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Extrait

Néère

André Chénier, Les Bucoliques, « Néère », 1816

Mais telle qu’à sa mort, pour la dernière fois,
Un beau cygne soupire, et de sa douce voix,
De sa voix qui bientôt lui doit être ravie,
Chante, avant de partir, ses adieux à la vie,
Ainsi, les yeux remplis de langueur et de mort,
Pâle, elle ouvrit sa bouche en un dernier effort :
« Ô vous, du Sébéthus naïades vagabondes,
Coupez sur mon tombeau vos chevelures blondes.
Adieu, mon Clinias ! moi, celle qui te plus,
Moi, celle qui t’aimai, que tu ne verras plus.
Ô cieux, ô terre, ô mer, prés, montagnes, rivages,
Fleurs, bois mélodieux, vallons, grottes sauvages,
Rappelez-lui souvent, rappelez-lui toujours
Néère tout son bien, Néère ses amours ;
Cette Néère, hélas ! qu’il nommait sa Néère,
Qui, pour lui criminelle, abandonna sa mère ;
Qui, pour lui fugitive, errant de lieux en lieux,
Aux regards des humains n’osa lever les yeux.
Oh ! soit que l’astre pur des deux frères d’Hélène
Calme sous ton vaisseau la vague ionienne ;
Soit qu’aux bords de Pæstum, sous ta soigneuse main,
Les roses deux fois l’an couronnent ton jardin ;
Au coucher du soleil, si ton âme attendrie
Tombe en une muette et molle rêverie,
Alors, mon Clinias, appelle, appelle-moi.
Je viendrai, Clinias ; je volerai vers toi.
Mon âme vagabonde, à travers le feuillage,
Frémira ; sur les vents ou sur quelque nuage
Tu la verras descendre, ou du sein de la mer,
S’élevant comme un songe, étinceler dans l’air,
Et ma voix, toujours tendre et doucement plaintive,
Caresser, en fuyant, ton oreille attentive.

André Chénier, Œuvres poétiques, tome 1, Paris : Garnier frères, 1884, p. 92-93.
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