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La Terre vue par les savants grecs

L’École d’Athènes (détail)
L’École d’Athènes (détail)

Domaine public

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Au 7e siècle av. J. -C., en Ionie et en Grande Grèce, mythes et savoirs sont diffusés par le biais des poèmes homériques, et se fondent en partie sur les observations astronomiques mésopotamiennes. C’est dans ce contexte que naît la science, fondée sur une méthode rationnelle et cherchant à expliquer le monde.

L’invention du cosmos

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© BnF – Éditions Multimédias

Le bouclier d’Achille

Les œuvres des premiers savants, Thalès, Anaximandre, Pythagore, Parménide, aujourd’hui disparues, sont connues par ce qu’en ont dit de lointains successeurs comme Platon et Aristote, deux à trois siècles plus tard. Au-delà des schémas mythiques ou religieux, ces hommes cherchent à expliquer le monde et la nature. Thalès fonde le monde sur le principe de l'eau, tandis que pour Anaximène il relève du principe de l’air, pour Héraclite d’Ephèse du feu, et pour Anaxagore, de l’esprit. Leur compréhension du monde postule l'idée d'ordre et d'harmonie constitutifs d'un cosmos dont tous les éléments doivent obéir à des lois physiques et mathématiques.

Les savants, Calliclès, affirment que le ciel et la Terre, les dieux et les hommes sont liés ensemble par l’amitié, le respect de l’ordre, la modération et la justice, et pour cette raison appellent l’univers l’ordre des choses et non le désordre, ni le dérèglement.

Platon, Gorgias, 4e siècle av. J.-C.

La science des Grecs s’efforce de « sauver les phénomènes » c’est-à-dire de rendre compte le plus rationnellement possible des apparences observées dans le ciel, en élaborant des modèles explicatifs qui permettent d’en prévoir le retour. Hérodote dit que Thalès aurait ainsi annoncé l’éclipse de soleil de 585 av. J.-C.

Tout ce que l’on peut connaître a un nombre, sans le nombre nous ne comprenons ni ne connaissons rien.

Philolaos de Crotone, Sur la Nature, 5e siècle av. J.-C.
 

Le système de Pythagore
Le système de Pythagore |

Bibliothèque nationale de France

Le système d’Anaximandre
Le système d’Anaximandre |

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Pythagore et ses disciples croient que les nombres préexistent à l’univers sensible, et que la cosmologie est fondée sur la mathématique comme la géométrie ou la musique. De même que l’harmonie musicale repose sur des rapports numériques fixes entre les sept notes de la gamme, l’astronomie doit rechercher « l’harmonie des sphères », c’est-à-dire des sept planètes (incluant le Soleil et la Lune), à partir de l’évaluation de leurs dimensions et de leur distance à la terre. Ainsi le nombre sept symbolise-t-il la totalité de l’univers, espace et temps réunis, associant le trois céleste au quatre terrestre, à travers les sept jours de la semaine, les sept directions (avec le haut, le bas et le centre) les sept métaux, les sept couleurs de l’arc en ciel...

Le nombre sept par ses vertus cachées maintient dans l'être toutes choses ; il dispense vie et mouvement ; il influence jusqu’aux êtres célestes.

Hippocrate de Chios, 5e siècle av. J.-C.

La Terre au centre d’un univers sphérique

Le contexte politique

Les philosophes, mathématiciens et astronomes à l’origine de la démarche scientifique sont imprégnés des nouvelles conceptions politiques nées dans les cités grecques. Comme le foyer est le cœur de la maison et l’agora le centre de décision d’une cité où les citoyens sont liés entre eux par des relations de symétrie et d’égalité, de même la Terre est le foyer fixe au centre de l’univers. La géométrisation de l’espace politique instaurée à Athènes par les réformes démocratiques de Clisthène à la fin du 6e siècle av. J.-C., se retrouve dans leur vision de l’univers.

Le progrès intellectuel

Sur les distances et les grandeurs du Soleil et de la Terre
Sur les distances et les grandeurs du Soleil et de la Terre |

Bibliothèque nationale de France

L’idée que le cosmos puisse être sphérique marque un progrès important par rapport à la conception antérieure d’une voûte céleste. L’univers semble tourner d’un mouvement régulier et le premier ouvrage d’astronomie antique qui nous soit parvenu, La sphère en mouvement d’Autolycos de Pitane (330 av. J.-C.), montre que cette sphère apparait différente suivant les lieux d’où on l’observe : au pôle, les étoiles ne se lèvent ni ne se couchent, mais tournent concentriquement autour de la Polaire ; à l’équateur, toutes se lèvent et se couchent perpendiculairement à l’horizon, et entre les deux, leur trajet est oblique. Euclide explique que les étoiles sont en fait très éloignées et que la Terre est réductible à un point dans l’espace ; tout observateur voit donc une moitié de la sphère céleste.

