Les miroirs harmoniques de la mer
La mer, lien avec l'au-delà

Une barque sur l’océan
Cette gouache intitulée Une barque sur l’océan (comme la pièce du recueil Miroirs), qui appartenait à Maurice Ravel, évoque non une petite embarcation, mais un grand voilier, un trois-mâts barque comme il en existait encore beaucoup dans les années 1920. La lumière franche du paysage marin et l’allure vive du voilier répondent harmonieusement aux sonorités de l’œuvre musicale.
C’est en 1905, l’année du scandale des fauves et de la création de La Mer de Debussy, que Ravel compose Miroirs, un recueil pour piano de cinq pièces (« Oiseaux tristes », « Une barque sur l’océan », « Noctuelles », « Alborada del Gracioso », « La vallée des cloches ») ; ces Miroirs « forment un recueil de pièces pour piano qui marquent dans mon évolution harmonique un changement assez considérable pour avoir décontenancé les musiciens les plus accoutumés jusqu’alors à ma manière », écrit Ravel en 1928 dans son Esquisse biographique. Miroirs fut créé par le pianiste espagnol Ricardo Vinès, le 6 janvier 1906, à un concert de la Société nationale de musique, salle Érard, à Paris. Avec Jeux d’eau (1901), le Quatuor en fa majeur (1902-1903) et Schéhérazade II (1903), Ravel était déjà entré dans la gloire.
Dédiée au peintre Paul Sordes, Une barque sur l’océan, troisième pièce dans l’œuvre publiée, mais composée en second, est d’une écriture purement pianistique - Ravel tentera d’ailleurs une orchestration, mais elle ne pourra égaler La Mer de Debussy et tombera vite dans l’oubli.
L’harmonie sonore engendre son écho visuel dans la partition, qui elle-même évoque les ondes, les vaguelettes venant mourir sur la plage, le balancement de la barque sur la mer. Le dessin des notes arpégées sur la page nous fait déjà entendre le bruit rythmé et inlassable de l’océan, suggérant le mouvement irrésistible et enthousiaste des vagues. Transposer le réel dans une autre matière et une autre lumière, et le donner à voir dans le miroir de la musique, sans aucunement faire apparaître le musicien, qui s’efface derrière ce miroir, c’est le but atteint par ce compositeur de trente ans.
Bibliothèque nationale de France
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Perçue comme le miroir de l’inconscient et de l’imaginaire humains, la mer est, des quatre éléments, celui qui représente le mieux les mouvements de l’âme et symbolise le champ d’exploration intérieure.
De nombreux compositeurs comme Henri Duparc (1848-1933) (Mélodies), Vincent d’Indy (1851-1931) (L’Étranger), Alfred Bruneau (1857-1934) (L’Ouragan), Édouard Lalo (1823-1892) (Le Roi d’Ys), Paul Le Flem (1881-1984) (La Magicienne de la mer), Claude Debussy (1862-1918), Ernest Chausson (1855-1899) (Poème de l’amour et de la mer), utilisent les thèmes de la tempête et du naufrage, de la rédemption par la noyade, du surnaturel et de la mer comme lien avec l’au-delà.

Une barque sur l’océan, dans Miroirs
C’est en 1905, l’année du scandale des fauves et de la création de La Mer de Debussy, que Ravel compose Miroirs, un recueil pour piano de cinq pièces (« Oiseaux tristes », « Une barque sur l’océan », « Noctuelles », « Alborada del Gracioso », « La vallée des cloches ») ; ces Miroirs « forment un recueil de pièces pour piano qui marquent dans mon évolution harmonique un changement assez considérable pour avoir décontenancé les musiciens les plus accoutumés jusqu’alors à ma manière », écrit Ravel en 1928 dans son Esquisse biographique. Miroirs fut créé par le pianiste espagnol Ricardo Vinès, le 6 janvier 1906, à un concert de la Société nationale de musique, salle Érard, à Paris. Avec Jeux d’eau (1901), le Quatuor en fa majeur (1902-1903) et Schéhérazade II (1903), Ravel était déjà entré dans la gloire.
Dédiée au peintre Paul Sordes, Une barque sur l’océan, troisième pièce dans l’œuvre publiée, mais composée en second, est d’une écriture purement pianistique - Ravel tentera d’ailleurs une orchestration, mais elle ne pourra égaler La Mer de Debussy et tombera vite dans l’oubli.
