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L’Italie de la Renaissance : une guerre permanente

La bataille de Marignan
La bataille de Marignan

© Photo RMN-Grand Palais (domaine de Chantilly) / René-Gabriel Ojéda

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L’Italie de la Renaissance ne fut pas seulement celle, flamboyante et fastueuse, des cours princières : sa splendeur fut accompagnée de nombreux combats, suivis de leur cortège de misères et de barbaries. Parce qu’elle concernait toute la société, du noble au paysan, et parce qu’elle organisait la vie politique et administrative des États, la guerre imprima une marque forte et durable à la péninsule Italienne.

L’Italie en guerres : les héritages médiévaux

L’Italie médiévale fut une terre de conflits. L’opposition entre les Guelfes, favorables au pape, et les Gibelins, soutiens du Saint-Empire romain germanique, structura longtemps la vie politique des cités italiennes, même lorsque la question de l’allégeance à l’un ou l’autre de ces pouvoirs ne se posa plus. La lutte entre les factions contribua à l’élaboration d’une culture politique urbaine originale à l’échelle européenne. À partir du 11e siècle, l’histoire communale de l’Italie fut aussi marquée par la conquête par les villes de l’arrière-pays : ce contado donna lieu à des achats, des compromis, des actions militaires et diplomatiques, qui le transformèrent en un objet de domination, soumis à la puissance urbaine.

Médaille de Filippo Maria Visconti, duc de Milan
Médaille de Filippo Maria Visconti, duc de Milan |

Bibliothèque nationale de France

Médaille de Filippo Maria Visconti, duc de Milan
Médaille de Filippo Maria Visconti, duc de Milan |

Bibliothèque nationale de France

Les 14e et 15e siècles connurent ensuite une forte territorialisation des États italiens. Organisés autour de 5 grandes villes (Naples, Rome, Florence, Milan et Venise), les principaux États de la péninsule cherchèrent à étendre leur domination sur des territoires de plus en plus vastes, ce qui contribua à l’augmentation des conflits en Italie. À la fin du 14e siècle, le Milanais initia ainsi une politique de conquête et d’expansion vers la Vénétie, puis vers l’Italie centrale. Dans le même temps, Florence menait une politique agressive en Toscane, alors que Venise progressait vers le nord, en Terre Ferme. Cette compétition territoriale entre les États conduisit à un paroxysme de violence et à un état de guerre endémique dans les premières décennies du 15e siècle. 

Francesco Maria Sforza Visconti et Giovanni Galeazzo Maria Sforza
Francesco Maria Sforza Visconti et Giovanni Galeazzo Maria Sforza |

Bibliothèque nationale de France

En 1454, la paix de Lodi imposa un statu quo territorial qui, cependant, n’empêcha pas la poursuite des conflits. Le royaume de Naples était déchiré par les querelles dynastiques qui alimentaient de fréquentes révoltes de la noblesse. Rome était aussi la proie de soulèvements nobiliaires, tandis que les appétits des autres États s’aiguisaient. Au début des années 1490, cette logique de compétition territoriale était renforcée par la présence en Italie d’une pléiade d’entités politiques plus petites, qui complétaient les cinq États régionaux et manifestaient leur appétit territorial : le duché de Ferrare ou le marquisat de Mantoue, pour ne citer qu’eux.

Médaille et plaquette d’Alphonse V, roi d’Aragon
Médaille et plaquette d’Alphonse V, roi d’Aragon |

Bibliothèque nationale de France

L’Italie lors de la Paix de Lodi (1454)
L’Italie lors de la Paix de Lodi (1454) |

Bibliothèque nationale de France 

Les guerres d’Italie (v. 1490 – v. 1560) : un champ de bataille européen

La péninsule après les Guerres d'Italie (1559)
La péninsule après les Guerres d'Italie (1559) |

Bibliothèque nationale de France 

Médaille : la conspiration des Pazzi, Laurent de Médicis
Médaille : la conspiration des Pazzi, Laurent de Médicis |

Bibliothèque nationale de France

En 1494, la descente de Charles VIII dans la péninsule italienne inaugura des décennies de conflits connues ensuite sous le nom de « guerres d’Italie ». Si l’occasion qui poussa le roi de France vers la péninsule fut la fragilité du trône napolitain sur lequel les Valois pouvaient faire valoir leurs prétentions, les guerres d’Italie s’inscrivirent ensuite dans un conflit aux enjeux plus vastes. Les questions religieuses n’étaient sans doute pas absentes car dans l’héritage du roi de Naples se trouvait aussi le royaume de Jérusalem. Mais c’est la rivalité entre les deux grandes dynasties européennes des Valois et des Habsbourg qui explique la persistance du conflit. La lutte entre Charles Quint et François Ier modifia la nature des guerres d'Italie : champ de bataille de l'Europe, la péninsule se trouvait au centre des projets hégémoniques des deux souverains.

