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Le Spleen de Paris

La tour de l'horloge
La tour de l'horloge

Bibliothèque nationale de France

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Les poèmes en prose de Baudelaire ne sont pas publiés en recueil de son vivant mais en 1869. Au nombre de cinquante, ils ont paru pour certains dans des revues dès 1855, mais n’ont pas été réunis sous un titre définitif. Baudelaire envisage d’abord d’intituler le recueil Poèmes nocturnes, puis Le Spleen de Paris, mais certaines livraisons paraissent également sous le titre Petits poèmes en prose. Le recueil constitue une réponse aux Fleurs du Mal, dont il explicite certaines images tout en réinventant la poésie urbaine esquissée par les « Tableaux parisiens ».

Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais Enivrez-vous.

Charles Baudelaire, Le Spleen de Paris, XXXIII, 1869.

Le choix du titre Le Spleen de Paris, dans de nombreuses éditions modernes, se justifie par une lecture du recueil tournée vers la poétique de la grande ville. Baudelaire lui-même annonce, dans la lettre qu’il adresse à Arsène Houssaye pour lui présenter ses poèmes, l’importance de la « fréquentation des villes énormes » et du « croisement de leurs innombrables rapports » dans la formation d’un « idéal obsédant ». Cet intérêt pour la beauté de la vie moderne et urbaine, déjà sensible dans les « Tableaux parisiens », qui explorent les « plis sinueux des vieilles capitales », prend dans le recueil une place centrale. 

Une poétique de la ville

Nouvelle façade du lycée impérial Saint-Louis
Nouvelle façade du lycée impérial Saint-Louis |

Bibliothèque nationale de France

Cette poétique constitue une réponse au sentiment de perte qui suit la transformation de Paris sous l’effet des travaux du baron Haussmann. Dans ses poèmes en prose comme dans Le Peintre de la vie moderne, Baudelaire lie le sentiment de la modernité à la vie de la grande ville. Le beau moderne « c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable » (Le Peintre de la vie moderne, 1863). Baudelaire donne à voir, dans ses poèmes en prose, le violent contraste de la grande ville qui place le confort des riches sous les yeux des pauvres, qui offre aux âmes solitaires la séduction de la fête populaire (« Un plaisant », « Les Veuves ») mais qui leur impose en même temps la « tyrannie de la face humaine » (« À une heure du matin »).
Cependant, les poèmes du recueil excèdent largement leur cadre de création, et s’en affranchissent parfois tout-à-fait. Dans Le Spleen de Paris s’exprime certes le plaisir du flâneur urbain, mais aussi la curiosité ou le regard sarcastique du moraliste, la mélancolie de l’homme moderne et la créativité parfois exotique du rêveur.

Une réinvention de la forme

Le tapis-franc
Le tapis-franc |

Bibliothèque nationale de France

Dans la préface de  son recueil, Baudelaire se reconnaît un modèle esthétique, Aloysius Bertrand (1807-1841), auteur de Gaspard de la nuit (posthume, 1842). Cependant, cet aveu, de même que son allégeance à la poésie d’Arsène Houssaye, patron de presse avant d’être poète, ne peut être compris comme un manifeste esthétique sincère. La poétique de Baudelaire participe à une réinvention du genre ou des genres du poème en prose. Caractérisés par l’unité et le lyrisme plus que par la brièveté, les poèmes se font tantôt apologues, tantôt épigrammes, tantôt méditations, selon la typologie retenue par Michel Murat. Baudelaire cherche dans cette forme une souplesse qui permette un lyrisme plus authentique, mais il ambitionne également de continuer, d’expliciter ou de compléter Les Fleurs du Mal, dont Le Spleen de Paris se veut le « pendant ».
Il veut dans ce recueil dépasser les contrastes en associant « l’effrayant avec le bouffon, et même la tendresse avec la haine » (« Assommons les pauvres ! », « Mademoiselle Bistouri », « Le mauvais vitrier », « La corde »). La poésie des images se mêle ici à un réalisme parfois cruel.

Un pendant aux Fleurs du Mal

Le recueil constitue à plus d’un titre une réponse aux Fleurs du Mal. D’une part, certains poèmes du Spleen de Paris se présentent comme des réécritures de poèmes en vers (« Un hémisphère dans une chevelure », « L’Invitation au voyage », « L’Horloge »). Baudelaire souligne lui-même ces correspondances ainsi que la dimension de commentaire et d’explicitation que peut prendre ce recueil par rapport au premier : « Je suis assez content de mon Spleen. En somme, c’est encore Les Fleurs du Mal, mais avec beaucoup plus de liberté, de détail et de raillerie » (Lettre à Jules Troubat du 19 février 1862).

Cathédrale Notre-Dame, façade
Cathédrale Notre-Dame, façade |

Bibliothèque nationale de France

D’autre part, le recueil explore plus avant le terrain sur lequel ont poussé certaines Fleurs du Mal et révèle le regard attendri que le poète porte sur la misère des grandes villes et, d’une manière plus générale, sur le tragique de la condition humaine. À cet égard, Le Spleen de Paris a pu être lu comme la part éthique de l’œuvre de Baudelaire, alors que Les Fleurs du Mal semblent faire la part belle à l’esthétique, au point qu’elles sont parfois lues comme une œuvre méta-poétique.

Provenance

Cet article provient du site Les Essentiels de la littérature (2017)

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