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Le sport antique existe-t-il ?

Domaine public
Mosaïque représentant les jeux du cirque
Cette mosaïque a été retrouvée à Lyon au début du 19e siècle et presque aussitôt reproduite. Elle représente plusieurs moments des courses de char dans un cirque. Si l'on sait qu'un cirque a existé à Lyon, rien n'indique qu'il s'agisse de celui représenté ici.
Domaine public
Le nom donné à nos « Jeux olympiques » depuis 1896 — date de leur recréation à Athènes à l’instigation du baron Pierre de Coubertin — aurait paru très étrange à un Grec de l’Antiquité. Au 5e siècle avant notre ère, cette manifestation n’avait rien à voir avec des « jeux ». Le mot jeu est d’ailleurs emprunté au latin et non au grec.
L'emploi du mot jeu a peut-être été popularisé par l’expression « jeux du cirque », d'autant que Jeux olympiques contemporains ressemblent peut-être plus à ces événements romains qu’aux fêtes sportives d’Olympie – à condition de ne pas interpréter de façon erronée cette expression de « jeux du cirque ». Pour les Romains, il ne s’agissait pas tant des combats de gladiateurs, pratiqués dans les arènes, que des spectacles qui se déroulaient dans un édifice comme le Grand Cirque de Rome (Circus Maximus), c’est-à-dire pour l’essentiel des courses de chars, dont la célèbre séquence du film Ben Hur nous donne une assez bonne image.

Circus Maximus
Sur cette gravure de 1553 représentant le Circus Maximus, on retrouve, en plus détaillés, les éléments présents sur les monnaies romaines, notamment le sesterce de Trajan représentant le cirque : à gauche, la porta triumphalis ; à droite les deux pylônes encadrant les carceres, tous surmontés de statues de quadriges ou de chevaux ; aux extrémités de la spina, les metae et leurs trois cônes, et au centre le grand obélisque d’Auguste. Mais on trouve aussi un deuxième obélisque, érigé de 357 par Constance II, aujourd’hui place Saint-Jean-de-Latran, qui mesure aujourd’hui 36 m et est le plus grand de Rome, ce qui permet de mesurer à quel point celui d’Auguste devait être plus grand qu’aujourd’hui.
Parmi les autres éléments de la spina, on trouve les deux dispositifs de comptage des tours : à gauche, sur un tétrapyle, 7 œufs qui étaient baissés au fil de tours, et à droite les 7 dauphins qui étaient renversés dans le même but le long de la course.
Domaine public
Domaine public

Courses de chars sur le modèle du film Ben Hur
Roman vendu à des millions d'exemplaires, Ben Hur a donné lieu de manière précoce à des adaptations cinématographiques : deux films muets, réalisés par Sidney Olcott (1907) et Fred Niblo (1925) précèdent le très célèbre film de William Wyler avec Charlton Heston. C'est probablement à l'une de ces deux adaptations précoces que font référence les participants de cette fête du cinéma en 1928, lorsqu'ils se lancent dans une course de chars endiablée, en toge s'il vous plaît !
Bibliothèque nationale de France
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Les Grecs ne connaissaient-ils que le jeu ?