Le couronnement de Charles Quint par le pape Clément VII dans la cathédrale de Bologne
Le couronnement de Charles Quint par le pape Clément VII dans la cathédrale de Bologne |

© Montauban, musée Ingres / Cliché Guy Roumagnac

Les guerres d’Italie bouleversèrent profondément la vie politique, sociale, économique et même culturelle de l’Italie, comme de l’Europe toute entière. Mais c’est d’abord sur le plan militaire que leurs effets se firent sentir. Avec le recours plus fréquent à une artillerie plus efficace et avec l’engagement d’armées plus nombreuses car mieux financées par l’impôt, les batailles se firent plus sanglantes, tandis que la pratique du sac de villes, avec son cortège de pillages et de violences, participa à l’augmentation de la mortalité. À Marignan en 1515, 16 000 hommes ne se relevèrent pas du champ de bataille. 
À cette violence accrue s’ajoutait la grande précarité des alliances qui mobilisaient les principaux acteurs de ces conflits et qui se dénouaient aussi rapidement qu’elles se concluaient, si bien que les belligérants peinaient à stabiliser leur politique. La présence d’armées étrangères sur le sol

La bataille de Pavie (1525)
La bataille de Pavie (1525) |

Bibliothèque nationale de France

Mais les guerres d’Italie affectèrent aussi la vie culturelle de l’Italie. Alors que les premiers ateliers d’imprimeurs s’étaient installés dans la péninsule vers 1470, l’imprimerie fut mobilisée par les guerres d’Italie : traités d’art militaire, pamphlets, feuilles volantes, etc. Les guerres stimulèrent la production de textes dont certains marquèrent durablement la théorie politique quand d’autres permirent surtout la diffusion des nouvelles d’actualité et participèrent ainsi aux prémices de l’information imprimée. En 1559, la paix du Cateau-Cambrésis mit un terme à cet épisode et consolida l’influence espagnole sur une péninsule Italienne organisée autour de quelques grands États territoriaux.

La lutte contre l’empire ottoman : croisade ou guerre d’un nouveau genre ?

Charles Quint repoussant les Turcs de Vienne en 1529
Charles Quint repoussant les Turcs de Vienne en 1529 |

© Bibliothèque municipale de Lyon 

Espace de contacts et d’échanges, la Méditerranée connut des bouleversements majeurs entre 15e et 16e siècles. En 1453, la chute de Constantinople accompagna l’expansion de l’Empire ottoman et raviva les velléités de croisade de l’Europe chrétienne. Pour autant, les décennies qui suivirent manifestèrent l’incapacité de cette dernière à organiser sa riposte, malgré les initiatives des papes, de Pie II à Innocent VIII. En 1480, la péninsule Italienne connut une situation inédite : les Turcs débarquèrent à Otrante, dans le royaume de Naples, et parvinrent à maintenir un petit établissement sur le sol italien pendant quelques mois, avant d’être délogés par les armées chrétiennes. 
La puissance ottomane contribua aussi au renforcement des pirates qui imposaient leur loi le long des côtes de l’Afrique du Nord et du Proche Orient. Le conflit se déplaça donc vers la mer, d’autant plus que l’accroissement des échanges commerciaux en Méditerranée attisait la convoitise des corsaires. L’implantation d’ordres religieux militaires en Méditerranée devait répondre à la sécurisation de l’Europe chrétienne : les Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, d’abord installés sur l’île de Rhodes, puis sur celle de Malte, ou encore l’ordre de Saint Étienne, d’origine toscane.

La création de la Sainte Ligue
La création de la Sainte Ligue |

Bibliothèque nationale de France

La décennie 1560 fut marquée par plusieurs défaites chrétiennes qui conduisirent le pape Pie V à promouvoir une Sainte-Ligue qui rassemblait tous les États italiens mais aussi les royaumes espagnols et qui se donna pour objectif de rabaisser la puissance turque. Le 7 octobre 1571, au large du golfe de Lépante, une flotte de deux cent huit galères chrétiennes affronta les cent quatre-vingts galères ottomanes soutenues par vingt-cinq navires plus légers. Les chrétiens s’imposèrent finalement, au terme d’une bataille dont les acteurs eux-mêmes soulignèrent le chaos et l’illisibilité.

Plan du combat naval de Lépante en 1571 entre les Turcs et les chrétiens
Plan du combat naval de Lépante en 1571 entre les Turcs et les chrétiens |

Bibliothèque nationale de France

La victoire de Lépante suscita un enthousiasme sans borne dans toute l’Europe, et particulièrement en Italie où des réjouissances publiques nombreuses furent organisées et où la production culturelle et artistique (livres imprimés et peintures, par exemple) fut stimulée par l’événement. Cependant, cet engouement fut sans rapport avec les effets concrets de la victoire sur le terrain méditerranéen : après 1571 et alors que le successeur de Pie V décidait de dissoudre la Sainte-Ligue, les chrétiens accusèrent plusieurs reculs en Méditerranée. Dès 1573, désireuse de poursuivre son activité commerciale en Méditerranée orientale, malgré le basculement des échanges commerciaux vers l’Atlantique, Venise signa quant à elle une paix avec l’empire ottoman.

Les 15e et 16e siècles furent donc des siècles de fer pour l’Europe entière, et particulièrement pour l’Italie. La péninsule constitua un terrain d’expérimentation et d’entrainement pour toutes les armées européennes, qui confrontèrent leurs manières de combattre. Mais la guerre ne fut pas seulement une toile de fond de l’histoire italienne de la Renaissance : elle accompagna et même précipita la plupart des grands changements politiques et sociaux que connut la péninsule.

Provenance

Cet article a été publié à l’occasion de l’exposition « L’invention de la Renaissance. L’humaniste, le prince et l’artiste » présentée à la Bibliothèque nationale de France du 20 février au 16 juin 2024.

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