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Le repas chez la femme du procureur

Les Trois Mousquetaires
Le repas chez la femme du procureur
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Les Trois Mousquetaires, publiés d’abord en feuilleton, sont composés d’une suite d’épisodes bien ficelés, alternant moments dramatiques et épisodes comiques, comme c’est le cas ici.
Porthos est invité à dîner chez le procureur.

«

Bientôt l’heure du dîner arriva. On passa dans la salle à manger, grande pièce noire qui était située en face de la cuisine.
Les clercs, qui, à ce qu’il paraît, avaient senti dans la maison des parfums inaccoutumés, étaient d’une exactitude militaire, et tenaient en main leurs tabourets, tout prêts qu’ils étaient à s’asseoir. On les voyait d’avance remuer les mâchoires avec des dispositions effrayantes.
"Tudieu ! pensa Porthos en jetant un regard sur les trois affamés, car le saute-ruisseau n’était pas, comme on le pense bien, admis aux honneurs de la table magistrale ; tudieu ! à la place de mon cousin, je ne garderais pas de pareils gourmands. On dirait des naufragés qui n’ont pas mangé depuis six semaines. " […]
Après le potage la servante apporta une poule bouillie, magnificence qui fit dilater les paupières des convives, de telle façon qu’elles semblaient prêtes à se fendre.
 On voit que vous aimez votre famille, madame Coquenard, dit le procureur avec un sourire presque tragique ; voilà certes une galanterie que vous faites à votre cousin.
La pauvre poule était maigre et revêtue d’une de ces grosses peaux hérissées que les os ne percent jamais malgré leurs efforts ; il fallait qu’on l’eût cherchée bien longtemps avant de la trouver sur le perchoir où elle s’était retirée pour mourir de vieillesse.
"Diable ! pensa Porthos, voilà qui est fort triste ; je respecte la vieillesse, mais j’en fais peu de cas bouillie ou rôtie."
Et il regarda à la ronde pour voir si son opinion était partagée ; mais tout au contraire de lui, il ne vit que des yeux flamboyants, qui dévoraient d’avance cette sublime poule, objet de ses mépris.
Mme Coquenard tira le plat à elle, détacha adroitement les deux grandes pattes noires, qu’elle plaça sur l’assiette de son mari ; trancha le cou, qu’elle mit avec la tête à part pour elle-même ; leva l’aile pour Porthos, et remit à la servante, qui venait de l’apporter, l’animal, qui s’en retourna presque intact, et qui avait disparu avant que le mousquetaire eût eu le temps d’examiner les variations que le désappointement amène sur les visages, selon les caractères et les tempéraments de ceux qui l’éprouvent.
Au lieu de poulet, un plat de fèves fit son entrée, plat énorme, dans lequel quelques os de mouton, qu’on eût pu, au premier abord, croire accompagnés de viande, faisaient semblant de se montrer.
Mais les clercs ne furent pas dupes de cette supercherie, et les mines lugubres devinrent des visages résignés. »

Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires, 1844.
>Texte intégral dans Gallica : Paris, Fellens et Dufour, 1846

Bibliothèque nationale de France

  • Date
    1894
  • Lieu
    Paris
  • Auteur(es)
    Alexandre Dumas (1802-1870), auteur ; Maurice Leloir (1853-1940), dessinateur ; Jules-Jean-Marie-Joseph Huyot (1841-1921), graveur ; Calmann Lévy, éditeur
  • Description technique
    Gravure sur bois
  • Provenance

    BnF, département de Littérature et art, 4-Y2-5119 (1)

  • Lien permanent
    ark:/12148/mm132202575j