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Extrait

Amanzéï le sopha désire Zeïnis

Crébillon fils, Le Sopha, chapitre XX, 1742

Il sembla dans cet instant que Brama voulut exaucer mes vœux. Le Soleil était alors à son plus haut point, il faisait une chaleur excessive ; Zéïnis se prépara bientôt à jouir des douceurs du sommeil, et tirant elle-même les rideaux, ne laissa dans le Cabinet que ce demi-jour si favorable au sommeil, et aux plaisirs, qui ne dérobe rien aux regards et ajoute à leur volupté, qui rend enfin la pudeur moins timide, et lui laisse accorder plus à l’amour.
Une simple tunique de gaze, et presque toute ouverte, fut bientôt le seul habillement de Zeïnis ; elle se jeta sur moi nonchalamment. Dieux ! avec quels transports je la reçue ! Brama, en fixant mon âme dans des sophas lui avait donné la liberté de s’y placer où elle le voudrait ; qu’avec plaisir en cet instant j’en fis usage !
Je choisis avec soin l’endroit d’où je pouvais le mieux observer les charmes de Zéïnis, et je me mis à les contempler avec l’ardeur de l’amant le plus tendre, et l’admiration que l’homme le plus indifférent n’aurait pu leur refuser. Ciel ! que de beautés s’offrirent à mes regards ! Le sommeil enfin vint fermer ces yeux qui m’inspiraient tant d’amour.
Je m’occupai alors à détailler tous les charmes qu’il me restait encore à examiner, et à revenir sur ceux que j’avais déjà parcourus. Quoique Zéïnis dormait assez tranquillement, elle se retourna quelquefois, et chaque mouvement qu’elle faisait, dérangeant sa tunique, offrait à mes avides regards de nouvelles beautés. Tant d’appas achevèrent de troubler mon âme. [...]
[Zéïnis] fit un mouvement, et se retourna. La situation où elle venait de se mettre m’était favorable, et malgré mon trouble, je songeai à en profiter. Zéïnis était couchée sur le côté, sa tête était penchée sur un coussin du sopha, et sa bouche le touchait presque. Je pouvais, malgré la rigueur de Brama, accorder quelque chose à la violence de mes désirs ; mon âme alla se placer sur le coussin, et si près de la bouche de Zéïnis qu’elle parvint enfin à s’y coller tout entière. […]
Elle essaya, mais vainement à se glisser tout entière dans Zéïnis ; retenue dans sa prison par les ordres cruels de Brama, tous ses efforts ne purent l’en délivrer. Ses élans redoublés, son ardeur, la fureur de ses désirs, échauffèrent apparemment celle de Zéïnis. Mon âme ne s’aperçût pas plutôt de l’impression qu’elle faisait sur la sienne qu’elle redoubla ses efforts. Elle errait avec plus de vivacité sur les lèvres de Zéïnis, s’élançait avec plus de rapidité, s’y attachait avec plus de feu. Le désordre qui commençait à s’emparer de celle de Zéïnis augmenta le trouble et les plaisirs de la mienne. Zeïnis soupira, je soupirai ; sa bouche forma quelques paroles mal articulées, une aimable rougeur vint colorer son visage. Le songe le plus flatteur vint enfin égarer les sens. De doux mouvements succédèrent au calme dans lequel elle était plongée.
 Oui ! tu m’aimes !, s’écria-t-elle tendrement.
Quelques mots, interrompus par les plus tendres soupirs, suivirent ceux-là.
 Doutes-tu, continua-t-elle, que tu ne sois aimé ?
Moins libre encore que Zéïnis, je l’entendais avec transport et n’avais plus la force de lui répondre. Bientôt son âme aussi confondue que la mienne s’abandonna tout au feu dont elle était dévorée, un doux frémissement… Ciel ! Que Zéïnis devint belle !

Crébillon fils, Le Sopha, Tome II, Paris : E. Flammarion, 1894, p. 171-175.
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