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La caricature, « grand art » à l’époque de Daumier

Bibliothèque nationale de France
« Ah ! Tu veux te frotter à la presse ! »
En 1829 naît La Silhouette, premier hebdomadaire satirique illustré en France, lancé par Philipon, Ratier et Ricourt. C’est dans cette publication accordant une place inédite à l’illustration et plus particulièrement à la caricature qu’Honoré Daumier publie ses premiers dessins.
En 1830, après les 3 glorieuses de 27, 28 et 29 juillet, la charte constitutionnelle initiée par Louis-Philippe proclame que « Les citoyens ont le droit de publier et de faire imprimer leurs opinions en se conformant aux lois. La censure ne pourra jamais être rétablie ». La même année, Philipon fonde l’hebdomadaire La Caricature, dont Daumier est le principal dessinateur, puis le quotidien Le Charivari (1832). Ici, Louis-Philippe, dont on reconnaît le légendaire parapluie au premier plan, est pressé par un ouvrier typographe vengeant la liberté, menacée, de la presse. Cette planche préfigure la célèbre lithographie « Ne vous y frottez pas !! », publiée par L’Association mensuelle en mars 1834.
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Le grand moment de la presse lithographiée
L’essor du procédé lithographique
La lithographie, par laquelle Daumier s’exprime en tant que caricaturiste, constitue l’axe principal de son œuvre. Sa longue carrière coïncide avec l’essor de cette technique, qu’il maîtrise dans le registre du noir et blanc, et s’achève au moment où les procédés photomécaniques nuisent à la qualité de reproduction des lithographies dans la presse tandis que s’impose, notamment dans l’affiche, la lithographie en couleurs.
Le pouvoir de la presse sous Louis-Philippe
Au lendemain de la révolution de Juillet, alors que Louis-Philippe a été porté au pouvoir par les journalistes, la presse représente une puissance en plein essor dont bénéficient aussi les artistes, qui contribuent à l’illustration des journaux grâce aux progrès de la lithographie.
Daumier devient rapidement l’un des protagonistes de la « guerre de Philipon contre Philippe ».
Face aux grands genres des beaux-arts, qui appartiennent au double circuit de la commande officielle, vouée aux grandes décorations murales et à la statuaire, et de l’exposition au Salon, qui présente les œuvres au public et aux acheteurs, le dessin de presse offre dans ces années à quelques artistes une alternative de carrière. La caricature fonctionne comme un contre-pouvoir, tandis que le journal est devenu par excellence l’organe de la critique d’art, qui se développe alors. Incarcéré le 31 août 1832 à Sainte-Pélagie, Daumier, lithographe, revendique la « profession d’artiste peintre » !
L’art de la caricature
Chefs d’œuvre
Parmi les 4000 lithographies de Daumier répertoriées par Delteil, quelques pièces s’imposent comme des icônes magistrales dans l’art de la caricature politique et sociale : la lithographie politique est jalonnée de planches incontournables, depuis le Gargantua, qui mena Daumier en prison et révéla son talent, jusqu’à Page d’histoire, où, dans une composition saisissante, Daumier montre l’aigle de l’Empire terrassé, après Sedan, par la « parole qui tue », celle du poète des Châtiments, rentré d’exil et qui co-signe avec lui la planche.

Page d’histoire
L’aigle impérial est terrassé par la foudre et par le volume des Châtiments de Victor Hugo, publié à Bruxelles, en 1853, et dont la mise en vente en France, le 20 octobre 1870, inspira à Daumier sa composition. Les deux hommes se rencontrèrent le 2 janvier 1870. Trente épreuves furent remises à Hugo, qui en signa plusieurs, dont quelques-unes conjointement avec Daumier.
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Louis-Philippe en Gargantua
Daumier fait ses débuts dans la presse comme caricaturiste politique sous la monarchie de Juillet et se cantonne à ce registre jusqu’à ce que les lois de septembre 1835, qui entravent la liberté de la presse, ne l’obligent à se réorienter vers la caricature de mœurs. Après La Silhouette, l’hebdomadaire La Caricature publie ses lithographies placées sous le signe d’une opposition à Louis-Philippe, roi des français. Comme l’atteste le dessin de novembre 1831, c’est à Philipon, directeur de La Caricature, que l’on doit la création du motif de la poire symbolisant le souverain, qui sera décliné par bon nombre de caricaturistes, Daumier en tête.
