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Extrait

Dévouement à la monarchie (Lettre CXXIV)

Gabriel Sénac de Meilhan, L'Émigré, tome 4, 1797.
Dans cette lettre adressée à son fils, le Comte de Saint Alban rappelle à son fils qu'en raison de son rang, sa naissance et son éducation, il ne pouvait qu'être partisan de l'Ancien Régime.

Le Comte de St. Alban au Marquis de St. Alban.


Je profite d’un moment de calme, mon cher fils, pour vous écrire, non mes dernières volontés, car je n’ai rien à faire exécuter, mais pour vous instruire de ma situation, et vous faire passer des secours que vous a ménagés mon amitié. Je joins un petit recueil de maximes, croyant vous devoir mes pensées comme ma fortune, afin de vous laisser tout ce que je possède. Si vous n’usez pas de mes maximes, elles seront pour vous ce qu’est le portrait d’une personne qui nous fut chère, ou qui du moins vous a aimé, elles me rappelleront à votre souvenir : leur ensemble forme en quelque sorte le tableau de mon âme.

Je n’entreprendrai pas de vous donner d’autres conseils, car je sais trop combien ils sont inutiles en général, et à quel point l’imprimerie a détruit l’influence paternelle. Que pourrais-je vous dire, que des écrivains, qui ont beaucoup plus de lumières, ne vous ayent bien mieux enseigné ? Mes conseils au reste seraient conformes aux principes que vous suivez, et qui, changés pour la plupart des hommes en préjugés, n’en étaient que plus utiles à la société. La noblesse française et le peuple étaient plus qu’aucune autre nation attachés à leur Roi, et leur cri de vive le roi, dont l’accent partait de l’ame, avait sa racine dans une longue suite de faits. Aucune race de souverains ne régnait sur un grand peuple depuis un aussi grand nombre d’années, et l’origine de la nation se confondait en quelque sorte, avec celle de la dynastie régnante : de là ce respect profond des Français pour leurs monarques. La majeure partie de la nation leur devait la liberté dont elle jouissait depuis six cents ans : de là cet amour, pour ainsi dire inné, et qui pour n’être pas raisonné, n’en était peut-être pas moins fondé sur la raison. Vous vous êtes ainsi dévoué, mon fils, à la monarchie, sans vous en rendre compte ; une perspective éclatante et l’accueil favorable qu’on vous a fait à la cour, vous ont inspiré de bonne heure un attachement particulier pour le monarque. Ainsi votre éducation, votre naissance, votre ambition et la reconnaissance vous ont rendu nécessairement partisan de l’ancien régime.

Gabriel Sénac de Meilhan, L'Émigré : Brunsvick, P.F. Fauche et compagnie, tome 4, 1797.
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