte Bélanger proposait des plans de reconstruction grandiose. Encore plus idéal, le projet de Boullée pour le même site, est avant tout une démonstration théorique sur l’architecture royale.

Destiné à l’habitation du souverain, entourée des palais de ses courtisans, ce gigantesque projet prévoit également des bâtiments pour l’éducation des princes et trace à travers le village de Nanterre et les bois du Vésinet un large canal qui « formerait un miroir magnifique où se reproduiraient, de mille et mille manières différentes, toutes les richesses de la nature ».

Projet d’un palais pour un souverain à Saint-Germain-en-Laye
Projet d’un palais pour un souverain à Saint-Germain-en-Laye |

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Inspiré par les pensées de Montaigne sur l’éducation, Boullée veut créer une familiarité entre les élèves et leurs maîtres et accompagne les résidences de locaux destinés aux académies des arts et des sciences. Il établit des bâtiments pour «  former la jeunesse aux exercices du corps ». L’instruction du prince se termine dans un « Temple de Thémis », Boullée jugeant « qu’il était de la dignité du souverain d’établir près du trône celui de la justice »

Projet d’un palais pour un souverain à Saint-Germain-en-Laye
Projet d’un palais pour un souverain à Saint-Germain-en-Laye |

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Un palais auquel sont réunis les palais des grands qui forment sa cour. Boullée a justifié de la manière suivante son choix de situer un palais royal à Saint-Germain-en-Laye : « Il m’a semblé qu’en France cette habitation serait parfaitement située à Saint-Germain-en-Laye. Je me suis déterminé à choisir ce lieu d’autant plus volontiers qu’en le préférant, je remplissais un des points les plus essentiels et que Vitruve avec raison recommande expressément aux architectes. C’est-à-dire que je m’assurais de la salubrité, car il est de fait qu’on respire à Saint Germain l’air le plus pur. Il est de fait encore que c’est dans ce beau séjour que l’on jouit des grandes beautés de la nature. C’est donc sur le vaste et magnifique amphithéâtre formé par la montagne de Saint-Germain-en-Laye que j’ai établi ce palais. Je l’ai placé de manière qu’il parût appartenir aux cieux. Quoique très élevée, la superbe enceinte formée par les palais des grands est encore dominée par l’habitation du monarque. Placé à une distance convenable, le spectateur peut d’un seul coup d’œil apercevoir et embrasser tous les bâtiments qui forment ce grand ensemble ».

Palais de Justice

Le projet de Palais de Justice, vraisemblablement daté de 1782, coïncide avec le sujet du Grand Prix proposé par l’Académie royale d’architecture et de violentes polémiques sur la reconstruction en cours du Palais de Justice de Paris. La dimension et la portée de ce programme à la fin de l’Ancien Régime sont particulièrement symboliques de la volonté de réformer la justice pour la rendre plus équitable et plus accessible. Il n’en reste pas moins « que le lieu où réside le trône de la justice doit être très imposant » afin de façonner son « caractère ». Boullée impose la symétrie parfaite d’une monumentale composition qui domine « tout ce qui l’environne ». La vue sur l’angle du bâtiment met en valeur l’absence de hiérarchie des façades qui s’offrent toutes égales aux citoyens.
La dialectique palais de justice - prison est respectée afin de désigner spécifiquement la destination du bâtiment public. L’artiste propose « cet auguste palais élevé sur l’antre ténébreux du crime » pour mettre en valeur « d’une manière métaphorique le tableau imposant des vices accablés sous le poids de la justice ». La disposition au ras du sol des entrées de prison, figure « le sépulcre précaire des criminels » face à « la noblesse majestueuse de l’architecture » .
De plan carré, l’édifice se décompose dans une symétrie parfaite à partir d’un point central de forme circulaire, qui abrite la cour du Parlement . De ce point rayonnent les différentes juridictions qui s’articulent autour de cours carrées. Une galerie enserre cet ensemble qu’elle sépare d’une série de salles annexes qui s’ouvrent sur les portiques monumentaux des façades. Les rapports d’échelle que proposent ce « tableau » participent à l’image de justice voulu par Boullée. La succession d’escaliers pharaoniques intime une allégeance aux valeurs de la justice qui s’imposent par leurs gravité. Ces effets sont relégués par un gigantesque autodafé autour duquel se tient une assemblée de citoyens.

Palais de justice
Palais de justice |

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Palais de justice
Palais de justice |