Dans cette caricature de Daumier, Louis-Philippe en Gargantua dévore les écus arrachés au peuple miséreux, ce dont quelques élus, proches du trône, profitent également. Cette lithographie a entraîné la condamnation par le gouvernement de Daumier, de Delaporte, l’imprimeur, et d’Aubert, le marchand d’estampes, pour « excitation à la haine et au mépris du gouvernement du Roi, et offenses à la personne du Roi ». En même temps qu’elle valut à son auteur un séjour de six mois en prison, elle lui assura un début de notoriété.
© Bibliothèque nationale de France
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À côté des planches politiques s’imposent les grandes séries sociales, qu’il s’agisse du réquisitoire à l’encontre des gens de justice, ou de la satire des bas-bleus qui prétendent à la qualité d’écrivain, ou de toutes les planches, innombrables, qui dévoilent au grand jour les heurs et malheurs, les petites misères du bourgeois saisi dans sa vie conjugale ou familiale, au quotidien. Le Grand Escalier du Palais, Vue de face est une étonnante composition striée horizontalement par les lignes des marches de l’escalier où déambulent les silhouettes des avocats confits de suffisance, arborant un masque sentencieux. Dans Le Parterre de l’Odéon, le bas-bleu, coassant « l’auteur, c’est moa », dans une loge remplie d’hommes en habits noirs stupéfaits par son audace, se redresse avec vanité.

Planche n° 15 de la série Les Bas-bleus
« Le parterre de l’Odéon : - L’auteur !... l’auteur !... l’auteur !... »
- Messieurs, votre impatience va être satisfaite. vous désirez connaître l’auteur de l’ouvrage remarquable qui vient d’obtenir un si grand, et je dois le dire, si légitime succès... cet auteur... c’est môa !... »
La série des Bas-bleus, composée de quarante planches publiées dans Le Charivari entre janvier et août 1844, tourne en dérision les femmes auteurs qui délaissent vie de famille et tâches domestiques au profit de leur travail intellectuel et s’imposent dans un milieu exclusivement masculin. Le sujet était dans l’air du temps : des pièces de théâtre et morceaux de musique y faisaient référence et la Physiologie du bas-bleu avait été publiée, en 1844, par Frédéric Soulié.
Qu’elle soit dans la salle de lecture d’une bibliothèque ou au Théâtre de l’Odéon, le bas-bleu se fait remarquer au sein de son entourage masculin. Daumier a recours à l’opposition du noir profond de la robe et du noir strié de grattages blancs des costumes masculins pour insister sur cette manière d’imposer sa présence.
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Une version critique de la peinture d'histoire
La caricature prétend à la peinture d’histoire, sommet de la hiérarchie des genres académique. Elle en inaugure une autre version, une version critique, liée à l’actualité et au présent, non sans rapport avec les transformations du genre depuis l’exposition du Radeau de la méduse.

Massacre de la rue Transnonain
Les mouvements populaires se succèdent depuis l’avènement de Louis-Philippe, roi des Français, en août 1830. Le malaise économique et les mesures anti-ouvrières prises par Thiers, ministre de l‘Intérieur, contribuent à les provoquer. L’agitation est également entretenue par des associations républicaines comme la Société des Droits de l’homme.
En février 1834, afin d’affaiblir la propagande républicaine, le gouvernement fait voter une série de lois qui réglementent de manière drastique l’activité des crieurs publics et des vendeurs de journaux ambulants et interdisent les associations politiques. Le 9 avril 1834, la Société des Droits de l’homme organise une manifestation à Lyon. Au même moment se tient le procès de canuts accusés de coalition et de grève. Des coups de feu sont tirés sur la foule des manifestants. S’en suit une semaine de combats meurtriers (plus de 300 morts, près de 600 blessés). Le 13 avril, l’insurrection s’étend à Paris, notamment dans le quartier du Marais. Le 14 au matin, elle est réprimée dans le sang. Les soldats envahissent un immeuble situé au 12 rue Transnonain (l’actuelle rue Beaubourg) et massacrent tous les habitants qui pourtant n’avaient pas pris part aux émeutes.
De cette bavure policière que Philipon nomme « la boucherie de la rue Transnonain », Daumier tire un chef-d’œuvre de l’estampe, simple constat de la vérité, aussi sobre que dramatique. De caricaturiste, Daumier se hissait au rang de peintre d’histoire en noir et blanc et devançait le courant réaliste en peinture.
