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Extrait

« Je ne compatis point à qui dit des sornettes »

Molière, Le Tartuffe, ou L'imposteur, acte II, scène 3

MARIANE
Mon Dieu ! de quelle humeur, Dorine, tu te rends !
Tu ne compatis point aux déplaisirs des gens.

DORINE
Je ne compatis point à qui dit des sornettes
Et dans l’occasion mollit comme vous faites.

MARIANE
Mais que veux-tu ? si j’ai de la timidité.

DORINE
Mais l’amour dans un cœur veut de la fermeté.

MARIANE
Mais n’en gardai-je pas pour les feux de Valère ?
Et n’est-ce pas à lui de m’obtenir d’un père ?

DORINE
Mais quoi ? si votre père est un bourru fieffé,
Qui s’est de son Tartuffe entièrement coiffé
Et manque à l’union qu’il avait arrêtée,
La faute à votre amant doit-elle être imputée ?

MARIANE
Mais par un haut refus et d’éclatants mépris
Ferai-je dans mon choix voir un cœur trop épris ?
Sortirai-je pour lui, quelque éclat dont il brille,
De la pudeur du sexe et du devoir de fille ?
Et veux-tu que mes feux par le monde étalés...?

DORINE
Non, non, je ne veux rien. Je vois que vous voulez
Être à Monsieur Tartuffe, et j’aurais, quand j’y pense,
Tort de vous détourner d’une telle alliance.
Quelle raison aurais-je à combattre vos vœux ?
Le parti de soi-même est fort avantageux.
Monsieur Tartuffe ! oh ! oh ! n’est-ce rien qu’on propose ?
Certes Monsieur Tartuffe, à bien prendre la chose,
N’est pas un homme, non, qui se mouche du pied, 
Et ce n’est pas peu d’heur que d’être sa moitié.
Tout le monde déjà de gloire le couronne ;
Il est noble chez lui, bien fait de sa personne ;
Il a l’oreille rouge et le teint bien fleuri :
Vous vivrez trop contente avec un tel mari.

MARIANE
Mon Dieu !...

DORINE
Quelle allégresse aurez-vous dans votre âme,
Quand d’un époux si beau vous vous verrez la femme !

MARIANE
Ha ! cesse, je te prie, un semblable discours,
Et contre cet hymen ouvre-moi du secours.
C’en est fait, je me rends, et suis prête à tout faire.

DORINE
Non, il faut qu’une fille obéisse à son père,
Voulût-il lui donner un singe pour époux.
Votre sort est fort beau : de quoi vous plaignez-vous ?
Vous irez par le coche en sa petite ville,
Qu’en oncles et cousins vous trouverez fertile,
Et vous vous plairez fort à les entretenir.
D’abord chez le beau monde on vous fera venir ;
Vous irez visiter, pour votre bienvenue,
Madame la baillive et Madame l’élue, 
Qui d’un siège pliant vous feront honorer.
Là, dans le carnaval, vous pourrez espérer
Le bal et la grand’bande, à savoir, deux musettes,
Et parfois Fagotin et les marionnettes,
Si pourtant votre époux....

MARIANE
Ah ! Tu me fais mourir.
De tes conseils plutôt songe à me secourir.
 

Molière, Le Tartuffe, ou L'imposteur, acte II, scène 3
Librairie des bibliophiles / Flammarion (Paris), 1894
 
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