L’harmonie sonore engendre son écho visuel dans la partition, qui elle-même évoque les ondes, les vaguelettes venant mourir sur la plage, le balancement de la barque sur la mer. Le dessin des notes arpégées sur la page nous fait déjà entendre le bruit rythmé et inlassable de l’océan, suggérant le mouvement irrésistible et enthousiaste des vagues. Transposer le réel dans une autre matière et une autre lumière, et le donner à voir dans le miroir de la musique, sans aucunement faire apparaître le musicien, qui s’efface derrière ce miroir, c’est le but atteint par ce compositeur de trente ans.
Bibliothèque nationale de France
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Vincent d’Indy fait une adaptation du Ritorno d’Ulisse de Monteverdi (1567-1643) qui est représentée à Paris en 1925. Dans Pelléas, opéra créé en 1902, la mer n’est pas seulement un élément du décor, elle symbolise aussi l’abîme, l’inconnu, l’univers insondable qui entoure Pelléas et Mélisande.
La Mer de Claude Debussy (1905)
La Mer est l’œuvre la plus importante de Debussy (1862-1918) depuis Pelléas et Mélisande. Elle est exécutée pour la première fois aux concerts Lamoureux, à Paris, les dimanches 15 et 22 octobre 1905. Cette année 1905 cristallise les débats sur la musique de ce compositeur. On découvre ou on dénonce son influence sur les œuvres de jeunes compositeurs comme Woollett et Florent Schmitt. Beaucoup de critiques ont voulu situer l’œuvre dans le domaine pittoresque de la description de la nature et l’accueil est d’abord très réservé.
La Mer semble encore plus déroutante que Pelléas et Mélisande trois ans auparavant. Même si le compositeur, seul musicien parmi les symbolistes, reconnaît dans une lettre que « la musique a cela de supérieur à la peinture, qu’elle peut centraliser les variations de couleur et de lumière d’un même aspect », son but n’est pas de donner une description musicale de la mer. Contrairement à ce qu’écrit Charles Malherbe dans la notice du programme, affirmant qu’il s’agit d’« impressionnisme musical », le critique Marnold fait preuve d’une compréhension qui touche Debussy :
« Il y a des pages, écrit-il, où l’on croit côtoyer des abîmes et discerner jusqu’au fond de l’espace ; il y a un orchestre aux sonorités insoupçonnables. »
Turner, Monet, Hokusai sont trois peintres chers à Debussy. Le compositeur, qui avait la passion des objets et des estampes d’Extrême-Orient, souhaita avoir en couverture de sa partition La Vague de Hokusai (la vingt-huitième des Trente-six vues du mont Fuji), une gravure qui se trouvait dans son cabinet de travail.
L’influence de la peinture s’exerce dès lors de plus en plus sur les compositeurs. On remarque l’apparition de titres comme Paysages et Marine de Charles Kœchlin (1867-1950), Marine d’Antoine Mariotte (1875-1944), lui-même officier de marine et compositeur, Paysage maritime de Jean Cras…

Journal de bord
Le père de Jean Cras, chirurgien de marine, d’une vieille famille bretonne vouée à la marine et à la médecine, fit aimer la musique à ses enfants et Jean, le plus doué, étudia violon et piano dès l’enfance. Entré à l’École navale de Brest en 1896, il décida de continuer ses études musicales en autodidacte. À l’âge de vingt ans, il entra en contact avec le compositeur Henri Duparc grâce à sa sœur, la soprano Gabrielle de Fourcauld. Duparc, qui le considérait comme un des musiciens les plus doués qu’il ait jamais rencontrés, l’appelait « le fils de mon âme » tant ils étaient proches. Il fut son unique professeur de composition. Dans une interview donnée au journaliste Pierre Melèse, pour la revue Comœdia du 31 juillet 1922, Jean Cras affirme : « Partout où m’ont conduit les hasards de ma vie maritime, j’ai continué à composer en restant fidèle à l’enseignement de mon maître, m’efforçant avant tout de rester moi-même quelle que soit la valeur de mon moi [...]. Je ne suis et ne veux être d’aucune école. »
Le Journal de bord est une œuvre pour orchestre inspirée par une campagne en mer à bord de la Provence, que commandait Jean Cras en novembre 1927. L’éditeur a placé en page de titre la page du journal de bord de la Provence. Un titre, Journal de bord, et trois parties : « Quart de 8 à minuit », « Quart de minuit à 4 », « Quart de 4 à 8 ». Chaque fois, les annotations méticuleuses du marin - « houle du large », « WSW », « coucher du soleil », « TBT MTB RDP », « La terre en vue droit devant » - indiquent au musicien le mouvement et les nuances, avant de s’achever par les tutti fortissimo du « droit devant ». Enfin, en bas de la dernière page : « Toulon, à bord de la Provence, 12. 11. 1927 ».