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Telle est la portée de La Rue Transnonain, célèbre planche de L’Association mensuelle, publiée en juillet 1834, à propos d’un massacre de civils perpétré en avril par la troupe, que Philipon interprète, dans La Caricature du 2 octobre, en des termes que Baudelaire reprendra presque textuellement : « … ce n’est point une caricature, ce n’est point une charge, c’est une page sanglante de notre histoire moderne, tracée par une main vigoureuse et dictée par une noble indignation. »

Le Ventre législatif. Aspects des bancs ministériels de la chambre improstituée de 1834
L’Association mensuelle lithographique, fondée par Philipon pour payer les amendes infligées à La Caricature, a publié entre août 1832 et octobre 1834, vingt-quatre planches de format supérieur à celui de La Caricature, dont cinq signées de Daumier. Chaque planche était accompagnée d’un commentaire de Philipon.
Le Ventre législatif est la première lithographie de Daumier publiée par L’Association. L’artiste y figure la réunion fictive de trente-cinq députés du « juste-milieu » dont il avait, pour beaucoup d’entre eux, déjà réalisé le portrait-charge individuel.
Pièce unanimement célébrée, Le Ventre législatif marque l’aboutissement spectaculaire des séries de portraits-charges politiques de la monarchie de Juillet et constitue un des chefs-d’œuvre de Daumier lithographe par la maîtrise des dégradés du noir au blanc.
© Bibliothèque nationale de France
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De même que La Rue Transnonain peut apparaître comme la contrepartie de la peinture d’histoire officielle, dans les années où s’élabore la représentation peinte de l’historiographie contemporaine à la gloire de Louis-Philippe, qui débouchera sur la création du musée de l’histoire de France, à Versailles, le Ventre législatif, planche parue quelques mois plus tôt dans la même série de L’Association mensuelle, peut être aussi perçu comme une riposte aux grandes commandes décoratives vouées aux monuments symboliques de la Monarchie constitutionnelle : un concours, dont Guizot avait programmé l’iconographie en trois sujets, avait notamment été lancé en 1830, pour la décoration de la nouvelle salle des séances et de la Chambre des députés. Le Ventre législatif offre une synthèse panoramique des séries de portraits-charges de Daumier qui corroborent et stigmatisent la vogue contemporaine de la peinture de portrait au Salon.
Entre art et journalisme, une pratique engagée
Cette situation de la presse illustrée n’est pas sans analogie avec la fonction que celle-ci assume face au système politique contemporain : dans les deux cas, entre en jeu la notion d’espace public. Le journal illustré sert de caisse de résonance aux débats de la Chambre comme il fait connaître par la critique les œuvres exposées au Salon : c’est sa fonction de diffusion, qui passe par l’enregistrement écrit et la reproduction lithographique. Il propose aussi, par la caricature, comprise comme « cri des citoyens », selon l’une des formules de Champfleury, une alternative aux débats internes à la Chambre, un autre mode de « publicité » des débats et de pratiques artistiques : c’est là que réside sa fonction non seulement satirique, mais aussi artistique et politique, son engagement, indissociable du journalisme.

Les Mannequins politiques : « Ce jeu n’a duré que trois jours »
Cette planche a été publiée à la suite de l’éphémère ministère Maret, sixième ministère de la monarchie de Juillet, connu sous le nom de « ministère des Trois Jours » pour n’avoir duré que du 10 novembre au 13 novembre 1834, date de sa dissolution. L’épreuve, de grande qualité, porte la signature manuscrite de Daumier ; elle est représentative de l’utilisation combinée du crayon et de la plume lithographique.
Bibliothèque nationale de France
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Le journal de caricatures apparaît non seulement comme l’organe qui montre les « représentants représentés », espace de reproduction et miroir déformant à « la ressemblance garantie », mais aussi comme un espace spécifique de représentation, qui se prétend en prise directe avec le public et, conformément au principe de la liberté de la presse et de la liberté d’opinion, peut afficher des positions politiques républicaines. Les caricatures de Daumier stigmatisent alors, par la série de portraits-charges des députés et des ministres et par les scènes caricaturales où les thèmes du masque et de guignol sont récurrents, la Monarchie constitutionnelle censitaire mise en place par Louis-Philippe, roi des Français, en la présentant comme un leurre.
