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Henry Murger, l’incarnation de la bohème

Henry Murger
Henry Murger

Bibliothèque nationale de France

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Le nom d’Henry Murger est aujourd’hui moins évocateur que le mot « bohème », moins célèbre que celui de Puccini qui a transposé son œuvre La Vie de bohème à l’opéra, voire celui de Charles Aznavour qui l’a popularisé avec « La Bohème ». Pourtant, Henry Murger, que l’on peut classer parmi les prosateurs réalistes et fantaisistes du Second Empire, a eu le mérite de dépeindre la condition précaire des écrivains et des artistes de son temps. La course vers la gloire passe toujours par ce qu’il appelait l’antichambre de la vie artistique : la bohème.

Ils meurent pour la plupart, décimés par cette maladie à qui la science n’ose pas donner son véritable nom, la misère.

Henry Murger, Scènes de la vie de bohème, Préface, 1851

Né le 27 mars 1822 à Paris, Henry Murger est issu du petit peuple parisien ; ses parents sont concierges et son père exerce l’activité annexe de tailleur. Henry Murger va vivre sa jeunesse dans une maison de la rue des Trois-frères. Il fait des études sommaires à l’école mutuelle où les plus âgés enseignaient aux plus jeunes, puis grâce à la protection d’un célèbre voisin, Étienne de Jouy, journaliste sous l’Empire et la Restauration, il entre comme commis chez un avoué. Il perdra assez vite sa place mais, grâce à son protecteur, il deviendra secrétaire d’un Russe, le comte Tolstoï, agent de renseignement du tsar.

Une communauté d’artistes : les buveurs d’eau

Autour de 1838, Murger commence à fréquenter deux jeunes prolétaires qui cherchent à fuir leur condition pour devenir artistes, Pierre et Émile Bisson. Il suit avec eux des cours de dessin et complète son éducation lacunaire. Par les frères Bisson, il fait la connaissance d’une communauté de jeunes artistes qui mènent tous une double vie, travaillant comme salariés dans les arts industriels pour survivre, et consacrant le reste du temps à se perfectionner dans les beaux-arts. Ils prendront comme nom, dans les années 1841, « les Buveurs d’eau », l’eau étant la seule boisson qu’autorisait leur pauvreté.

Cette communauté, présente dans les futures Scènes de la bohème et à laquelle Murger consacrera un roman (Les Buveurs d’eau, 1854), accueille aussi Champfleury qui y vit quelques temps ainsi que le peintre Antoine Chintreuil. Autour des Buveurs d’eau gravite une population bohème dont Nadar et Alexandre Schanne font partie ainsi que plusieurs individualités qui inspireront Murger pour les personnages des Scènes de la bohème.

Alexandre Schanne
Alexandre Schanne |

Bibliothèque nationale de France

Félix Nadar dans l’atelier d’Adrien Tournachon
Félix Nadar dans l’atelier d’Adrien Tournachon |

Bibliothèque nationale de France

L’expérience des Buveurs d’eau s’achève autour de 1842. À partir de ce moment, Champfleury et Murger, devenus proches de Nadar, vont multiplier leurs collaborations dans des revues et des petits journaux. C’est l’époque des frasques au café Momus, celle de la bohème de la rue des Canettes au Quartier latin. Arsène Houssaye les accueille alors dans la revue romantique L’Artiste où Murger publie ses poèmes. Mais c’est leur entrée dans un petit journal littéraire et satirique, Le Corsaire-Satan, qui va déterminer leur vie littéraire. Le rédacteur en chef Lepoitevin Saint-Alme, ancien collaborateur de Balzac, a rassemblé autour de lui une rédaction de jeunes gens dont Baudelaire, et éduque ce monde au petit journalisme parisien incisif et ironique.

Expériences journalistiques

C’est dans ce journal qu’à partir de mars 1845 et jusqu’à avril 1849 Murger publie en feuilleton, sous le titre « Scènes de la bohème », une chronique romancée de la vie qu’il mène. Éparpillée sur plusieurs années, cette série attire l’attention d’un jeune auteur dramatique, Théodore Barrière, qui décide Murger à collaborer avec lui pour en faire une adaptation théâtrale. La Vie de bohème est représentée le 22 novembre 1849 au théâtre des Variétés. Son ton enjoué et dramatique, son sujet – la vie des artistes et des grisettes –, les valeurs qu’elle illustre – l’amour et la jeunesse –, amènent un large succès salué par une presse enthousiaste. Aussi, l’éditeur Michel Lévy publie-t-il immédiatement la pièce non sans demander à Murger de rassembler ses chroniques en volume, qui paraissent sous leur premier titre de Scènes de la bohème en 1851.

Théodore Barrière
Théodore Barrière |

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La Vie de bohème
La Vie de bohème |

Bibliothèque nationale de France

Publié par Lévy, la grande maison d’édition de ce temps, Murger entre alors à la Société des Gens de lettres, puis est sollicité par François Buloz pour écrire dans la Revue des deux mondes, organe assez conservateur auquel collabore cependant l’élite de la littérature. C’est là qu’il va publier en feuilleton plusieurs de ses romans, tout en donnant des chroniques au Paris, au Figaro, à L’Événement et au Moniteur pour ne citer que quelques-uns des journaux qui l’ont accueilli. En quelques années il produit énormément. La même année que les Scènes de la bohème, il signe les Scènes de la vie de jeunesse et Le Pays latin (1851), et jusqu’à sa mort, donne presque un roman ou un recueil de nouvelles par an, rassemblant aussi ses textes journalistiques et ses poèmes.

Rythme effréné d’une vie consacrée à l’écriture

Alors qu’il a la réputation d’un dilettante, Murger est néanmoins un travailleur ; il cherche toujours à combler son déficit d’instruction par l’étude et réécrit opiniâtrement chaque œuvre jusqu’à atteindre la qualité qu’il s’est fixée. Si dans Paris, il reste toujours le bohème, ses nuits sont ainsi consacrées à écrire afin de régler les innombrables créanciers que son mode de vie insouciant lui amène. Ce rythme l’oblige, dès 1854, à prendre ses distances avec la capitale pour résider une partie de l’année à Marlotte dans la forêt de Fontainebleau, où, à quelques kilomètres de Barbizon, se réunit une autre colonie de peintres.

Henry Murger
 Caricature d’Henry Murger par Nadar |

Bibliothèque nationale de France

Caricature de Henry Murger
 Caricature d’Henry Murger par Nadar |

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D’une santé précaire, Murger avait déjà multiplié les séjours dans les hôpitaux dès sa jeunesse. Mais son rythme de vie, les excès de café et les longues nuits de travail ont raison de lui. Murger meurt prématurément d’un érésipèle gangreneux, le 28 janvier 1861, à la maison Dubois, l’hospice des gens de lettres. Ses funérailles seront fortement médiatisées, la mort sanctifiant une véritable vedette médiatique et populaire, l’incarnation même de la bohème qu’il avait fini par prendre en dégoût.

Provenance

Cet article provient du site Les Essentiels de la littérature (2017).

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