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Palais Municipal

Le projet de palais municipal imaginé en 1792, présente beaucoup de similitudes avec le palais de justice au-delà de son angle de représentation. De plan carré, il offre quatre façades identiques et est disposé sur un socle tenu aux angles par des corps de gardes sur lesquels repose métaphoriquement « la société ». Conçu comme un lieu destiné aux magistrats de la commune et aussi comme « la maison de tous », son accessibilité est mise en évidence par la réduction des perrons et le percement continu de son pourtour tel « une fourmilière » . En effet « c'est dans cette maison que les citoyens font entendre leurs réclamations et qu'ils assistent aux délibérations les plus importantes ». À ses yeux cependant, « la ruche humaine » qu'envisage Boullée pour son palais municipal doit rester une architecture « républicaine », « mâle et fière » révélée par « les corps lisses », c'est-à-dire des façades nues dont la valeur expressive n'est pas amoindrie par de trop nombreuses fenêtres. L’horizontalité de l’édifice est renforcée par le large bandeau formé par l’alignement des deux étages. La hiérarchisation des différents niveaux selon des critères sociaux rigides, illustre la volonté utopique de Boullée, qui veut ici rationaliser les espaces. Les partie hautes sont réservées aux magistrats car selon l’auteur de l’Essai : « c’est à une certaine hauteur que les images extérieures ont de l’étendue et que nous jouissons de ce qu’on appelle une belle vue ». La vaste salle de délibération placée au cœur de l'édifice reçoit un éclairage zénithal sur le modèle antique tout comme les galeries supérieures. Un large attique circulaire englobe les parties hautes et dissimule le dôme central depuis l'extérieur. La distribution du plan propose une vision idéale du bâtiment public : le centre abrite le cœur du dispositif dans lequel magistrats et citoyens se retrouvent en assemblée. Des quatre côtés partent des galeries d’accès séparées par des cours où le public peut débattre préalablement. Pour le reste, l’architecte a «  pratiqué des galeries communiquant de toutes parts et des ouvertures sans nombre, en sorte qu'une fourmilière d'hommes pût entrer et sortir librement et sans tumulte ».

Palais municipal ou Maison commune
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Palais municipal ou Maison commune
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Palais national

L'iconographie mobilisée pour ce palais national déploie toutes les facettes de l'utopie politique de Boullée. L'édifice projeté en 1792, fédère les nouveaux départements du pays figurés sous la formes d'allégories disposées aux pieds de la façade. Les murs, ornés « des tables des lois constitutionnelles » sont couronnés d'un attique « représentant nos fêtes nationales ». L'ensemble est sommé d'un groupe sculpté célébrant le triomphe de la Liberté. Deux colonnes Trajanes monumentales encadrent la composition frontale, lui donnent une dignité et une majesté toute antique en racontant au public l'épopée d'une liberté nouvellement acquise.

Palais national
Palais national |

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Palais national
Palais national |

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Boullée prévoit de situer le Palais national sur l'emplacement de l'ancien couvent des Capucines, entre la place Vendôme et le boulevard. La parcelle cependant lui paraît trop exiguë aussi l'architecte allègue-t-il « que tenir en brassière le génie d'un artiste, c'est anéantir tous les dons qu'il tient de la nature ». Ce plan n'en est pas moins rigoureusement symétrique et le cœur du complexe (la salle d'assemblée) subordonne tous les espaces annexes fondés sur un seul module carré, répété dix-neuf fois sur chacun des côtés du palais.
La coupe sur la salle d'assemblée met en lumière le dispositif axial de la composition et les systèmes constructifs qui sont autant d'emprunts à l'architecture de la Rome antique ; en particulier la coupole apparaît directement inspirée par celle du Panthéon inauguré en 27 av. J.-C . L'éclairage zénithal, autorisé par les innovations techniques contemporaines permet à l'architecte de produire des effets lumineux dans les espaces intérieurs et de limiter les ouvertures sur l'extérieur. Pour la bibliothèque Boullée réutilise la formule du gradin de rayonnage [voir les projets de bibliothèque royale]. L'architecte met à la disposition des députés toutes les fonctions nécessaires à la rédactions de « lois justes ».

Palais national
Palais national |

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Palais national
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Le Cirque ou « Colisée »

« Pourquoi ne saisirait-on pas des moyens qui, loin d’exiger des sacrifices, ramèneraient les bonnes mœurs par l’attrait du plaisir ? Le projet de cirque que je présente ici est conçu pour remplir des vues morales et politiques ».

Cirque
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Ce projet colossal pour trois cents mille personnes est l’un des plus évocateur du contexte pré-révolutionnaire. Inspiré par le Colisée de Rome dont il juge la décoration insuffisante, Boullée fait valoir l’absence d’un lieu de rassemblement susceptible de contenir le peuple pour des rassemblements patriotiques. Les événements dramatiques lors du mariage de Louis XVI sur l’actuelle place de la Concorde (1770), comme l’étroitesse des places susceptibles d’accueillir les foules parisiennes, conduisent l’artiste à imaginer huit ans avant la Fête de la Fédération au Champs de Mars (14 juillet 1790), une architecture emblématique des valeurs patriotiques et citoyennes, que la Révolution ne réalisera qu’en terre battue et madriers. Il s’agit pour l’auteur, d’un « grand moyen pour former et maintenir les bonnes mœurs » car, dit-il « les plaisirs nationaux sont nobles et imposants ». Ainsi « c’est sous les yeux de tous que l’âme du citoyen s’élève et s’épure ». L’immense arène est placée « dans un lieu appelé l’Etoile, à la suite des Champs-Elysées ; afin de pouvoir offrir au public des accès faciles et des débouchés convenables ». Son pourtour est ponctué de galeries et d’un « nombre infini d’escaliers pour arriver à l’amphithéâtre ». Lieu d’ostentation patriotique, Boullée l’imagine « remplie d’une brillante jeunesse », où encore de cultivateurs que l’on récompenserait pour leurs exploits et leurs vertus. Chacun « ne pourrait échapper au regard de la multitude ». Les courses, les parades militaires ou encore la distribution des prix académiques seraient des « sujets propres à honorer la nation et à exciter l’admiration des étrangers ».

Cirque
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