Le langage de la caricature
S’il a accompagné l’histoire de la lithographie en noir et blanc au long du 19e siècle, Daumier a aussi participé à l’invention de son langage, qui s’appuie sur la relation entre texte et image, d’abord par l’explication, puis par la légende, dans un dispositif inspiré par la théâtralité et par les arts de la projection.
Un langage visuel à décrypter
De 1830 à 1835, quand paraissent les premières grandes caricatures politiques de Daumier dans la presse satirique, qui se déchaîne contre Louis-Philippe, l’expression caricaturale apparaît en France comme un nouveau langage visuel, dont l’interprète et l’instituteur auprès du public demeure Philipon, le rédacteur en chef de La Caricature (créée en 1830) et du Charivari (lancé en 1832), et le fondateur de L’Association mensuelle, grande planche mensuelle vouée, de 1832 à 1834, à constituer un fonds de réserve pour payer les amendes et les frais de justice des deux autres journaux : Philipon rédige des « explications » qui décryptent jour après jour les caricatures, en complicité avec le lecteur dont l’œil est ainsi peu à peu éduqué à leur lecture et à celle de leur iconologie toujours fondée sur le contrepoint du texte et de l’image.
Tout un travail d’encodage et d’apprentissage est mis en œuvre par le rapport entre le texte et l’image, comme par la reprise, de planche en planche, des mêmes personnages reparaissant : ce sont les « célébrités du juste-milieu », qui sont modelées en terre cuite, mais aussi représentées en caricatures par Daumier et ses confrères des journaux de Philipon.
Déclinés en plusieurs séries, en tête puis en pied, avec puis sans armes parlantes, les portraits-charges permettent aux lecteurs de journaux de reconnaître les hommes politiques qu’ils attaquent tout en les initiant au code de la caricature, un peu comme l’Iconologie de Ripa l’avait fait pour les beaux-arts. Une fois ce nouveau langage mis en place, les « explications » sont devenues moins nécessaires, et il devient acquis que les planches ne peuvent se lire isolément, mais font partie d’un système sériel, qui est mis en évidence par le titre de série mais qui fait aussi référence à l’ensemble contextuel des autres planches, qu’elles soient ou non de Daumier, publiées dans le journal. Issu de l’univers du théâtre, Robert Macaire, dont les légendes sont écrites par Philipon, multiplie les emplois qui font de lui le « type » par excellence d’une nouvelle société d’affairistes et d’industriels stigmatisés par Daumier dans une critique sociale dont les enjeux demeurent politiques.
Les légendes

Le premier essai de pipage
Issue du recueil Laran, cette épreuve est accompagnée d’une légende écrite par Daumier, au crayon, dans la marge inférieure. Elle a été reprise sans modification dans la lettre imprimée. Comme toutes les légendes que Daumier a rédigées, elle se signale par son laconisme et se distingue aisément des légendes prolixes des journalistes payés à la ligne ! Sans en avoir, comme ici, la preuve irréfutable, d’autres légendes qui présentent ces mêmes caractéristiques sont attribuables à Daumier.
Le recueil Laran doit son nom à Jean Laran, bibliothécaire au Cabinet des estampes, qui le fit acquérir en 1928. Il comporte 92 épreuves de cinq séries différentes : Les Bohémiens de Paris (19 planches sur les 28 publiées de septembre 1840 à avril 1842), Silhouettes (7 planches sur les 8 publiées fin 1840-début 1841), Monomanes (5 planches sur les 8 publiées en 1840-1841), Les Beaux Jours de la vie (35 planches sur la suite de 100 planches publiées de décembre 1843 à septembre 1846) et Les Bas-bleus (26 planches sur les 40 publiées en janvier-août 1844). Il s’agit d’épreuves du tout premier tirage avant la lettre, sur papier vélin, destinées au légendage. La présence d’annotations manuscrites, le plus souvent à la plume et à l’encre brune, au recto comme au verso des planches, toutes pliées, en huit, en quatre ou en deux pour leur envoi, suggère leur passage entre diverses mains. Elles circulaient entre la rédaction du journal qui indiquait numéro et titre de la série et les différents journalistes chargés d’inventer les légendes qu’ils reportaient, à l’encre, directement dans la marge inférieure ou sur un papier collé au bas de l’épreuve. Au verso, on lit les noms et adresses de personnes attachées à la rédaction du Charivari, tels que Goulet, adjoint au directeur, Biais ou Albert Cler, un collaborateur régulier de l’époque, auteur, en 1841, d’une Physiologie du musicien illustrée de vignettes par Daumier. D’autres spécialistes en la matière pouvaient être également sollicités, parmi lesquels Ernest Jaime dont le nom apparaît à plusieurs reprises. Après leur intervention, l’épreuve était retournée à l’imprimeur qui la confiait au calligraphe chargé de transcrire le texte sur la pierre.
