Micromégas

Bibliothèque nationale de France
Micromégas
Micromégas est un géant de la planète Sirius. Il mesure trente-deux kilomètres de haut et parle mille langues ! Contraint à l’exil, Micromégas voyage à travers l’univers et arrive sur Saturne où les habitants font figures de « nains », car ils ne mesurent que deux kilomètres. Micromégas se lie avec l’un d’eux, qui l’accompagne dans sa quête initiatique. Tous deux échouent sur la Terre qu’ils croient inhabitée. Ils finissent par apercevoir l’espèce humaine à travers un diamant qui leur sert de loupe : ce sont de petits hommes grotesques et imbus d’eux-mêmes, devisant de choses qui les dépassent. Dieu a créé l’univers entier pour les hommes, soutiennent-ils aux géants qui, effrayés par tant d’arrogance, reprennent leur route interstellaire. À travers les questions de taille et les décalages d’échelle, Voltaire met en scène des notions philosophiques de relativité qui contiennent une critique de la religion et de ses vérités absolues.
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Histoire d’un géant
Ce conte relate le voyage d’un habitant de la planète Sirius, géant d’une hauteur de 32 kilomètres, qui doit s’exiler pour impiété. Décidé à voyager pour mieux connaître le monde, il arrive sur Saturne, dont les habitants ne sont pas plus grands que son nez. Il s’y lie d’amitié avec le Secrétaire de l’Académie, avec lequel il a de longues discussions sur la pluralité des mondes. Puis tous deux s’avancent dans le système solaire et font halte sur la Terre, que le Saturnien déclare d’abord déserte : haut de deux kilomètres, il ne peut y apercevoir d’êtres vivants. Finalement, les deux compères découvrent, grâce à un microscope, l’existence des êtres humains, en prenant sur leur ongle un bateau empli de scientifiques et de philosophes. Engageant la conversation, les deux voyageurs se rendent compte que les hommes possèdent une connaissance étonnante du monde, mais divaguent totalement dès qu’il s’agit de métaphysique et de la nature de l’âme : ils s’emplissent d’une fureur meurtrière pour des raisons futiles, et sont d’un orgueil démesuré. Avant de partir, Micromégas leur laisse un livre qui doit leur dévoiler « le bout des choses ». À son ouverture, on n’y trouvera que des pages vierges.
Une fantaisie interplanétaire
En 1739, Voltaire avait envoyé un manuscrit à Frédéric II, intitulé Les Voyages du baron de Gangan, dont le texte est perdu, et qu’il qualifiait de « fadaise philosophique qui ne doit être lue que comme on se délasse d’un travail sérieux avec les bouffonneries d’Arlequin ». Il semble que Micromégas soit très proche de cette première version, l’auteur le qualifiant d’ailleurs d’« ancienne plaisanterie ».

Élémens de la philosophie de Neuton mis à la portée de tout le monde
Rendre les idées de Newton accessibles aux non-spécialistes fut le tour de force que réalisa Voltaire. Ses Élémens révélèrent aux Français, restés majoritairement cartésiens, la loi de l’attraction universelle. Le monde newtonien n’est plus clos ni centré sur la Terre, et tous les corps s’y attirent mutuellement. Mais, loin de ceux qui interprètent Newton dans un sens matérialiste, Voltaire y trouve le fondement de son déisme : « C’est à l’horloge que l’on reconnaît l’horloger. »
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D’autre part, la description du cosmos suit au plus près les lois de la gravitation universelle théorisée récemment par Newton, dont Voltaire est le traducteur et l’introducteur en France, même si la méthode de transport reste toujours fantaisiste (et comment pourrait-il en être autrement au 18e siècle !) : « tantôt à l’aide d’un rayon du soleil, tantôt par la commodité d’une comète, il allait de globe en globe […] comme un oiseau voltige de branche en branche ». Voltaire trace donc le tableau d’une nature incommensurable, hors d’atteinte par son immensité peut-être, mais régulée donc intelligible, loin de ces « espaces infinis » qui effrayaient tant Pascal.
Notre existence est un point, notre durée un instant, notre globe un atome. À peine a-t-on commencé à s’instruire un peu que la mort arrive avant qu’on ait de l’expérience.
Critiques sous-jacentes

Micromégas
Micromégas est un géant de la planète Sirius. Il mesure trente-deux kilomètres de haut et parle mille langues ! Contraint à l’exil, Micromégas voyage à travers l’univers et arrive sur Saturne où les habitants font figures de « nains », car ils ne mesurent que deux kilomètres. Micromégas se lie avec l’un d’eux, qui l’accompagne dans sa quête initiatique. Tous deux échouent sur la Terre qu’ils croient inhabitée. Ils finissent par apercevoir l’espèce humaine à travers un diamant qui leur sert de loupe : ce sont de petits hommes grotesques et imbus d’eux-mêmes, devisant de choses qui les dépassent. Dieu a créé l’univers entier pour les hommes, soutiennent-ils aux géants qui, effrayés par tant d’arrogance, reprennent leur route interstellaire. À travers les questions de taille et les décalages d’échelle, Voltaire met en scène des notions philosophiques de relativité qui contiennent une critique de la religion et de ses vérités absolues.
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Il y a également une hostilité face aux spéculations métaphysiques, ne reposant sur rien de concret, arguties basées sur une foi dogmatique et une imagination délirante. Micromégas, représentant l’auteur, est un adepte de la raison, qui cherche la connaissance des faits pour forger son jugement : « Je ne veux point qu'on me plaise […] je veux qu'on m'instruise ». Lui et le Saturnien ne sont d’ailleurs pas exempts de défauts, comme une certaine tendance à la généralisation. D’où la méthode prônée par le Sirien : apprendre, expérimenter, vérifier. Dans ce récit, Voltaire prêche la mesure, la tolérance, et montre le relativisme des choses, symbolisé par les différences de tailles de tous les protagonistes, et le nom même du héros : micro et mega signifient en effet grand et petit.
Pourquoi donc, reprit le Sirien, citez-vous un certain Aristote en grec ? — C’est, répliqua le savant, qu’il faut bien citer ce qu’on ne comprend point du tout dans la langue qu’on entend le moins.
À sa publication, ce livre a connu quelque opposition, des catholiques d’une part, qui expliquent que « l’ouvrage n’est pas bon pour la religion », de l’entourage de Fontenelle (alors secrétaire de l’Académie des sciences) d’autre part, qui a cru reconnaître avec contrariété le scientifique dans le Saturnien : « homme de beaucoup d'esprit, qui n'avait à la vérité rien inventé, […] et qui faisait passablement de petits vers et de grands calculs ». Mais la brièveté du récit est sans commune mesure avec son importance, par son écriture d’abord, ce style goguenard, sarcastique, qui est devenu emblématique de ce qu’on a appelé le ton « voltairien ». C’est aussi un tournant dans l’œuvre du philosophe, qui va continuer dans cette veine avant de se lancer dans sa croisade contre l’injustice et pour la tolérance. Avec Candide et Zadig, Micromégas fait partie de la trilogie qui fait de Voltaire un auteur toujours actuel sur le plan littéraire, ce que montre le nombre de rééditions, au moins trois ou quatre par décennies depuis sa publication.
Provenance
Cet article provient du site Les Essentiels de la littérature (2015).
Lien permanent
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