Le Roman de Tristan en prose

© Bibliothèque nationale de France
Tristan et Iseut dans la forêt du Morois
Le Roman de la poire raconte les échanges amoureux du narrateur et d’une dame qu’il aime en secret. La figure d’Amour est escortée par des couples célèbres, tels Tristan et Iseut dont certains épisodes sont rapportés.
Véritable psautier d’amour, ce petit manuscrit d’un raffinement exquis passe pour avoir été offert à une princesse de sang royal prénommée Agnès, à Paris, vers 1250-1260. Il a été illustré par un atelier parisien, dit du Maître de Bari. Le Roman de la poire qu’il contient est une longue allégorisation de l’entrée en amour de l’amant (ici l’auteur, Tibaut) pour sa dame (Agnès). En exergue de ce long poème de plus de trois mille vers apparaissent quatre couples d’amoureux exemplaires, :Tristan et Iseut, Cligès et Fénice, Pyrame et Thisbé, Pâris et Hélène.
C’est l’épisode de la découverte de Tristan et Iseut par le roi Marc qui est évoqué ici et mis en images. Les deux amants se sont réfugiés dans la forêt du Morois et se reposent dans une cabane de feuillage. Apercevant le roi Marc, égaré au cours d’une partie de chasse, qui approche, Tristan place une épée entre lui et Yseut, et tous deux font semblant d’être endormis ; attendri, le roi Marc obture de son gant le trou de feuillage qui laissait passer un rayon de soleil.
Certains de ces éléments, qui ne se trouvent ni dans le Tristan de Béroul ni dans la saga norroise, donnent à penser que Tibaut s’est inspiré d’une version du roman de Tristan aujourd’hui perdue.
La légende des amours tragiques de Tristan et Iseut s’inspirerait de traditions des Cornouailles ou d’Ecosse, enrichies d’éléments issus de la littérature classique. Elle aurait été d’abord diffusée par des jongleurs, avant d’être mise par écrit. Les deux versions les plus anciennes semblent avoir été créées à la cour d’Aliénor d’Aquitaine et Henri II Plantagenêt, vers 1170-1180 : celle de Béroul est dramatique, parfois proche de l’épopée, tandis que celle de Thomas d’Angleterre est plus lyrique et courtoise, centrée autour des cas de conscience amoureux. À leur suite, des poèmes mettent en scène le célèbre couple, dont un lai de Marie de France.
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Au 13e siècle apparaissent de vastes cycles romanesques en prose, longs prolongements des schémas élaborés par les clercs qui aux siècles précédents avaient écrit les premiers romans arthuriens. C’est ainsi que tout comme le Lancelot en prose reprend et prolonge le Chevalier de la Charrette de Chrétien de Troyes, le roman de Tristan en prose est composé vers 1230-1240. Il s’agit d’une immense fresque qui repose sur la fusion des deux principales sources d’inspiration de la matière de Bretagne : l’histoire des amants de Cornouailles et la légende du roi Arthur et des chevaliers de la Table ronde. Le roman devient alors un récit de chevalerie et Tristan est intégré au monde arthurien, faisant désormais partie des meilleurs chevaliers de la cour et participant à la Quête du Graal comme Lancelot, Gauvain ou Perceval.
Le roman a connu un très grand succès jusqu’à la fin du 15e siècle et a trouvé place dans les plus prestigieuses bibliothèques médiévales. Tristan devient l’un des meilleurs chevaliers du monde à côté de Lancelot à qui il est sans cesse comparé ; il représente les valeurs chevaleresques comme les autres chevaliers de la Table ronde. Quant au couple formé par Tristan et Iseut il est comparé à celui que forment Lancelot et Guenièvre dans le Lancelot en prose.
Une histoire élargie qui conserve ses fondamentaux
Le récit en prose – sans doute pour répondre à l’attente des lecteurs de l’époque – présente une vue élargie de l’histoire de Tristan et de ses ancêtres, en la rattachant au temps du Christ : Tristan descend d’une lignée issue de Bron, beau-frère de Joseph d’Arimathie. Après un long récit des unions successives de ses ancêtres, le texte évoque le moment où Marc devient roi de Cornouailles et où sa sœur Hélyabel épouse le roi de Léonois, Méliadus. Celui-ci, ensorcelé par une fée, disparaît et Hélyabel meurt de douleur en donnant naissance à un fils qui reçoit le nom de Tristan. Avec l’aide de Merlin Tristan est confié à un jeune homme noble, Governal qui devient son précepteur. Méliadus se remarie avec la fille du roi Hoêl de Petite-Bretagne qui jalouse de Tristan cherche à l’empoisonner et le contraint à se réfugier en Cornouailles à la cour de Marc, où il parfait son apprentissage de chevalier. Parmi ses dons il possède celui de jouer de la harpe et de savoir chanter.
Les épisodes anciens où les amants s’aiment en cachette sont conservés en particulier celui du philtre d’amour : « Iseut regarde Tristan et Tristan regarde Iseut ; ils se contemplent avec une telle intensité que l’un et l’autre connaissent leur amour et leur désir. » Les amants doivent se séparer et des aventures nouvelles et multiples sont insérées. Ainsi d’autres chevaliers aiment Iseut : Palamède, mais aussi Kaherdin qui meurt de cet amour qu’Iseut refuse de partager. Tristan lui se croit trahi et erre longuement dans la forêt en proie à la démence.
Tristan réfugié à la cour d'Arthur
La grande innovation du récit est que, Tristan, poursuivi par la haine du roi Marc, doit se réfugier au royaume de Logres et à la cour du roi Arthur. Désormais il mène une vie de chevalier errant, réalisant les plus grands exploits chevaleresques qui le placent parmi les meilleurs chevaliers arthuriens et peut être comparé à Lancelot. Les amants séparés s’écrivent des lettres et des « lais » d’amour qui donnent à ce roman une tonalité lyrique.Iseut d’abord à la cour du roi Marc, devant les dangers qui la menacent, rejoint Tristan au château de la Joyeuse Garde, prêté pat Lancelot, mais continuent à souffrir des absences répétées de Tristan qui s’attarde à la recherche d’exploits et participe à la quête du Graal. La fin du roman ne garde pas la belle image de la traversée entre la Grande et la Petite Bretagne. Lorsque les amants se retrouvent, Tristan est blessé, par une blessure due à une épée couverte de venin par Morgane. Il fait ses adieux à la chevalerie et à ses compagnons d’aventure, Lancelot, Palamède et Dinadan et serre Iseut sur sa poitrine avec une telle force qu’elle en meurt en même temps que lui quitte la vie. Les amants sont alors « couchiez bouche a bouche » et sont réunis dans la mort comme dans les versions antérieures. Le roi Marc, bouleversé par ce spectacle, ordonne que leurs corps soient enterrés ensemble à Tintagel.
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