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Les Adaptations des Misérables

Les Misérables, Théâtre du Mogador
Les Misérables, Théâtre du Mogador

Bibliothèque nationale de France

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C’est le propre des chefs-d’œuvre d’être indéfiniment actuels, sans cesse réinventés. Intéressants à suivre dans leurs métamorphoses, les protagonistes des Misérables ont très vite échappé à leur livre et à leur créateur pour devenir des mythes, s’adapter à toutes les civilisations, et faire partie de notre quotidien.
 

Des Illustrations en forme d'icônes

Les Misérables. 200 dessins par Brion
Les Misérables. 200 dessins par Brion |

Bibliothèque nationale de France

Dès sa sortie, le roman a inspiré des peintres, des illustrateurs et des caricaturistes, bientôt suivis par des sculpteurs. Les vingt-cinq compositions dessinées par Gustave Brion à sa sortie, reprises et complétées en 1865 dans la première édition populaire en un tome, ont fixé pour l’éternité les représentations (la Cosette de Bayard avec son balai, que l’on voit sur tous les bus de Londres, est une déclinaison de celle de Brion). Dès cette date-là et jusqu’à nos jours, les éditions illustrées se sont multipliées, quitte à prendre le pas sur le texte, comme pour les bandes dessinées et les mangas.

Les Misérables au théâtre

Les adaptations théâtrales ont aussi commencé très tôt : en Italie, dès la sortie des deux premiers tomes ; en Belgique après la sortie du dixième sous la plume de Charles Hugo, le propre fils de l’auteur, dans une version interdite en France jusqu’à la fin du Second Empire, créée à Paris en 1878. Entre les superproductions estivales en plein air et le théâtre d’objet pour marionnettistes en chambre, il s’en produit sans cesse de nouvelles, pour tous les goûts et dans tous les formats.

Les Misérables, affiche publicitaire
Les Misérables, affiche publicitaire |

Bibliothèque nationale de France

Le Radical publie Les Misérables
Le Radical publie Les Misérables |

Bibliothèque nationale de France

À l'écran

Le cinéma prit la relève du théâtre dès son invention : en 1897, une amusante production des frères Lumière présente en moins d’une minute Victor Hugo et les principaux personnages des Misérables. Capellani passe à six minutes en 1906, puis sans transition ou presque à 6h18 en 1912-1913, pour ce qui fut pendant quelques mois le plus long film du monde (3 400 mètres). La filmographie internationale des Misérables établie par Delphine Gleizes ne recense pas moins d’une cinquantaine d’adaptations (cinéma, télévision et dessin animé) entre 1897 et 2000. Si, à tous les points de vue, il vaut mieux oublier la dernière version française du fatal tandem télévisé Dayan-Decoin (2000), les films français importants se comptent finalement sur les doigts d’une main : après Capellani, le film muet en quatre époques de Fescourt (1925) qui durait 8h30, celui de Raymond Bernard en 1934 (noir et blanc), celui de Jean-Paul Le Chanois en 1957 (couleur), Robert Hossein en 1982 et Claude Lelouch en 1995, qui déplace l’intrigue au XXe siècle, et multiplie les mises en abyme. Quant à l’interprétation des rôles, force est de constater qu’il n’est guère de grand acteur absent de ces films – comme s’il était impossible d’être une star nationale sans avoir joué dans Les Misérables. Cette règle s’applique aussi à l’étranger (de Hollywood à Bollywood, du Brésil au Japon, de l’Égypte au Vietnam), dans une mesure à peine moindre.

En musique

Les transpositions musicales remontent elles aussi très haut dans le temps (dès 1864), mais elles ont toutes été éclipsées par le succès mondial inouï des Misérables mis en musique par Claude-Michel Schönberg sur un livret d’Alain Boublil et Jean-Marc Natel en 1980, qui reviennent épisodiquement en France, longtemps après leur changement de langue et leur traversée de la Manche (1985), puis de l’Atlantique (1987), qui les propulsa dans une tout autre dimension. « Les Miz » désormais indétrônables détiennent depuis les années 2000 le record mondial de longévité d’une comédie musicale ; ils comptent leurs spectateurs par dizaines de millions dans plus d’une vingtaine de langues et d’une quarantaine de pays. L’adaptation cinématographique de Tom Hooper, sortie en 2012, a surfé sur ce succès, battant encore partout de nombreux records, à l’exception de la France toujours rétive à ce genre-là.

Quoi qu’il en soit, un peu comme La Marseillaise et plus encore que le drapeau tricolore, Les Misérables ont cette rare qualité de représenter à la fois l’essence même de la France, républicaine et généreuse, et l’universalité par excellence. C’est sans doute l’une des conséquences les plus heureuses du long exil de leur auteur. À son éditeur italien, qui lui transmettait dès octobre 1862 les récriminations de certains de ses compatriotes considérant qu’un si gros roman ne les concernait pas puisqu’il était français, Victor Hugo se défendait en effet d’avoir écrit pour la France davantage que pour les autres pays ; il tenait même à mériter la critique qui lui avait été faite d’être désormais en dehors d’un supposé « goût français », car elle témoignait de « l’élargissement croissant de la civilisation ». Il souhaitait à ses livres de « devenir européens ; je dis plus, humains ». Objectif pleinement atteint.