Un roi qui traverse l’histoire

Bibliothèque nationale de France
François Ier adoubé par Bayard sur le champ de bataille de Marignan
Dans les mémoires, François Ier est d’abord le jeune héros de Marignan, la plus éclatante victoire française des guerres d’Italie, à l’issue de laquelle il est adoubé par son fidèle lieutenant Bayard. Pour de nombreux Français, 1515 reste une date clé de l’histoire nationale.
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Questionner les images de François Ier
François Ier est d’abord le jeune héros de Marignan, la plus éclatante victoire française des guerres d’Italie, à l’issue de laquelle il est adoubé par son fidèle lieutenant Bayard. Pour nombre de Français, 1515 reste une date clé de l’histoire nationale. Le roi est aussi le prince fastueux de la rencontre du Camp du Drap d’or, avec Henri VIII. Dans un registre différent, François Ier est également le roi ami des arts et des artistes, recueillant le dernier souffle de Léonard de Vinci sous le pinceau d’Ingres, ou le grand bâtisseur qui permet à l’architecture française de sortir d’un Moyen Âge obscur. Au centre d’une vie de cour somptueuse et raffinée, il est le souverain qui incarne la Renaissance, notre Renaissance nationale, période essentielle de rupture artistique. Sur un mode plus intime, François Ier est aussi perçu comme un homme à femmes, assez désabusé pour graver, sur la vitre d’une fenêtre du château de Chambord, deux vers mélancoliques : « Souvent femme varie, / Bien fol est qui s’y fie… »
Sans doute y a-t-il dans ces représentations bien des inexactitudes, qui pour certaines sont autant de créations parfois tardives. Léonard de Vinci n’est pas mort dans les bras d’un roi qui le chérissait et le tableau d’Ingres n’a pas valeur de mémoire historique ; il signale uniquement les ambitions que le peintre peut avoir en mettant en scène une relation presque affective du pouvoir et des arts. Les vers royaux prétendument gravés à Chambord sont en fait de Victor Hugo. Même si le mémorialiste Brantôme relate avoir lu, dans la dernière partie du 16e siècle, les mots « Toute femme varie » écrits de la main du roi à côté de la fenêtre de la chambre royale, et même si, un siècle plus tard, le médecin Jean Bernier affirme qu’on peut lire sur un « carreau de vitre » d’un cabinet joignant la chapelle du château « Souvent femme varie / Mal habil qui s’y fie », la formulation que nous avons aujourd’hui à l’esprit semble bien être une forgerie hugolienne. L’apocryphe devient ainsi distique historique qui nous donnerait accès à l’âme du roi !

Portrait de François Ier
François Ier est figuré de profil, tourné vers la droite, pour faire face à un portrait portrait d’Éléonore de Habsbourg. Le chapeau à plume du roi et le collier de l’ordre de Saint-Michel lui donnent une allure fort reconnaissable, mais la barbe très bouclée et le dessin du nez sont plutôt inhabituels.
© Bibliothèque nationale de France
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« Souvent femme varie, / Bien fol est qui s’y fie… »
Les vers royaux prétendument gravés à Chambord sont en fait de Victor Hugo. Même si le mémorialiste Brantôme relate avoir lu, dans la dernière partie du 16e siècle, les mots « Toute femme varie » écrits de la main du roi à côté de la fenêtre de la chambre royale, et même si, un siècle plus tard, le médecin Jean Bernier affirme qu’on peut lire sur un « carreau de vitre » d’un cabinet joignant la chapelle du château « Souvent femme varie / Mal habil qui s’y fie », la formulation que nous avons aujourd’hui à l’esprit semble bien être une forgerie hugolienne. L’apocryphe devient ainsi distique historique qui nous donnerait accès à l’âme du roi !
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François Ier reçoit les derniers soupirs de Léonard de Vinci
Les historiens passent leur temps à vérifier la véracité historique des témoignages. Ainsi ce tableau pourrait induire en erreur.
Arrivé en France en octobre 1516, Léonard de Vinci mourra à Amboise le 2 mai 1519. Léonard n’est cependant pas mort dans les bras du roi qui le chérissait comme le figure le tableau d’Ingres qui montre François Ier recueillant son dernier souffle. Ce tableau n’a pas valeur de mémoire historique : il signale uniquement les ambitions que le peintre peut avoir en mettant en scène une relation presque affective du pouvoir et des arts. Si l’on ignore quelle a été la véritable contribution de Léonard aux projets architecturaux du roi, à l’exception du château de Romorantin, il est en revanche certain qu’il fut sollicité en ce sens.
© RMN-Grand Palais / Jacques L’Hoir / Jean Popovitch
© RMN-Grand Palais / Jacques L’Hoir / Jean Popovitch
Nombre des images qui surgissent à la simple mention de François Ier s’ancrent cependant dans une réalité historique qu’elles transforment en éclairant seulement certains aspects de manière spécifique. Si ces images ne sont pas fausses – une image n’est jamais fausse –, elles demeurent avant tout témoignages des époques et des contextes dans lesquels elles ont été créées. Dans cette optique, les ombres autant que les éclairages ont leur importance, et les silences sur certains aspects du règne de François Ier dans les représentations tardives renseignent également sur la perception que l’on a pu avoir de ce prince à des époques variées. On peut en dire autant des images constituées du vivant de François Ier. À les considérer, on ne découvre pas un roi plus vrai ; on découvre uniquement les représentations que son propre temps a forgées. Si elles sont pour certaines bien différentes de celles que les périodes postérieures ont suscitées, il convient, plutôt que d’y chercher l’authentique François Ier, d’y percevoir une vision autre et originelle.

Le roi sévère, barbu, au chapeau couronné
Des testons régionaux adaptent fortement le portrait du roi. Ainsi celui de Rennes qui, à partir de 1540, représente le roi barbu, vieilli, le menton en avant, la moue sévère et portant un grand chapeau surmonté d’une petite couronne. C’est pour remédier à la mauvaise qualité des effigies qu’Henri II institue en 1547 l’office de « tailleur graveur général ».
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À partir de sa conception propre du pouvoir, en fonction d’évolutions politiques et culturelles majeures, le 16e siècle a en effet multiplié, selon des stratégies diverses et complémentaires, les images de François Ier. Voulues par le prince, souhaitées par son entourage ou imposées par les circonstances, elles ne sont pas toujours celles que nous connaissons, ni forcément celles que nous attendons. Certes, tel portrait peint par Clouet ou Titien est une œuvre d’art qui a traversé les siècles et atteint un niveau de persistance rétinienne que les reprises ont contribué à renforcer. Les portraits de François Ier que le 19e siècle invente ont ainsi peu ou prou toujours le profil de Titien ou le costume du Clouet. Mais, à côté de ces représentations célèbres, la plupart des images royales conçues au fil du règne de François Ier sont oubliées ou méconnues. Les regarder permet de découvrir un système de représentations éloigné du nôtre, qui ne nous interroge pas moins sur le concept même de « vérité » d’un personnage historique.
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