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Focus

Érotique du bijou au siècle des Lumières 

L’anneau d’Hans Carvel
L’anneau d’Hans Carvel

© Paris, Musée du Petit Palais, CC0

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Selon le dictionnaire de l’Académie française de 1798, « on dit d'un petit ouvrage achevé dans son genre et délicatement travaillé, que c’est un vrai bijou ». On le dit du sexe féminin, comme masculin, vrais bijoux aux yeux des contemporains du 18e siècle, où le mot se répand à travers le succès de romans, d’épigrammes, de chansons ou de contes libertins.

Portrait de femme au sein dénudé
Portrait de femme au sein dénudé |

© GrandPalaisRmn (PBA, Lille) / Stéphane Maréchalle

Au bonheur du bijou : au propre comme au figuré

Tressant les liens entre joyau, joujou, bijou, Charles Deslys (1821-1885) se trompe sur l’étymologie du dernier mot en commençant par signaler que « joyau comme joujou a pour étymologie la racine jo, jou, joc, d’où dérivent également jeu, joie, jouir ». De là, explique-t-il par erreur, « "bis" et "jou, bijou", qui fait deux fois plaisir1». Il n’empêche. Si le mot bijou vient du breton bizou, un anneau pour le doigt, on n’a pas tort de le faire dériver du latin bis et joculum, bis et joie. Le motif de la joie se développe à travers lui. 

Encore faut-il distinguer le bijou du joyau. Les synonymes appellent des éclaircissements, que rappelle Pierre-Joseph-André Rouaud (1731-1791) : « Les joyaux sont plus beaux, plus riches, plus précieux ; les bijoux sont plus jolis, plus agréables, plus curieux. Dans la comparaison, on voit le joyau plus en grand, et le bijou plus en petit. » Familiarité d’un côté, magnificence de l’autre. La proximité avec joujou fait son effet. Le bijou est plus modeste ; le joyau, bien plus cher. La joaillerie comprend le commerce des pierres qui ne sont pas taillées. Le bijou repose sur le travail de l’ouvrage. Exercice de minutie. Le style rococo fête l’aimable, le mignon, le coquet, les petits riens, les délices miniatures. Inutile de voir les choses en grand. Il faut aimer, désirer, le « joli ». De là qu’on préfère nommer bijou plutôt que joyau le sexe féminin.   

Les bijoux indiscrets 

En 1747, reprenant le motif d’un fabliau du 13e siècle, Du Chevalier qui fist les cons parler, l’abbé de Bernis (1715-1794) fait paraître Nocrion, conte allobroge (dont le titre doit se lire à l’envers, Noir con ou Con noir). Un an plus tard, Denis Diderot (1713-1784) crée le scandale avec ses Bijoux indiscrets2. Sous le nom du sultan Mangogul, le récit met en scène Louis XV dont Mirzoza, la favorite (la marquise de Pompadour) a peu de goût pour les caresses et n’a plus rien à raconter. L’ennui menace. Comment tenir sans anecdotes sexuelles ? Le génie du roman trouve la solution : que le sultan tourne sa bague vers une femme, et son sexe livrera ses aventures : « Toutes les femmes sur lesquelles vous en tournerez le chaton, raconteront leurs intrigues à voix haute, claire et intelligible. » 

Zuleïman et Zaïde
Zuleïman et Zaïde |

Bibliothèque nationale de France

Le bijou relance la rumeur sexuelle qui roule au long du siècle. Les bijoux parlants interpellent le monde. « Arrêtez, beau masque ; ne soyez point insensible à l’ardeur d'un bijou qui brûle pour vous. » De là tant de bijoux dans la littérature ! C’est à l’Amour, c’est au dieu lui-même qu’est réservé « ce bijou précieux, ce conin que la nature avait mis au nombre de ses merveilles3». Les leçons données aux jeunes gens par le comte de Mirabeau (1749-1791) - « Nous avons donc dit jusqu’à présent comment on mettait l’outil du garçon au bijou de la fille » - croisent les avertissements de Joseph Vasselier (1735-1798) quant à l’abus des bains de champagne.

II ne faut pas s’en étonner,
Si son bijou, quoi que je dise,
Fait tous les jours quelque sottise,
Puisqu’on l’enivre avant dîner.

