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Le cénotaphe de Newton

Coupe avec globe armillaire
Coupe avec globe armillaire
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Comment rendre hommage au génie de Newton ? En créant un monde à la gloire de l'astronome, répond Étienne-Louis Boullée avec une proposition de monument sphérique.

Le cénotaphe de Newton :

Les deux projets

Le cénotaphe de Newton (mort en 1727) vient rendre hommage à l’une des figures emblématiques du siècle des Lumières qui incarne un ensemble de découvertes liées à la physique et l’astronomie. Peu de temps avant l’élaboration de ce projet, s’est ouvert le Salon des globes de la Bibliothèque royale où étaient exposées les sphères géantes de Coronelli réalisées pour Louis XIV. Leur vogue se conjuguait avec celle du ballon aérostatique; c’était la « globomanie » que moquait le satiriste Rivarol. C'est dans ce contexte que Boullée propose un monument sphérique, concept novateur si l’on excepte les projets très spécialisés de De Wailly pour les frères Montgolfier. Au-delà d’un effet de mode, l’architecte s’intéresse aux propriétés de la sphère, qui selon lui, offrent « la perception la plus évidente des corps ». Sa « régularité », sa « symétrie » et sa « variété » empêchent toutes altérations optiques de la « magnifique beauté de sa forme qui, toujours, s’offre parfaite à nos regards ». Le projet de cénotaphe de Newton est ainsi particulièrement révélateur d’une pratique sensualiste des arts.

La conception de ce monument se déroula en deux étapes que l’on ne peut dissocier. Un premier projet de cénotaphe pour Newton, daté de 1784, représente une salle monumentale circulaire mystérieusement éclairée au centre par une sphère armillaire sous laquelle se tient un autel. Ce projet, qui semble plus se référer aux théories héliocentriques de Copernic, est suivi d’un second, daté de la même année, représentant le même espace plongé dans une nuit étoilée. L’enveloppe extérieure, commune aux deux cénotaphes, figure des étagements de cyprès qui rappellent le fameux Mausolée d’Auguste à Rome.

Le souhait poétique de Boullée était d’ « envelopper » Newton de sa  découverte  en symbolisant le rayonnement de son génie depuis le cœur de la terre. Dans son Essai sur l’art, il avoue pourtant avoir éprouvé « une sorte de mécontentement » de son premier projet à cause d’idées qu’il regardait « comme impossibles à rendre » parce qu’il n’en entrevoyait « qu’à peine la possibilité ». Et c’est par « l’étude et la constance » pour « l’amour de son art » qu’il parvient à mettre en œuvre les « effets » et « les grandes images de la nature » dans un second projet. Á partir d’un simple dispositif de petits percements dans la voûte, l’architecte dispose cette fois-ci un tombeau sous « une nuit pure », dans laquelle le spectateur se trouve « comme par enchantement, transporté dans les airs et porté sur des vapeurs de nuages dans l’immensité de l’espace ». Ainsi « de quelque côté que les regards se portent, on n’aperçoit qu’une surface continue qui n’offre ni commencement ni fin, et qui, plus on la parcourt, plus elle s’agrandie ». Unique objet dans cet espace, le tombeau devient ainsi une métaphore poétique du génie suprême vers lequel l’homme doit porter son attention.

Cénotaphe, globes géants et planétariums

Sur un plan strictement architectural, l’idée d’une chambre circulaire représentant le ciel étoilé n’est pas nouvelle. Les planétariums romains étaient conçus sur le même principe, mais ils ne formaient que des voûtes ou des demi-sphères. Depuis Ptolémée, en effet, on se représentait le Ciel sous la forme d’un globe, mais l’hémisphère sud étant inconnu, le ciel était représenté sous la forme d’une demi-sphère correspondant aux étoiles « septentrionales », c’est-à-dire, observées depuis l’hémisphère nord. Des globes célestes « convexes » furent néanmoins produits dès le 7e siècle. Ils représentaient le Ciel comme s’il était vu depuis l’extérieur de l’univers, entourant la Terre au centre de la sphère, contrairement aux salles cosmiques ou planétariums qui représentaient le Ciel observé depuis la Terre. Sphères célestes et planétariums offrent ainsi deux métaphores complètement opposées, mais, au plan de l'ingénierie ou de l'architecture, les deux options tendent à se rapprocher dès lors qu’on se met à produire des globes géants, vers la fin du 17e siècle.

L’originalité de Boullée consiste surtout à associer une forme sphérique, un monument et le nom d’un astronome. Si la solution du planétarium n’est pas absolument nouvelle, elle s'avère, replacée dans son contexte et quand on connaît les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre du premier projet, une trouvaille architecturale originale, heureuse et audacieuse.

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