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Vénus, Bel Accueil, Malebouche et Jalousie

Roman de la rose
Vénus, Bel Accueil, Malebouche et Jalousie
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A gauche, Vénus plaide la cause de l’Amant à Bel-Accueil qu’elle enflamme de son brandon, et Bel-Accueil octroie à l’Amant la faveur d’embrasser la Rose.
Vénus va droit à Bel-Accueil
Et céans commence à lui dire :
Pourquoi vous montrez-vous, beau Sire,
Vers cet amant si dédaigneux,
Et de ce baiser savoureux
Pourquoi si longtemps vous défendre ?
Car vous devez voir et comprendre
Qu’il aime en toute loyauté,
Et suffisante est sa beauté
Pour vaincre votre indifférence.
Quelle grâce, quelle élégance !
Comme il est beau, comme il est gent,
A tout le monde doux et franc !
Puis il est à la fleur de l’âge,
Ce n’est pas son moindre avantage.
Si, dédaignant de l’apaiser,
Lui refuser ce doux baiser
Je voyais dame ou châtelaine,
Je la tiendrais pour moult vilaine.
Accordez-lui cette douceur,
Mieux n’emploirez votre faveur.
Car il a, je crois, douce haleine,
Et sa bouche n’est pas vilaine,
Il semble fait pour les désirs,
Pour les soulas et les plaisirs ;
Il a les lèvres vermeillettes
Et les dents si blanches et nettes
Qu’ordure ou tache l’on n’y voit ;
A mon avis, c’est à bon droit
Qu’un baiser au moins on lui donne ;
Faites-le donc, je vous l’ordonne,
Car plus vous aurez attendu,
Plus vous aurez de temps perdu.
Bel-Accueil, quand il sentit prendre
En lui le feu, sans plus attendre,
D’un baiser m’octroya le don.
Tant fit Vénus et son brandon
Qu’il n’osa faire résistance.
Lors vers la Rose je m’élance
Cueillir le savoureux baiser.
Quel bonheur, vous devez penser !
Soudain un doux parfum m’inonde
Dissipant ma douleur profonde,
Et adoucit le mal d’aimer
Qui tant me soulait être amer.
Onques tant ne me sentis d’aise,
Moult guérit qui telle fleur baise
Si suave et qui si bon sent.
Je ne serai plus si dolent,
Il suffira qu’il m’en souvienne
Et de joie aurai l’âme pleine !
Et pourtant j’ai bien des ennuis
Soufferts et de bien tristes nuits
Depuis que j’ai baisé la Rose !
Jamais tant la mer ne repose
Que ne la trouble un peu de vent.
Amour aussi change souvent ;
Il blesse et guérit eu une heure,
En un point guère ne demeure.


A droite, Malebouche (la médisance) dénonce l’Amant à Jalousie, et Jalousie tance Bel-Accueil pour avoir permis le baiser entre la Rose et l’Amant.


Maintenant je vous vais conter
Comment vint me persécuter
Honte qui me fut si fatale,
Comment fut la tour infernale
Bâtie et le beau château fort
Qui tant d’Amour brava l’effort.
Toute l’histoire en veux poursuivre
Et céans mettre dans mon livre.
Je l’espère, elle charmera
La belle qui m’en donnera,
S’elle y consent, la récompense
Mieux que nulle autre, sans doutance
Malebouche qui le projet
Des amants prévient et défait,
Pour le plaisir de leur mal faire
Et jamais ne saurait se taire,
S’aperçut du tendre méfait
Que pour moi Bel-Accueil a fait.
Ce fils d’une vieille grogneuse,
La langue amère et venimeuse
Et piquante et mordante avait,
Tout par lui sa mère savait.
Malebouche dès lors commence
A nous épier en silence,
Et dit qu’il gage bien un oeil
Qu’entre moi et puis Bel-Accueil
Se trame quelque male chose.
Tant le fol fait sur nous de glose,
Le fils de Courtoisie et moi,
Qu’enfin toute pleine d’effroi
S’éveille et lève Jalousie
Quand la nouvelle elle eut ouïe.
Soudain sur ses pieds elle fut,
Et comme une folle courut
A Bel-Accueil qui voudrait être
A Étampes ou Meaux peut-être.


Jalousie parle :
Elle a Bel-Accueil assailli
"Vilain, qui te rend si hardi
De rechercher ainsi cet homme
Dont j’ai mauvais soupçon en somme ?
Bien aisément, à mon avis,
Les étrangers prends pour amis.
En toi désormais ne me fie,
Et puisque n’ai d’autre sortie,
Je te vais de liens serrer
Ou dans une tour enserrer.
Trop s’est de toi Honte éloignée
Et ne s’est pas assez donnée
A te garder et tenir court,
Et m’est avis qu’elle secourt
Bien mal Chasteté, puisque laisse
Le premier venu, par simplesse,
Dedans notre pourpris entrer,
Pour tous deux nous déshonorer."
Bel-Acceuil, la langue interdite,
Hésitait ; il eût pris la fuite,
Mais elle l’avait là trouvé
Et pris avec moi tout prouvé.
Aussi quand je vis la fâcheuse
Courir hurlante et furieuse,
Je m’esquivai moult inquiet,
Ennuyé de tout ce caquet.
...

Bibliothèque nationale de France

  • Date
    1230-1280
  • Auteur(es)
    Guillaume de Lorris et jean Meun
  • Description technique
    Parchemin. - 200 ff. - 350 x 250 x 35 mm
  • Provenance

    BNF, Manuscrits (Fr. 12595 fol. 027v et 028)

  • Lien permanent
    ark:/12148/mm130200388h