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Des sauvages faisant la cassave qui est un pain fait de racines

Détail du globe terrestre de Coronelli 
Des sauvages faisant la cassave qui est un pain fait de racines
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Dans le vaste continent de l’Amérique il y a peu d’endroits où le blé puisse venir à maturité et on est obligé d’y apporter de la farine d’Europe.

Le raisin même n’y mûrit pas bien, car dans une même grappe on y trouve des grains mûrs, les uns plus, les autres moins, d’autres pourris et du verjus. La nature a pourvu à ce défaut par le maïs ou blé d’Inde qui y croît à merveille et surtout par le manioc qui est une racine dont les sauvages font du pain qu’ils appellent cassave qui y vient en si grande abondance que dans un arpent bien planté, on en recueille cinq ou six fois autant de monde qu’un arpent de blé en pourrait nourrir. C’est la manière de faire du pain avec cette racine qui est représentée sur le globe à cet endroit.

Le manioc est une racine semblable aux navets, mais beaucoup plus grosse et qui se cultive de la même manière. Voici comment on en fait du pain. Le manioc étant bien nettoyé, on le râpe pour le mettre en farine, mais comme le suc de cette racine est un poison fort violent, on met cette farine en presse, puis on la fait sécher au soleil, après cela on la passe au tamis. Le pain ou la cassave se fait en étendant environ un doigt de haut de cette farine sur une plaque de fer posée sur le feu, cette farine ainsi accommodée, se lie d’elle même sans eau, et on la retourne plusieurs fois à mesure qu’elle cuit avec une palette de bois, propre pour cela. La cassave étant cuite, on la fait sécher au soleil sur la couverture des toits des cases dans cet endroit.

Plus ce pain est mince, plus il est agréable à manger, de manière que les Européens qui en mangent, les font aussi minces que des oublies. Ce pain étant bien façonné est aussi bon que le pain fait de farine d’Europe qu’on mange en Amérique et de plus cette nourriture est fort saine et se garde plus d’un an sans se gâter. Les Espagnols et les Portugais qui sont dans l’Amérique font leurs provisions de cassave, tant pour munir leurs forts que pour leurs vaisseaux.

Pour râper le manioc on se sert d’une roue dont la circonférence est couverte de plaques de laiton, piquée comme une râpe à bois et montée au dessus d’une huche dans laquelle elle entre en partie par le bas. Pendant que deux sauvages tournent cette roue, un troisième présente la racine auprès pour être râpée ce qui a beaucoup de rapport à la manière d’aiguiser les couteaux et autres instruments tranchants, pratiquée chez les taillandiers. Les Américains disent gréger le manioc pour dire râper le manioc et les râpes, ils les nomment grèges.

Avant que les Européens eussent découvert l’Amérique, les sauvages n’avaient point d’autres grèges que des planches garnies de petits cailloux tranchants enfoncés en partie dans le bois. Cette espèce de râpe était beaucoup inférieure à celle dont nous venons de parler, car outre qu’elle ne faisait pas la farine à beaucoup près si fine, elle était bien moins expéditive.

Pour faire sortir le suc de la farine du manioc on la presse dans des sacs que l’on pose les uns sur les autres, mettant des planches entre eux. Le levier qui appuie dessus est attaché par le petit côté à une souche d’arbre et on le charge de pierres par le bout du grand côté.

Ils ont une autre manière de pressoir qui est fort ingénieuse, c’est un panier fait de roseaux, entrelacés de biais, c’est-a-dire que tous les brins qui composent le panier, vont de haut en bas en se croisant, une moitié allant à droite, et l’autre à gauche.

Ce panier étant plein de farine on l’attache par l’anse d’en haut à une branche d’arbre, puis en le tirant par l’anse d’en bas on le fait allonger, ce qui presse la farine, mais pour le tirer avec plus de force, on se sert du levier. Ce panier se nomme parmi les sauvages manatès et nous l’appelons couleuvre, à cause qu’étant allongé, il a la figure de ce reptile.

Depuis quelques années, on se sert pour le même usage de petits pressoirs assez semblables à ceux pour le raisin, et avec ces nouveaux pressoirs on presse plus de farine de manioc en peu d’heures, qu’on n’en pressait en plusieurs jours avec ceux que nous venons de décrire.

Pour passer la farine de manioc on se sert d’une espèce de crible carré, fait de roseaux que les sauvages nomment hibichet.

La platine de fer sur laquelle on fait cuire la cassave est ronde, elle a 18 à 20 pouces de diamètre et un demi pouce d’épaisseur et elle a trois pieds comme les platines à repasser le linge. Les anciennes sont de terre et posées comme sur trois cailloux en forme de pieds.

On voit encore dans cet endroit un sauvage qui fait bouillir la marmite.

M. Couplet le fils, académicien, dans le voyage qu’il fit au Brésil en 1698, pour les observations physiques et mathématiques fit l’expérience du suc de manioc sur un chien. Il fit boire à cet animal un demi verre du suc de cette racine, qui le fit mourir en peu de temps.

Bibliothèque nationale de France

  • Date
    1681-1683
  • Lieu
    Paris
  • Auteur(es)
    Vincenzo Maria Coronelli (1650-1718), cartographe et cosmographe
  • Description technique
    Charpente en bois, armatures métalliques, peintures
    Diamètre : 3,85 m. 2,3 tonnes
  • Provenance

    BnF, département des Cartes et plans, GE A 500 RÉS

  • Lien permanent
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