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Le légendeur devient désormais un partenaire essentiel du dessinateur, qui contribue à faire dialoguer les personnages que la lithographie place sur des tréteaux imaginaires. Il sert en quelque sorte de médiateur entre Daumier et ses lecteurs. Mais le lecteur de caricatures familiarisé avec leur langage a acquis l’aptitude de les comparer mentalement et peut aussi se passer de la légende pour s’en tenir à une lecture visuelle de l’écriture lithographique de Daumier qui recourt à l’expressivité symbolique du contraste entre l’ombre et la lumière. Un bon exemple en est la planche Lanterne magique, de 1869, qui superpose à l’urne du suffrage la lanterne de projection, et par là même contribue à définir le médium lithographique comme un nouvel Ars lucis et umbrae, voué à la propagation des Lumières, de la Liberté (dont le nom s’inscrit dans le cercle blanc de l’écran) et de la République.
La rue comme musée
L’idée du musée d’images, qui annonce celle du musée imaginaire, est exprimée dans un thème traité par Daumier, celui de la devanture du magasin de caricatures devant lequel passent les gens de la rue.
Diffusés uniquement par abonnement, les journaux de caricatures s’adressent sous la Restauration et la monarchie de Juillet à un lectorat fortuné, mais le spectre des lecteurs s’élargit à travers le réseau de lecture publique payant et citadin qu’offrent les cabinets de lectures.

Lecteurs du Charivari
[ - Oh elle est délicieuse... et plus bas... là... ici lisez donc
- Oh c’est un peu fort ?...
- Sapristi oui
- Et la gravure, l’homme a une tête soignée :
- Et la femme donc
- Ah lisez donc ce qui est dessous
- Oh Oh ! cette charge – j’achèterai ce numéro-là ]
Le motif du lecteur de journaux, et du Charivari en particulier, est fréquent chez Daumier. Il est utilisé ici comme prétexte commercial pour inciter le lectorat à se réabonner, avec cet avis clairement lisible : « Avis / Ceux de M. M. nos souscripteurs dont l’abonnement finit le 1er avril sont priés de le renouveler s’ils ne veulent pas éprouver de retard dans l’envoi du journal. » Ce clin d’œil à la vie du journal fait allusion au lien qui unit le lithographe au Charivari son principal employeur, au rôle important qu’il y joue, en 1840, et y jouera encore pendant plus de trente ans.
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Les caricatures lithographiques des journaux satiriques bénéficient aussi, du fait de leur affichage en vitrine, d’un mode de diffusion gratuit et direct qui s’adresse aux passants, même s’il se limite à la devanture de l’éditeur, ce qui donne lieu à une iconographie par laquelle se définit un horizon d’attente médiologique – celui, en fin de compte, des « mass media ».
Ce schéma de composition, emprunté à la caricature anglaise, se retrouve chez d’autres caricaturistes contemporains, et se trouve répété dans l’œuvre de Daumier lui-même. Il marque l’avènement du « musée des rieurs », titre d’époque, qui met en évidence une particularité énonciative du langage caricatural, dont la cible, prise à parti, devient, selon la règle de « l’arroseur arrosé », tout à la fois victime et destinataire.
Le lieu d’exposition revendiqué par les caricatures n’est pas le Salon, mais ce « musée de plein vent », qui en est la contrepartie. La devanture du magasin de caricatures d’Aubert, le beau-frère de Philipon, sert, par exemple, d’arrière-plan à la dernière lithographie de la série des Bas-bleus, dont l’épreuve avant lettre du recueil Laran comporte une légende manuscrites. Indignées, mais aussi attirées par les caricatures qui se moquent d’elles, les deux femmes qui passent dans la rue et dont l’une montre du doigt le titre de la série permettent à la planche de fonctionner comme un frontispice
Provenance
Cet article a été publié à l’occasion de l’exposition « Daumier. L'écriture du lithographe » présentée à la Bibliothèque nationale de France en 2008.
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