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Les Destinées

Le Mont des Oliviers
Le Mont des Oliviers

Bibliothèque nationale de France

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Le titre de ce recueil de « poèmes philosophiques » renvoie aux entités mythiques du poème liminaire, qui pèsent implacablement sur les existences, mais aussi aux destinées humaines telles qu’elles peuvent être prises en main. Les récits dramatiques exemplaires et les longs exposés d’idées sont servis par une versification sobre, dont se détachent des sentences admirablement frappées.

Au terme d’une alternance de solutions et de doutes, de craintes et d’espoirs, le recueil célèbre l’humanité pour ses limites (« La Maison du Berger ») et la poésie pour sa force spirituelle (« L’Esprit pur »). Il semble ainsi que Les Destinées s’ouvrent sur le spectre d’une fatalité de l’écrit pour mieux exalter l’imagination libératrice qui, après « La Colère de Samson » et « Le Mont des Oliviers », délaisse les mythes bibliques pour des créations personnelles comme « La Bouteille à la Mer ».

« Perle de la pensée »

Dans Les Destinées, Vigny prolonge la modernisation du genre épique engagée dans les Poèmes antiques et modernes (1826) – raccourcissement, dramatisation, lyrisation (par le biais du discours des personnages) : autant de procédés qui font souvent de ses poèmes de petits récits (tels des fables) palpitants et marquants.

Ce second recueil place toutefois l’intention signifiante avant la prouesse technique. La versification en est peu diversifiée. Les vers sont toujours des alexandrins, qui s’enchaînent posément en séries à rimes plates ou en strophes de sept vers, à l’exception de la terza rima du premier poème, dont l’enchaînement des rimes, tercet par tercet, évoque de façon suggestive le sempiternel retour d’un même principe fatal. Vigny ne cherche pas plus à impressionner par la richesse des rimes que par le jaillissement des images ; il privilégie la maîtrise du sens, et des symboles (le Loup stoïque, la Bouteille à la mer de l’inventeur naufragé…) construits comme figures éminemment signifiantes.

Il ne considère pas davantage ses poèmes comme l’occasion d’un épanchement personnel mais fond les sentiments intimes dans un cadre plus vaste, conférant au discours à la première personne une portée philosophique universelle. On le voit bien dans « L’Esprit pur » quand l’exposé généalogique du poète le conduit, pour valoriser le métier des lettres qu’il a embrassé de préférence à celui des armes que pratiquèrent ses ancêtres, à proclamer le règne de l’esprit en apostrophant le « PUR ESPRIT, Roi du Monde », glissant d’une confidence autobiographique à une prise de parole au nom de l’humanité, dont le poète aime à exprimer les tourments et les réussites.

De tels exposés deviennent prépondérants dans Les Destinées, y compris dans des poèmes qui se présentent d’abord comme des récits, et qui se terminent souvent en leçons. « La Colère de Samson » renferme un long discours dans lequel le héros multiplie les aphorismes relatifs à la guerre des sexes. À la fin de « La Sauvage », le pionnier développe une longue défense de la loi de l’hérédité des biens et des principes républicains de l’Europe. La longue prière de Jésus au centre du « Mont des Oliviers » constitue un authentique discours philosophique… Vigny confère ainsi à la poésie un intérêt singulier, grave et profond.

« De dix en dix années »

Malgré tout, la restriction de l’expression personnelle du poète – assortie à une relative absence d’éclat formel – au profit d’une profondeur philosophique accrue a plongé les vers de Vigny dans un certain oubli depuis que la poésie a quasiment renoncé, dans la seconde moitié du 19e siècle, à se faire didactique et à prendre la forme de narrations d’une certaine ampleur. Mais Vigny sait toujours trouver des lecteurs attentifs et sensibles aux beautés de sa poésie dramatique, pensante et aimante, de Proust à Bonnefoy, « de dix en dix années […] et pour moi c’est assez ! » (« L’Esprit pur »).

Provenance

Cet article provient du site Les Essentiels de la littérature (2017).

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