La rédaction du journal de bord d’un navire, quart après quart, est une tâche qui ne doit rien à l’imagination. Et pourtant, la description sèche et concise du temps et des événements - « TBT MTB RDP [très beau temps, mer très belle, rien de particulier], Clair de lune » - sonne comme un thème de quelques notes que Jean Cras développe en un mouvement de balancement harmonieux. Œuvre de maturité, cette suite est avec le quintette (1928) et le concerto pour piano (1931) une des dernières œuvres du contre-amiral Jean Cras et elle nous rappelle qu’il fut marin toute sa vie - il fut aussi l’inventeur de la célèbre règle-rapporteur Cras, bien connue des marins.
© Bibliothèque nationale de France
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Capitaine de vaisseau Jean Cras à son bord
Le père de Jean Cras, chirurgien de marine, d’une vieille famille bretonne vouée à la marine et à la médecine, fit aimer la musique à ses enfants et Jean, le plus doué, étudia violon et piano dès l’enfance. Entré à l’École navale de Brest en 1896, il décida de continuer ses études musicales en autodidacte. À l’âge de vingt ans, il entra en contact avec le compositeur Henri Duparc grâce à sa sœur, la soprano Gabrielle de Fourcauld. Duparc, qui le considérait comme un des musiciens les plus doués qu’il ait jamais rencontrés, l’appelait « le fils de mon âme » tant ils étaient proches. Il fut son unique professeur de composition. Dans une interview donnée au journaliste Pierre Melèse, pour la revue Comœdia du 31 juillet 1922, Jean Cras affirme : « Partout où m’ont conduit les hasards de ma vie maritime, j’ai continué à composer en restant fidèle à l’enseignement de mon maître, m’efforçant avant tout de rester moi-même quelle que soit la valeur de mon moi [...]. Je ne suis et ne veux être d’aucune école. »
Le Journal de bord est une œuvre pour orchestre inspirée par une campagne en mer à bord de la Provence, que commandait Jean Cras en novembre 1927. L’éditeur a placé en page de titre la page du journal de bord de la Provence. Un titre, Journal de bord, et trois parties : « Quart de 8 à minuit », « Quart de minuit à 4 », « Quart de 4 à 8 ». Chaque fois, les annotations méticuleuses du marin - « houle du large », « WSW », « coucher du soleil », « TBT MTB RDP », « La terre en vue droit devant » - indiquent au musicien le mouvement et les nuances, avant de s’achever par les tutti fortissimo du « droit devant". Enfin, en bas de la dernière page : « Toulon, à bord de la Provence, 12. 11. 1927 ».
La rédaction du journal de bord d’un navire, quart après quart, est une tâche qui ne doit rien à l’imagination. Et pourtant, la description sèche et concise du temps et des événements - « TBT MTB RDP [très beau temps, mer très belle, rien de particulier], Clair de lune » - sonne comme un thème de quelques notes que Jean Cras développe en un mouvement de balancement harmonieux. Œuvre de maturité, cette suite est avec le quintette (1928) et le concerto pour piano (1931) une des dernières œuvres du contre-amiral Jean Cras et elle nous rappelle qu’il fut marin toute sa vie - il fut aussi l’inventeur de la célèbre règle-rapporteur Cras, bien connue des marins.
Bibliothèque nationale de France
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La Mer, œuvre lyrique
Plus exactement, le texte de Michelet emboîte plusieurs niveaux de lyrisme. L’Océan est présenté comme un sujet lyrique, comme la voix d’une « personne impersonnelle » à travers laquelle s’expriment tous les infimes qu’elle comprend. Eux-mêmes d’ailleurs parlent par leur corps et leurs existences, sur le même mode poétique.
La Mer intègre une réelle documentation scientifique dans une grande métaphore. Cet Océan, terrible dans ses colères, mais composé d’une multitude d’humbles créatures, propose à l’évidence une figure du peuple. Un peuple dont la voix, depuis juin 1848 et plus encore décembre 1851, s’est dénaturée en violence discordante puis repliée dans un silence énigmatique, et qu’il s’agit ici de rendre à sa musicalité, à sa capacité de dialogue, qu’il faut reconstituer comme sujet lyrique, c’est-à-dire sujet s’accomplissant dans son acte de parole. La Mer n’est pas un poème, mais l’exégèse lyrique du poème de la mer-peuple.
Échappant à toute classification, le livre de Michelet partage aussi avec le genre lyrique sa capacité à transgresser genres et codes. La subjectivité de l’historien s’efforce d’y faire entendre la voix perdue du peuple et s’interroge sur ce qu’elle exprime, proposant des réponses qui sont autant de questions à ses contemporains sur leur façon de penser et d’utiliser la nature, mais aussi leur propre nature sociale.
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