Le ciel sphérique, lui-même constitué de sept sphères planétaires emboîtées (Lune, Vénus, Mercure, Soleil, Mars, Jupiter, Saturne) et de celle du firmament, conduit logiquement à l’idée du géocentrisme. Au centre de cet univers rond, la Terre ne peut tomber ni dans un sens ni dans l’autre ; en équilibre, elle est donc immobile. Sinon, explique Ptolémée, elle sortirait du ciel, les oiseaux en vol se perdraient et la pierre lancée verticalement en l’air ne retomberait pas à son point de départ.

Le géocentrisme dominant

L’hypothèse géocentrique implique le mouvement régulier du ciel et des étoiles pour expliquer l’alternance des jours et des nuits ainsi que la succession des saisons. Les mouvements irréguliers des planètes nécessitent des prodiges d’explication géométrique : emboîtements en pelures d’oignon de multiples sphères concentriques, orbites planétaires excentrées, cercles supplémentaires épicycles... Le géocentrisme va de pair avec la conception anthropocentrique et close d’un monde des hommes sous le ciel des dieux.

Représentation cosmographique géocentrée, entourée des signes du zodiaque
Représentation cosmographique géocentrée, entourée des signes du zodiaque |

Bibliothèque nationale de France

D’autres hypothèses paraissaient alors moins convaincantes : les Pythagoriciens imaginaient un feu central, Héraclide du Pont (v. 388-315 av. J.-C.) envisageait la rotation de la Terre sur elle-même et Aristarque de Samos (v. 310-230 av. J.-C.) la révolution de la Terre et des planètes autour du soleil. Le fait que certains sceptiques ou épicuriens comme Aristarque ou Lucrèce imaginent d’autres mondes possibles dans un univers qui serait infini, remet en cause l’ordre du monde et paraît subversif.

Ciel et Terre, Soleil, Lune et mer, rien de ce qui est n'est unique, mais existe, au contraire, en nombres infinis.

Lucrèce, De la Nature des choses, II 1085, 1er siècle av. J.-C.

La Terre est ronde

Les premières cosmologies évoquaient un disque flottant sur la mer, d’autres imaginaient un œuf, une poire ou une pomme de pin, mais Anaximandre ayant observé la courbure de la surface de la Terre, lui donna la forme ventrue et régulière d’un cylindre avec deux faces planes.

Une exigence intellectuelle

La terre est ronde pour les Grecs de l’Antiquité
La terre est ronde pour les Grecs de l’Antiquité |

Bibliothèque nationale de France

C’est une exigence de symétrie qui conduit les Grecs à déduire la forme sphérique de la Terre de sa position au centre de la sphère cosmique. Les arguments en ont été avancés très tôt, dès le 6e siècle, avec l’horizon arrondi sur la mer et l’impression qu’il s’éloigne au fur et à mesure que l’on s’en approche ; on évoque aussi les mâts des navires arrivant du loin ; des soldats, des voyageurs comme Pythéas de Marseille, ont observé les différences de hauteur des mêmes étoiles en fonction de la latitude. Platon pense que la matière est attirée vers le centre où se trouve le plus de masse, Aristote mentionne aussi la forme de l’ombre de la Terre projetée sur la Lune lors des éclipses. Pourtant l’accord des savants sur la rotondité de la Terre s’impose moins facilement que sur la sphéricité du ciel, car cela contredit l’expérience du sens commun plaidant en faveur d’une Terre plate, entourée de l’Océan et où les hommes se tiennent debout.

Quand nous parlons d'antipodes, nous n'affirmons pas qu'il existe effectivement des hommes qui nous seraient diamétralement opposés, mais seulement qu'il existe sur la Terre un lieu habitable qui nous est diamétralement opposé.

Géminos, Introduction aux phénomènes, XVI 19-20, 1er siècle av. J.-C.

Une mesure géniale

D'après la manière dont les astres se montrent à nous, il est prouvé que non seulement la Terre est ronde, mais même qu'elle n'est pas très grande, car il nous suffit de faire un léger déplacement, vers le sud ou vers l'Ourse, pour que le cercle de l'horizon devienne évidemment tout autre.

Aristote, Traité du Ciel, II 14, 4e siècle av. J.-C.