Toupie antique
On connaît mal les jeux auxquels se livraient les enfants dans la Grèce antique. Les céramiques peintes nous montrent des jeux de balle, des hochets, des chariots à roulettes ou encore de petits bâtons. Plus rarement, certains jouets ont traversé les siècles : c'est le cas de cette toupie, objet ludique largement partagé dans un grand nombre de civilisation.
© GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Tony Querrec
© GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Tony Querrec
Les compétitions d’Olympie n’avaient rien à voir avec des jeux, comme le rappelait l’épigraphiste Louis Robert : « Les jeux des Grecs, c’étaient la toupie, le cerceau [qui d’ailleurs servait aussi à l’entraînement des athlètes], les osselets, les dés… ». Les Grecs utilisaient le mot agôn (pluriel agônes) pour désigner ce type de festival impliquant un rassemblement et des luttes entre athlètes. On parle même parfois de « civilisation agonistique » parce que ce type d’agôn se retrouve dans d’autres domaines, juridique ou littéraire.
Pourtant, contrairement à ce que pensent encore plusieurs théoriciens dans la lignée du sociologue Norbert Elias, il faut bien parler déjà de sport. Pour certains historiens ou anthropologues, le fait que le mot « sport » soit emprunté à l’Angleterre du 19e siècle – même s’il dérive en réalité d’ un vieux mot français qui remonte au 13e siècle – impliquerait de ne pas l’utiliser pour les périodes précédentes et donc l’Antiquité : les Grecs auraient beau sauter, courir, lancer disque ou javelot, lutter et boxer, ils ne faisaient pas de « sport » ? À ce compte-là, il faudrait parler de l’Antiquité seulement en grec et en latin…
On met parfois en avant toute une série de critères qui ne seraient pas remplis par les « jeux de compétitions » antiques. Ceux-ci ne comporteraient pas de réglements écrits, d’institutions, de calendrier, d’organisation. Mais c’est ignorer complètement la documentation, les textes littéraires et les inscriptions. On connaît en effet un règlement d’Olympie remontant au 6e siècle avant notre ère et codifiant les épreuves de lutte. Et pour en rester au seul exemple du calendrier des agônes, il était d’une complexité inouïe pour permettre aux athlètes du monde grec de parcourir la Méditerranée afin de participer à tous les grands concours – il y en a eu des centaines à partir du 3e siècle avant notre ère. À Delphes, des inscriptions précisent tous les travaux qui doivent être accomplis au stade pour que celui-ci soit en mesure d’accueillir les Jeux pythiques au bout de quatre ans.

Stèle d'Olympie dédiée à un éphèbe
Cette inscription témoigne de la tendresse qu'une mère portait à son fils. Julia Halpa y fait célébrer son enfant alors qu'il vient de terminer son éphébie, c'est à dire la formation nécessaire à tout futur membre d'une cité grecque. L'éphébie comportait notamment une préparation sportive et athlétique.
L'inscription se lit : Η ΟΛΥΜΠΙΑ[ΚΗ] ΒΟΥΛΗ ΚΑΙ Ο ΔΗΜΟC ΗΛΕΙΩΝ Π ΜΕΜΜΙΟΝ ΦΙΛΟΔΑΜΟΝ Γ ΜΕΜΜΙΟΥ ΕΥΔΑΜΟΥ ΥΙΟΝ Γ ΙΟΥλΙΟΥ CΩCΤΡΑΤΟΥ ΕΓΓΟΝΟΝ ΕΦΗΒΕΥCΑΝΤΑ ΑΡΕΤΗC ΚΑΙ CΩΦΡΟCΥΝΗC ΚΑΙ ΠΑΙΔΕΙΑC ΕΝΕΚΕΝ ΚΑΙ ΥΠΕΡ ΤΗΝ ΗΛΙΚΙΑΝ ΔΟΞΗC ΑΝΕΘΗΚΕΝ ΙΟΥΛΙΑ ΑΠΛΑ Η ΜΗΤΗΡ, ce qui peut se traduire ainsi : « Le conseil olympique et le peuple d'Élis (honorent) P. Memmius Philodamus, fils de G. Memmius Eudamus, petit-fils de G. Julius Sostratus, pour avoir terminé sa formation avec bravoure, intelligence, connaissance, et une réputation au-delà de son âge. Érigé par sa mère, Julia Hapla ».
Wikipedia commons, Manthou, CC BY-SA 4.0
Wikipedia commons, Manthou, CC BY-SA 4.0
Le cas d’Olympie est là encore très significatif puisque les « jeux » de ce sanctuaire étaient annoncés à toutes les cités par des ambassadeurs. Le règlement précise qu’ il fallait entre autres arriver un mois avant le début des épreuves pour que les magistrats puissent examiner les athlètes, voir s’ils étaient dignes de concourir, les classer dans une catégorie – puisqu’il y avait dans ces olympia antiques, contrairement à nos Jeux olympiques, des épreuves pour « juniors » (paides) et pour « seniors » (andres).
Une anecdote transmise par le voyageur Pausanias est révélatrice de cette organisation que d’aucuns ne veulent pas voir. À la fin du 1er siècle de notre ère, un Alexandrin nommé Apollônios arrive en retard et allègue qu’il a été retardé en mer par des vents contraires – c’était une excuse qui pouvait être acceptée. Mais un de ses camarades le dénonce auprès des juges en révélant qu’il courait le cachet du côté de l’Asie mineure (Turquie actuelle) dans des concours dotés d’argent : Apollônios, non content d'être seulement exclu, est obligé de payer une amende pour ses mensonges.
Les Grecs ne connaissaient pas les records ?

