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Pêche de Monoceros ou Licorne de mer

Détail du globe terrestre de Coronelli  
Pêche de Monoceros ou Licorne de mer
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Avant de faire l’explication de la licorne de mer, il est à propos de dire ici quelque chose de celle de terre dont il est tant parlé dans le monde, et qui est si fameuse dans les écrits des Anciens.

La licorne terrestre est un animal à quatre pieds qui ne se trouve que dans une seule province d’Éthiopie, Agoas. C’est un animal fort craintif et fort sauvage qui se retire dans les bois. Plusieurs auteurs qui en ont écrit en disent bien des merveilles ou pour mieux dire bien des faussetés. Aristote qui vivant il y a plus de 2000 ans a regardé comme une fable ce qui a été dit de la licorne, par le premier qui en a écrit. Entre le grand nombre de ceux qui en ont parlé depuis il n’y en a pas deux qui s’accordent ensemble, dans la description qu’ils en font, excepté dans la corne qu’ils en font longue et droite, menue et tortillée et qu’ils lui placent au milieu du front. Les uns disent qu’elle ressemble à un cheval, les autres à un âne, à un cerf, à un bouc, où un éléphant, à un rhinocéros et à un lévrier. Il y en a qui disent qu’elle est amphibie, que sa corne est mobile, que sa force est dans sa corne et qu’étant poursuivie par des chasseurs, elle se précipite du haut des rochers et tombe sur sa corne sans se faire de mal. (L’inventeur de cette fable devait bien dire comment fait cet animal pour se relever, ayant sa corne enfoncée dans la terre.)

Depuis plus de deux siècles que les Européens vont par toute la terre et même dans l’Abyssinie, qui est le prétendu pays de la licorne, il n’y a pas un seul auteur digne de foi, qui assure rien de cet animal. Comme il y a plusieurs animaux dans les Indes qui n’ont qu’une corne, entre autre le rhinocéros, ce dernier pourrait bien avoir donné lieu à la fable de la licorne terrestre. Quoique cette licorne ne soit qu’une pure chimère, cependant il est extraordinaire que les Anciens se soient figurés un animal ayant une corne au milieu du front, comme il s’en est trouvé un, plus de 2000 ans après dans la mer Glaciale où ils n’avaient jamais été.

On trouve dans les mers glaciales un poisson qu’on peut mettre au rang des baleines pour la grosseur, qui a une longue corne au milieu du front, comme on le voit représenté dans le globe en cet endroit. Celui-ci fut pêché par les Danois en 1653. Sa corne était de dix pieds de longueur et tortillée comme un câble dans toute sa longueur ; le bout par où elle était attachée à la tête était plus gros que le bras et elle était fort pointue par l’autre bout. La chair de ce poisson n’est pas bonne à manger, elle ne vaut même rien pour faire de l’huile.

Cet animal se bat contre la baleine et la tue en lui enfonçant sa corne dans les flancs ; ce qu’il fait en sautant hors de l’eau et se lançant contre la baleine, il peut même percer un vaisseau en se lançant de la même manière et les pilotes qui passent dans ces mers, prennent grand soin de l’éviter. Quelques-uns veulent qu’il se serve de sa corne pour ranger les glaçons qu’il trouve dans son passage et que c’est là la raison pourquoi on en trouve beaucoup qui sont rompues. Il est plus croyable qu’il la casse en se battant contre d’autres poissons. La Martinière qui était avec les Danois à cette pêche, dit dans son livre du voyage du nord d’où cette pêche a été tirée, qu’ils rencontrèrent une vingtaine de ces poissons vers les côtes de la Nouvelle-Zemble, entre lesquels il s’en trouva trois qui avaient une corne.

Cependant les Hollandais qui ont parcouru ces mêmes côtes trois ans de suite, ne parlent en aucune façon de la licorne de mer, mais bien d’un autre gros poisson qu’ils nomment Walrus et qui pourrait bien être de la même espèce que ceux que La Martinière rencontra qui n’avaient point de corne, car ils disent l’un et l’autre que ce poisson a deux grandes dents qui sont un très bel ivoire. Il est étonnant qu’il y ait tant de cornes de licorne en Europe, et qu’on ne sache pas bien quel animal la porte. La Martinière n’a pas vu la licorne de mer qu’il décrit, quiconque lira son livre avec attention, reconnaîtra aisément qu’il n’est pas témoin oculaire de ce qu’il y rapporte. Je n’ai cependant trouvé que lui qui dépeigne cet animal d’une manière vraisemblable, car La Peyrère qui a fait un ouvrage entier sur la licorne de mer ne parle que de poissons qui ont une dent à la mâchoire supérieure et qu’il dit être la corne de licorne. Aux uns, il la place dans le milieu de la mâchoire et aux autres il la met un peu à côté. L’une et l’autre manière paraît absurde. Ces poissons sont nommés narwal par les Irlandais.

Ce qu’il y a de certain sur ce sujet, c’est qu’il y a un grand nombre de cornes de licorne en Europe, tant grandes que petites, les unes entières, les autres rompues. Il y en a plus de vingt à Paris, dans les cabinets des curieux, qui sont toutes entières, longues et très belles. Dans Venise, il s’en trouve un bon nombre de toutes les façons, mais où il y en a le plus c’est en Danemark où le trône des rois en est fait.

Les Danois sont les premiers qui ont fréquenté la mer Glaciale. Ils y ont l’île d’Island qu’ils ont peuplée il y a près de 1000 ans. Ils disent aussi qu’ils ont envoyé des colonies dans le Groenland quelque temps après s’être établi en Islande, mais que la quantité de glaces dont les côtes sont remplies, leur ont fait abandonner ce pays. Voilà pourquoi les Danois sont si bien fournis en cornes de licorne qu’ils vont vendre partout, les faisant passer pour des cornes de licorne terrestres. 

Quelques-uns ont prétendu que ces sortes de cornes étaient faites de dents d’éléphant. Si cela était, il serait aisé de s’en assurer, car les dents d’éléphant étant courbes et ayant des fibres comme le bois on les remarquerait aisément dans les cornes de licorne qui sont fort droites. C’est à quoi j’ai bien pris garde en examinant celle de la Bibliothèque de Sainte Geneviève de Paris, qui est une des plus belles qui se voient. Elle a 8 pieds de longueur et 9 pouces de tour par le gros bout. La licorne de mer se pêche avec le harpon comme la baleine.

Bibliothèque nationale de France

  • Date
    1681-1683
  • Lieu
    Paris
  • Auteur(es)
    Vincenzo Maria Coronelli (1650-1718), cartographe et cosmographe
  • Description technique
    Charpente en bois, armatures métalliques, peintures
    Diamètre : 3,85 m. 2,3 tonnes
  • Provenance

    BnF, département des Cartes et plans, GE A 500 RÉS

  • Lien permanent
    ark:/12148/mm5022005996