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Les Poëmes saturniens sous le feu des critiques

C'est peu de dire que les Poëmes saturniens ne frappèrent pas leurs contemporains. Sur les six critiques qui parurent dans la presse en 1866, au moment de leur première publication, la plupart ne virent dans la poésie de Verlaine que des vers mal tournés et peu originaux. Au moment de la mort de Verlaine, le Congrès des Poètes, rassemblé en son honneur, leur préfère de loin Sagesse, les Fêtes Galantes ou les Romances sans paroles. Ce n'est qu'après plusieurs décennies que cet ouvrage de jeunesse, financé par sa cousine, soit considéré comme l'un des chef d'œuvre du poète maudit.

Les critiques de 1866

Une critique globalement négative

« Et maintenant je vous dirai […] que je ne puis admettre des coupes, des césures comme il y en a aux pages 18, 27, 100, 108 (vous les retrouverez bien) : l’oreille la plus exercée à la poésie s’y déroute et ne peut s’y reconnaître. Il y a limite à tout… »

Sainte-Beuve, Lettre à Paul Verlaine, 10 décembre 1866, cité dans Olivier Bivort, Verlaine, PUPS, 1997, p. 23.

« Pauvre jeunesse ! Ils ont vingt ans de la veille — les ont-ils ? – et leur principale inquiétude consiste à ne point se laisser aller aux expansions que leur âge comporte. Ils n’ont qu’un souci : rimer à cinq lettres et trouver l’emphase. Les cinq lettres sont comptées ; les niaiseries et les puérilités, point ! »

Charles Bataille, Le Mousquetaire, 27 novembre 1866.

« Un Baudelaire puritain, — combinaison funèbrement drolatique, — sans le talent de M. Baudelaire, avec les reflets de M. Hugo et d’Alfred de Musset, ici et là. Tel est M. Verlaine. Pas un zeste de plus ! Il a dit quelque part, en parlant de je ne sais qui : cela, du reste, n’importe guère, "Elle a/l’inflexion des voix chères qui se sont tues !". Quand on écoute M. Verlaine, on désirerait qu’il n’eût jamais d’autre inflexion que celle-là. »

Jules Barbey d’Aurevilly, « Les trente-sept médaillonnets du Parnasse contemporain » dans Le Nain jaune, 7 novembre 1866.

Mallarmé, une exception

« […] Je vous dirai avec quel bonheur j’ai vu que de toutes les vieilles formes, semblables à des favorites usées, que les poètes héritent les uns des autres, vous avez cru devoir commencer par forger un métal vierge et neuf, de belles lames, à vous, plutôt que de continuer à fouiller ces ciseleurs effacés, laissant leur ancien et vague aspect des choses. Vous vous êtes fait maintenant des armes, que vous serez libre d’approfondir (elles ont parfois un peu cet air d’audace qui ne sied si bien qu’à un premier volume). »

Stéphane Mallarmé, Lettre à Paul Verlaine, 20 décembre 1866.

Après 1866

Catulle Mendès et le « poète sinistre »

« Un poète sinistre : Paul Verlaine.

Les tireurs d’horoscopes disent : "Ceux qui sont nés sous le signe de Saturne se complaisent dans les idées lugubres, car ils sont grondeurs, chagrins, mornes. Ils rient rarement et passent volontiers leur vie auprès des lieux humides et sur le bord des étangs et de sombres lacs." Les premiers vers de Paul Verlaine portèrent le nom de Poëmes saturniens : ils étaient bien nommés. Une humeur noire, inquiète, bizarrement amoureuse de la peur et de la mort, ricanait dans ces courtes pièces d’un art très volontaire et très subtil. Et si visible qu’y fût l’influence de Charles Baudelaire, on était bien forcé d’y reconnaître aussi une saveur perverse, très personnelle. »

Catulle Mendès, La légende du Parnasse contemporain, Bruxelles : A. Brancart, 1884, p. 287-288 (lire en ligne).

Anatole France : un poète inspiré

« Non certes, les Poëmes saturniens publiés en 1867 […] n’annonçaient point le poète le plus singulier, le plus monstrueux et le plus mystique, le plus compliqué et le plus simple, le plus troublé, le plus fou, mais à coup sûr le plus inspiré et le plus vrai des poètes contemporains. Pourtant, à travers les morceaux de facture, et malgré le faire de l’école, on y devinait une espèce de génie étrange, malheureux et tourmenté. »

Anatole France, La vie littéraire, troisième série, Paris : Calmann-Lévy, [1891] (lire en ligne).