Athlète victorieux sur un lécythe antique
Ce jeune homme vient de remporter la victoire : encore dans sa nudité athlétique, il a ceint sur son front et sur ses bras les rubans de la victoire et tient des rameaux dans ses mains. Est-il en train de participer à l'epinicies, la fête qui célèbre son exploit ? Ou est-il en train de le dédier au dieu en l'honneur duquel il a concouru ?
Au fil du temps, la représentation des athlètes sur les vases a beaucoup évolué dans la Grèce antique : alors qu'ils préféraient des scènes actives, d'exercice et de compétition, les peintres se consacrent davantage au 5e siècle av. J.-C. aux représentations de victoires.
Bibliothèque nationale de France
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Il est vrai que nous ignorons le temps des meilleurs sprinters sur la distance d’un stade ou d’un diaulos (double stade). Mais l’absence de chronomètre et les différences de longueur des épreuves selon les cités et les sanctuaires l’expliquent facilement – on sait que le stade d’Olympie était le plus long car ses 600 pieds (192 m) auraient, selon la légende, été calqués sur ceux d’Héraklès… Mais ce n’est pas une raison pour dénier aux Grecs toute idée d’établir un record : d’ailleurs, des indications sur le saut en longueur semblent indiquer que la mesure et la performance étaient prises en compte. Des athlètes auraient sauté au-delà de 50 pieds, autrement dit plus de 15 m – et on pense alors à un quintuple saut sans élan, une hypothèse toujours discutée.

Le stade du site archéologique d'Olympie
Dans le sanctuaire d'Olympie, dédié à Zeus, se déroulaient tous les quatre ans les Jeux olympiques, concours sportifs destinés à adorer la divinité et à rassembler les cités grecques. S'y tenaient également régulièrement des jeux en l'honneur de Héra, l'épouse de Zeus. Le stade accueillait ainsi les épreuves de course de vitesse et de fond, mais aussi différentes formes de lutte, le lancer du disque et du javelot, ou encore le saut en longueur. Seules les épreuves équestres se déroulaient sur l'hippodrome.
Trois stades ont été construits successivement sur le site ; celui qui subsiste actuellement, fouillé depuis 1958, remonte au 5e siècle av. J.-C., moment de développement des Jeux. Il mesure six cents pieds, mesurés théoriquement sur le pied du demi-dieu Héraclès.

Athlète sautant avec des haltères
Le saut en longueur dans la Grèce antique ne ressemble pas vraiment à celui pratiqué par les athlètes modernes. Les athlète sautent en s'aidant d'haltères de pierre ou de bronze pour se projeter, et effectuent plusieurs sauts : trois, ou plus probablement cinq.
Bibliothèque nationale de France
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C’est sur un autre plan que se situe le record dans la mentalité grecque : il s’agit d’être le premier à avoir réussi tel ou tel exploit, à gagner boxe et lutte dans les mêmes jeux ou plusieurs fois de suite, et on multiplie dans les palmarès les combinaisons pour montrer qu’on est prôtos kai monos, le premier et le seul à avoir enchaîné ces victoires. Comment dépasser Léonidas de Rhodes vainqueur à Olympie dans les trois courses de sprint (stade, diaulos, course armée) lors de quatre concours successifs, de 164 à 152 avant notre ère ?
Léonidas de Rhodes a aussi excellé dans ce genre d'exercice, ayant été célèbre par sa légèreté, et invincible durant quatre olympiades : il remporta quatorze victoires à la course
Cette course aux records est aussi inscrite dans la maxime que dicte Pélée à son fils Achille dans l’Iliade, et qui exprime toute la mentalité sportive grecque : « Être toujours le meilleur, surpasser tous les autres ».
Le sport-spectacle n’existerait pas dans l’Antiquité ?

