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Extrait

Découverte des ruines de Paris par la famille Zébulon

Joseph Méry, Les Ruines de Paris, 1856.
Dans Les Ruines de Paris, des savants citoyens d’une France établie en Afrique, en l’an 3509, découvrent les décombres de la ville qui a disparu dans « les divers cataclysmes que la terre a subi, soit de la part des hommes, soit de la part des éléments ». Si le ton est nettement ironique, la filiation avec Eugène Huzar ne fait aucun doute, comme le montre l’ouverture et les dévastations qu’elle décrit.

 

Le phalanstère atlasien est, sans contredit, la plus charmante création de la Fraternité africaine : ce coin de terre ne renferme que trois mille familles, mais il est proposé comme résidence modèle à tous les peuples de la Nouvelle-France, depuis Alger jusqu’aux sources du Nil.

L’amour des hautes études archéologiques a poussé deux voyageurs du phalanstère atlasien à visiter cette antique terre de France, où la civilisation a jeté ses premières lueurs, et dont l’histoire physique et morale n’est plus aujourd’hui qu’un chaos sans guide et sans rayon.

Denis Zabulon et Jérémie Artémias sont les flambeaux de la science moderne. Le premier a pour aïeul l’immortel physicien à qui le genre humain doit une paix inaltérable. On sait que ce grand philanthrope inventa, vers l’an 3509, cette admirable machine qui détruisit deux flottes de cinq mille vaisseaux à vapeur, et cent trente-trois mille combattants, en moins de temps qu’il n’en faut à une horloge pour sonner midi. Le sublime inventeur avait découvert que l’atmosphère maritime est inflammable sur une étendue de cent lieues carrées, et s’embrase spontanément au moyen d’un tison d’amiante pulvérisée. Avant cette découverte, les vaisseaux, armés de simples canons à la Paixhans perfectionnés, ne vomissaient qu’un millier de bombes incendiaires à la minute, de sorte qu’un tiers des deux flottes ennemies surnageait toujours après la bataille. L’aïeul Zabulon, en popularisant son philanthropique secret de destruction, obligea deux flottes à s’incendier naturellement jusqu’à la dernière chaloupe et au dernier matelot. Aussi, depuis trois siècles, on ne se bat plus dans l’univers ; l’excès du mal a engendré le bien.

L’univers a récompensé cette généreuse découverte en accordant à perpétuité à la famille Zabulon, jusqu’au jugement dernier, une pension de dix mille phalanstères d’or, hypothéqués sur le trésor du genre humain, à la mine de Quito. Denis Zabulon dépense noblement cette fortune héréditaire, et la fait servir au besoin ou aux plaisirs des frères Mappe-mondains.

Joseph Méry, Les Ruines de Paris, 1856.