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Crébillon fils, la préciosité du langage

Portrait de Claude Crébillon fils
Portrait de Claude Crébillon fils

© Grand Palais Rmn (musée du Louvre) / Michèle Bellot

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Écrivain mais aussi chansonnier, Claude-Prosper Jolyot de Crébillon, dit « Crébillon fils », exerce son talent dans la littérature libertine, ce qui lui vaudra quelques déboires avec la censure et un séjour en prison. Cultivant un style spirituel et raffiné, il met en scène des personnages qui s’illustrent dans de véritables duels verbaux, usant d’un langage ciselé au couteau où la finesse d’esprit permet d’enrober les propos licencieux. Le Sopha, La Nuit et le moment, Les Égarements du cœur et de l’esprit en sont les modèles du genre.
Michel Delon parle Des Nuits de Paris
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Michel Delon parle de Crébillon fils

Asseoir sa notoriété

Chapitre III
Tanzaï et Néadarné |

Bibliothèque nationale de France

Claude-Prosper Jolyot de Crébillon naît le 14 février 1707… deux semaines après le mariage de ses parents. Son père, Prosper Jolyot de Crébillon, est un des dramaturges les plus célèbres de son temps, d’où les appellations « Crébillon père » et « Crébillon fils » données par la postérité afin de les distinguer. Après des études au collège jésuite Louis-le-Grand, il fréquente très jeune les théâtres (notamment la Comédie-Italienne), où il va écrire des chansons burlesques, des parodies d’opéra, etc. Il fonde avec Collé en 1729 la Société du Caveau, dans laquelle des gens spirituels font assaut de bons mots, boivent et écrivent. En 1734, il publie Tanzaï et Néadarné, fantaisie orientale dans laquelle certains grands croient se reconnaître, ce qui lui vaut huit jours d’emprisonnement au donjon de Vincennes. En revanche, sa notoriété est établie, et il est introduit dans les salons du temps, où il va fréquenter bon nombre d’artistes et d’écrivains : D’Alembert, Diderot, Marmontel, Montesquieu, Marivaux, Boucher, Rameau, etc.

D’écrivain à censeur royal

Les Égarements du cœur et de l’esprit paraissent entre 1736 et 1738, Le Sopha en 1742. Cette dernière publication entraîne son éloignement de Paris pendant trois mois, mais sa réputation de libertin est faite. Cela ne l’empêche pas de se marier en 1748 avec une noble anglaise, et de lui rester fidèle, malgré son image de débauché. En 1755, il édite son œuvre la plus fameuse, La Nuit et le moment. Quatre ans plus tard, on lui accorde le poste de censeur royal où, selon Louis-Sébastien Mercier, il ne censurera personne mais aidera même certains auteurs en difficulté. Il reçoit en 1762 une pension de Madame de Pompadour, ce qui va l’aider car les difficultés matérielles arrivent. Son heure de gloire est passée, et même si ses œuvres complètes sont éditées à Londres en 1772, on doit vendre à sa mort, survenue le 12 avril 1777, sa bibliothèque personnelle aux enchères pour éponger ses dettes.

Peintre du libertinage

Chapitre Dernier
Le Sopha |

Bibliothèque nationale de France

Crébillon fils est tout le contraire de son père. Ce dernier, auteur de pièces sanglantes, est d’un physique massif. Le fils quant à lui, « taillé en peuplier, haut, long, menu » (Louis-Sébastien Mercier), n’écrira que des romans (onze en tout), tournant tous autour des mêmes thèmes : les mœurs de son temps, les relations entre hommes et femmes de la haute société, l’hypocrisie sociale. C’est le peintre du libertinage, mais un peintre critique. Dans ses œuvres, chacun aspire à des relations charnelles, mais tous se cachent derrière un discours célébrant l’amour et la vertu, auquel personne ne croit mais faisant partie du rituel social imposé aux personnages, les conduisant presque toujours à dissimuler, mentir, trahir. Ce n’est ni le bonheur ni les sentiments vrais qui comptent, mais la variété des expériences, qui finalement se révèlent toujours décevantes et même vides. Néanmoins il arrive parfois (Le Sopha, Tanzaï et Néadarné) que la sincérité triomphe.

[Crébillon fils], dans des romans pleins d’esprit et dictés par une connaissance profonde de tous les replis honteux du cœur humain, a tracé, du pinceau le plus délicat et le plus vrai, les raffinements, les nuances, et jusqu’aux grâces de nos vices...

D’Alembert, Éloge historique de Crébillon

Crébillon fils utilise toutes sortes de formes romanesques : le roman-mémoire, le roman épistolaire, et surtout les contes orientaux, avec ses génies et ses métamorphoses. La brutalité des situations et l’avidité des désirs sont enveloppés dans un style précieux et ondoyant, qui fait de Crébillon fils l’un des représentants les plus éclatants du roman du 18e siècle.

Provenance

Cet article provient du site Les Essentiels de la littérature (2015).

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