Le stade de Delphes
Le sanctuaire de Delphes, dédié à Apollon, accueillait tous les quatre ans les Jeux pythiques. Construit au 3e siècle av. J.-C., ce stade de 178 mètres de long environ (600 pieds romains), accueillait les coureurs, luttteurs et autres athlètes qui s'affrontaient dans le but de gagner la couronne de lauriers. Les coureurs pouvaient parcourir une fois la longueur du stade (course de stadion), mais aussi faire des aller-retours en tournant autour de bornes placées aux extrémités. La course du diaulos impliquait de parcourir deux stades, tandis que le dolichos, course de fond, se déroulait sur vingt stades.
Le bâtiment a été remanié à plusieurs reprises dans son histoire. Entre 167 et 177, le riche donateur Hérode Atticus fit remplacer les gradins en terre originels, appuyés sur la pente orginielle du terrain, par des gradins de pierre, tandis que des édifices de calcaire venaient remplacer les constructions de bois. Le voyageur grec Pausanias, véritable « touriste » du monde antique, a évoqué cette reconstruction et a décrit le stade dans le livre 10 de sa Périégèse.
Bibliothèque nationale de France
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Et surtout, c’est oublier Rome et ses jeux du cirque, c’est ne pas voir que Rome a même inventé le sport-business. La comparaison entre les courses de chars romaines et notre football est éclairante et n’a rien d’anachronique. Dans les deux cas, une passion planétaire : les courses suscitent le délire des foules de l’Empire depuis le Portugal jusqu’à l’Asie mineure, depuis l’Angleterre jusqu’à l’Afrique du nord.

Course de chars aux Circus Maximus
Au revers de ce jeton, ou médaillon contorniate, on reconnaît aisément la spina du Circus Maximus à ses metae (bornes) et à son obélisque.
Cet objet, de plus grandes dimensions qu’une monnaie ordinaire, a pu développer une scène plus ambitieuse avec ses quadriges en course. Il témoigne de l’intérêt pour les courses de char jusqu’à des périodes tardives (fin du 4e ou début du 5e siècle).
L'avers présente la tête laurée de l'empereur Néron.
Bibliothèque nationale de France
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(lampes de terre cuite, verres moulés, canifs en os, médaillons de bronze…) que l’on retrouve dans toutes les fouilles de sites romains et qui portent l’image et le nom de cochers et de chevaux célèbres. Les stars sont les cochers de quadriges (en latin, agitatores) : comme les grands joueurs de foot, certains gagnent des fortunes, ont parfois une statue de marbre, et sont l’objet de transferts d’une couleur à une autre, ce que révèlent leurs palmarès extraordinairement détaillés.

Manche de couteau à l'effigie d'un aurige
Cet objet d'ivoire est une face d'un manche de couteau ou de fouet en os. Il reste les dernières lettres d’une inscription peinte en rouge : ILAR/VS, sans doute le nom de l'aurige représenté au-dessous, tenant une longue palme de la main gauche.
Ces couteaux, à représentation d’aurige ou de cheval vainqueur étaient sans doute utilisés lors des courses de chars, pour trancher les rênes en cas d’accident. Ils pouvaient également être vendus à titre de « produits dérivés » à l'effigie des attelages les plus populaires.
Bibliothèque nationale de France
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En fin de compte, le sport doit peut-être être considéré, si l'on suit Jean Manuel Roubineau, comme un phénomène historique ayant connu une double naissance, l’une dans la Grèce du 6e siècle avant notre ère, la seconde dans l’Angleterre du 19e siècle. En tout cas, on ne peut nier l’existence du sport dans les civilisations grecque et romaine.
Provenance
Cet article a été rédigé en 2024.
Lien permanent
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