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Extrait

Prédiction apocalyptique

Eugène Mouton, La fin du monde, 1872.
La fin du monde selon Eugène Mouton sera due à l’excès d’industrialisme. À force de brûler du charbon, de multiplier les machines, les bêtes et les hommes, la température augmentera tout autour du globe, qui s’embrasera d’un coup.

 

Voici donc ce qui va se passer.

Pendant une dizaine de siècles, tout ira de mieux en mieux. L’industrie surtout marchera à pas de géant. On commencera d’abord par épuiser tous les gisements de houille ; puis toutes les sources de pétrole ; puis on abattra toutes les forêts ; puis on brûlera directement l’oxygène de l’air et l’hydrogène de l’eau. A ce moment-là il y aura sur la surface du globe environ un milliard de machines à vapeur de mille chevaux en moyenne, soit mille milliard de chevaux-vapeur fonctionnant nuit et jour.

Tout travail physique est fait par des machines ou par des animaux : l’homme ne le connaît plus que sous la forme d’une gymnastique savante, pratiquée uniquement comme hygiène. Mais tandis que ses machines lui vomissent incessamment des torrents de produits manufacturés, de ses usines agricoles sort à flots pressés une foule de plus en plus compacte de moutons, de poulets, de bœufs, de dindons, de porcs, de canards, de veaux et d’oies, tout cela crevant de graisse, bêlant, gloussant, mugissant, glougloutant, grognant, nasillant, beuglant, sifflant, et demandant à grands cris des consommateurs !

Or, sous l’influence d’une alimentation de plus en plus abondante, de plus en plus succulente, la fécondité des races humaines et des races animales va de jour en jour en s’accroissant. Les maisons s’élèvent étage par étage ; on supprime d’abord les jardins, puis les cours. Les villes, puis les villages, commencent à projeter peu à peu des lignes de faubourgs dans toutes les directions ; bientôt des lignes transversales réunissent ces rayons.

Le mouvement progresse ; les villes voisines viennent à se toucher. Paris annexe Saint-Germain, Versailles, puis Beauvais, puis Châlons, puis Orléans, puis Tours ; Marseille annexe Toulon, Draguignan, Nice, Carpentras, Nîmes, Montpellier ; Bordeaux, Lyon et Lille se partagent le reste, et Paris finit par annexer Marseille, Lyon, Lille et Bordeaux. Et de même dans toute l’Europe, de même dans les quatre autres parties du monde.

[…] L’humanité, reculant peu à peu devant la mer, s’est répandue sur les plaines incommensurables que l’océan a abandonnées. Elle y a apporté sa civilisation foudroyante ; déjà, comme sur les anciens continents, l’espace commence à lui manquer.

La voilà dans ses derniers retranchements : c’est là qu’elle va lutter contre l’envahissement de la vie animale.
C’est là qu’elle va périr !

Eugène Mouton, La fin du monde, 1872.
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