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Extrait

La Chanson de Roland

Extrait de : La Chanson de Roland . Édition critique et traduction de Ian Short. Le Livre de Poche, coll. Lettres gothiques, 1990.
Les chansons de geste sont des poèmes épiques chantés à l'époque des croisades. Toutes se situent trois siècles en arrière, sous Charlemagne et ses successeurs. Composée à la fin du 11e siècle, la Chanson de Roland est la première et la plus illustre des chansons de geste. Elle met en scène le combat et la mort glorieuse de Roland à Roncevaux face aux Sarrasins. Le récit est inspiré par un événement historique rapporté dans les Annales royales carolingiennes et mentionné par Éginhard, le biographe de Charlemagne : le 15 août 778, au retour d'une campagne militaire en Espagne contre les musulmans, l'arrière-garde de l'armée de Charlemagne est attaquée dans les gorges des Pyrénées par des Vascons (Basques). Cet épisode, passé presque inaperçu sous les Carolingiens, devait engendrer le premier grand texte littéraire français.

La mort de Roland

    133

Roland a mis l'olifant à sa bouche,
Il le serre bien, il sonne de tout son souffle.
Hauts sont les monts, et le son porte loin ;
On entendit l'écho à trente lieues et plus.
Charles l'entendit, et toute son armée.
Le roi déclare : « Nos hommes livrent bataille ! »
Et à l'inverse Ganelon lui répondit :
« Si un autre que vous le disait, cela semblerait un grand mensonge »

    134

Le comte Roland, avec peine et souffrance,
A grande douleur sonne son olifant.
Le sang jaillit, clair, par la bouche :
De son cerveau la tempe se rompt.
Du cor qu'il tient le son porte très loin
Charles l'entend au passage des cols,
Naimes l'entendit, et les Français l'écoutent.
Le roi déclare  : « J'entends le cor de Roland !
Il ne l'aurait jamais sonné s'il n'avait pas eu à se battre. »
Ganelon répond : « Pas du tout, il n'y a pas de bataille !
Vous êtes bien vieux, votre chef est fleuri et blanc ;
Par de tels mots, vous ressemblez à un enfant.
Vous connaissez fort bien le grand orgueil de Roland ;
On est surpris que Dieu le tolère si longtemps.
Déjà il prit Noples sans votre ordre :
Les Sarrasins de la ville firent une sortie,
Livrèrent bataille au bon vassal Roland
Il fit laver alors son épieu avec de l'eau
Pour que leur sang répandu ne se vît pas.
Pour un seul lièvre, il sonne le cor à longueur de journée.
En ce moment, il fait de l'effet devant ses pairs.
Personne au monde n'oserait engager le combat avec lui.
Chevauchez donc ! Pourquoi vous arrêter ?
Elle est bien loin devant nous, la Terre des Aïeux. »

    135

Le comte Roland a la bouche sanglante ;
De son cerveau la tempe est rompue.
Avec douleur et peine il sonne l'olifant.
Charles l'entendit, et ses Français l'écoutent.
Le roi déclare : « Ce cor a longue haleine ! »
"Un chevalier y met toutes ses forces, répond le duc Naimes.
A mon avis, il est en train de se battre,
Et celui-là l'a trahi qui vous demande de ne rien y faire.
Armez-vous donc, poussez votre cri de guerre,
Et secourez vos nobles et proches vassaux ;
Vous entendez bien que Roland se lamente ! »

    136

L'empereur a fait sonner ses cors,
Les Francs descendent de cheval et s'arment
D'épées dorées, de hauberts et de heaumes ;
Leurs écus sont beaux, leurs épieux grands et forts,
Leurs gonfanons blancs, vermeils et bleus.
Tous les barons de l'armée montent sur leurs destriers,
Piquent fort des deux en traversant les cols.
II n'est pas un qui ne dise à l'autre :
« Si nous pouvions revoir Roland avant sa mort,
Nous frapperions avec lui de grands coups. »
Mais à quoi bon ? Ils ont trop tardé.

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