Le monde d’Aristote
Le monde d’Aristote |

Bibliothèque nationale de France

Un long effort de réflexion des générations précédentes avait été nécessaire avant d’arriver à la netteté d’Aristote. On pouvait essayer désormais de calculer les dimensions de la Terre. Au 3e siècle av. J.-C., Eratosthène, directeur à Alexandrie de la plus grande bibliothèque du monde antique, calcule sa circonférence à partir de la distance de 5 000 stades séparant Assouan d’Alexandrie et de l’observation du soleil le 21 juin à midi : à Assouan, il est à la verticale et fait un angle de 7°12’ avec celle-ci, à Alexandrie, l’équivalent de 1/50 de circonférence. Cela permet d’estimer à 252 000 stades la circonférence terrestre (soit, suivant la valeur incertaine du stade, entre 39 600 et 45 000 de nos kilomètres). Du 3e siècle av. J.-C. jusqu’au 19e siècle, le procédé restera le même : d’abord mesurer la distance entre deux points éloignés sur un méridien, en comptant le nombre de tours de roue d’un char ou le nombre de pas, puis évaluer la latitude de chaque point. Les angles étant plus faciles à évaluer que les distances, le résultat d’Eratosthène, si proche de l’exactitude, était le fruit heureux d’erreurs qui se compensaient.

Le cercle et la sphère

Quiconque ne sait pas reconnaître dans le ciel les 7 étoiles de la Grande Ourse, n'a jamais jeté les yeux sur une sphère armillaire, n'a jamais vu la place des cercles parallèles ou obliques, de l'horizon, des cercles arctiques, ne peut rien comprendre à la géographie.

Strabon, Géographie, I, 1, 21, 1er siècle apr. J.-C.

Que la Terre soit sphérique au centre du monde est d’abord un postulat philosophique né avec les Pythagoriciens, formulé ensuite par Platon et adopté plus tard par beaucoup de théologiens chrétiens. Si l’on pose que les astres sont d’essence divine, ils doivent être parfaits donc sphériques.

Timée de Platon - sur la perfection de la sphère

Platon, Timée, 33 b, vers 360 av. J.-C.
« Celui qui constitua le monde (...) lui donna comme figure celle qui lui convenait et qui lui était...
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La sphère de Sacrobosco
La sphère de Sacrobosco |

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D’autres « raisons » justifient le choix de la forme ronde : la plus commode pour le mouvement, la plus pratique puisqu’elle permet d’utiliser le raisonnement géométrique et mathématique, la seule n’ayant ni commencement ni fin. La doctrine scientifique et philosophique d’Aristote, enseignée au Moyen Âge, voit dans le cercle la trajectoire parfaite et éternelle des corps célestes, ni lourds ni légers et ne s’éloignant pas. Cela ne paraît possible que dans l’éther ou quintessence, cinquième élément inaltérable et éternel, censé régner dans le monde supra-lunaire des astres. Au contraire, le domaine sublunaire est celui, transitoire et corruptible, des quatre éléments, du plus lourd au plus subtil, terre, eau, air, feu, là où s’effectuent les mouvements rectilignes qui montent ou descendent, vont et viennent, comme ceux attribués aux comètes.

Du fait que le corps céleste a un mouvement naturel (circulaire) qui lui est propre et différent de ceux des quatre éléments, il s'ensuit que sa nature est nécessairement autre que celle des quatre éléments.

Aristote, Du Ciel, vers 350 av. J.-C.

Allégorie du temps
Allégorie du temps |

Bibliothèque nationale de France

À la Renaissance, le postulat aristotélicien et néo-platonicien est remis à l’honneur avec des arguments du même ordre. Pour Ronsard, « rien n’est excellent au monde s’il n’est rond ». La forme du cercle suggère une puissance d’expansion et de concentration simultanées, aussi bien au niveau cosmique qu’humain. Elle est toujours associée à l’idée de continuité et d’éternité ; la roue du temps renvoie à une conception circulaire de la durée, déjà présente chez les Babyloniens qui avaient divisé le cercle en 360°, soit 12 secteurs de 30° comme pour le cercle du Zodiaque. Plus novateur dans l’élaboration symbolique, l’astronome Kepler affirme que le monde ayant été créé à l’image de Dieu, la sphère est le symbole géométrique de la Sainte Trinité. Mais, en découvrant que l’orbite des planètes est elliptique, il porte un coup décisif à la dignité symbolique du cercle.

Provenance

Cet article a été publié à l’occasion des expositions « Figures du ciel » et « Couleurs de la Terre » présentées à la Bibliothèque nationale de France en 1998 et 1999.

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