Vasselier, Contes, 1800
 

Au féminin comme au masculin : le frisson du plaisir 

L’anneau d’Hans Carvel
L’anneau d’Hans Carvel |

© Paris, Musée du Petit Palais, CC0

Bijou se dit aussi du sexe masculin quand il a belle allure. Dans la Correspondance d’Eulalie (1785), mademoiselle Julie examine le jeune officier assis à son côté : « Je vis alors paraître un bijou qui me fit frissonner de crainte et de plaisir. » Dans le Tribut de la toilette (1740), recueil gaillard, la chanson de La Trocqueuse fixe l’échange amoureux sur l’air du Plaisir des belles (vaudeville nouveau) :  

« J’avais reçu de ma mère 
Un certain anneau de prix 
Il avait, grâce à son père, 
Un bijou des plus exquis ; 
- Troquons les tous deux, mon ange,
Dit-il avec un soupir 
Je consentis à l’échange 
Et j’y pris bien du plaisir. » 

On ne compte plus, au long du siècle, les références obscènes à l’anneau sexuel, qu’il soit féminin ou masculin. Dans Le Sultan Misapouf (1746), Claude-Henri de Fusée de Voisenon (1708-1775) sature son texte du motif du petit doigt qui cherche un anneau à sa taille. La reine y accouche de deux filles dont l’une a un anneau « aussi petit que l’autre est prodigieux ». Le doigt du sultan lui-même est envoûté : « Mais je crois que la fée avait enchanté mon petit doigt, car il grossissait à mesure que je l’approchais de l’anneau. » 

Précieux fascinum 

Femme nue dans un encadrement de fenêtre
Femme nue dans un encadrement de fenêtre |

Bibliothèque nationale de France

Phallus votif sous la forme d’un lion ailé
Phallus votif sous la forme d’un lion ailé |

Bibliothèque nationale de France

Rien d’étonnant si le même mot « bijou » désigne également le godemiché. Objet précieux, trésor de la cassette, l’engin consolateur suscite toutes les convoitises. Dans L’Académie des dames de Nicolas Chorier (1612-1692), Tullie explique à Octavie que, l’art devenu le rival de l’amour dès l’Antiquité, on le considère aujourd’hui comme le meuble le plus essentiel d’une toilette. Relancé par les découvertes d’Herculanum et de Pompéi, le fascinus s’impose comme une figure privilégiée de l’illustration libertine, qu’il soit représenté seul ou en guirlande, au seuil des recueils de contes ou de chansons, au milieu des rubans et des fleurs. L’Errotika Biblion (1783) de Mirabeau rappelle que les dames romaines portaient un phallus à leur cou : « Ce bijou précieux était ordinairement d'or, d'ivoire, de verre ou de bois. » 

Pendentif phallique ailé
Pendentif phallique ailé |

© Alienor.org, musées de Poitiers

Amulette phallique
Amulette phallique |

© Musée du Louvre

L’orfèvrerie nous revient. C’est dire à quel point, dans l’histoire érotique du bijou, les sens propres et figurés s’interpellent, se croisent, se confondent. C’est dire aussi à quel point les bijoux font leur effet en faisant tourner les têtes. Car si les bijoux parlants de Diderot avouent leurs amants (ou leurs maîtresses), les bijoux que les filles galantes et les femmes de la cour portent sur elles affichent leurs aventures. On ne compte plus les mémoires, les anecdotes, les rapports de police dans lesquels un bijou solde une galanterie. De combien de nuits, madame, cet esclavage est-il le prix ? Voilà un bracelet qui marque bien des talents. C’est par l’intermédiaire de madame Commode, marchande à la toilette, habile entremetteuse, que Suzette - qui affronte les Dangers du Libertinage (1778) - cède aux propositions du milord qui lui offre un écrin rempli de pierreries. Confidente discrète, tentatrice habile, revendeuse parfois de bijoux volés, la marchande d’amour qui circule d’une toilette à l’autre assure les promesses du plaisir, quand la minéralité de la pierre rencontre l’intimité de la chair, quand le bijou qui s’expose aux regards et le plus secret repli du corps répondent l’un de l’autre. 

La Marchande à la toilette
La Marchande à la toilette |

© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Adrien Didierjean

Notes

  1. « Histoire de l’industrie en France. L’Orfèvrerie et les orfèvres », Musée des familles, t. 37, 1869-1870. Voir également Charles Deslys, Les Orfèvres français. Un Antiquaire, Paris, C. Delagrave, 1882.
  2. De sorte que le récit de l’abbé de Bernis est réédité en 1750 sous le titre de L'Origine des bijoux indiscrets, ou Nocrion. 
  3. Le Degré des âges du plaisir ou Jouissances voluptueuses de deux personnes de sexes différents aux différentes époques de la vie, recueilli sur des mémoires véridiques par Mirabeau, ami des plaisirs, À Paphos, de l’Imprimerie de la mère des Amours, Honoré Mirabeau, 1793.