Découvrir, comprendre, créer, partager

Focus

Le livre pour enfants avant 1850

Page d’abécédaire illustrée
Page d’abécédaire illustrée

© Bibliothèque nationale de France

Le format de l'image est incompatible
Depuis l’Antiquité, certains textes rencontrent du succès auprès des enfants. Dans le cadre scolaire ou familial, l’enfant est exposé à différents textes, qui lui sont plus ou moins accessibles dans un cadre scolaire ou familal. Mais à partir de la seconde moitié du 18e siècle, une littérature spécialisée commence à se développer.

Du Moyen Âge au milieu du 18e siècle

Frontispice pour les Contes de ma mère l’Oye
Frontispice pour les Contes de ma mère l’Oye

Au Moyen Âge, les premiers livres destinés à l’enfant sont manuscrits. Nous connaissons celui de Dhuoda, une mère de famille carolingienne qui écrit, au 9e siècle, un traité d’éducation pour son fils Guillaume. De façon générale, dans le cadre familial ou scolaire, l’enfant est destinataire d’un ensemble de textes, souvent oraux, qui peuvent être regroupés en trois corpus : la littérature de colportage, l’apprentissage des rudiments et enfin les livres de collèges ou destinés à l’éducation du prince.

La littérature de colportage

Un premier corpus littéraire s’est constitué depuis l’Antiquité à partir de textes qui rencontrent du succès auprès des enfants alors qu’ils n’ont pas été spécifiquement rédigés à leur intention : fables d’Ovide, Ésope ou La Fontaine ; contes de Madame d’Aulnoy, Straparole, Basile, Mlle Lhéritier et Charles Perrault, dont les Histoires ou Contes du temps passé avec des moralitéz, parus en 1697, constituent incontestablement l’ouvrage le plus célèbre dans le corpus de la littérature partagée par les enfants et les adultes ; romans de chevalerie (Histoire des quatre fils Aymon, Roland de Roncevaux, Geneviève de Brabant).

Les Quatre Fils Aymon
Les Quatre Fils Aymon |

© Bibliothèque nationale de France

Édition originale des Contes de Perrault
Édition originale des Contes de Perrault |

© Bibliothèque nationale de France

Tous ces genres sont abondamment diffusés par la « Bibliothèque bleue » auprès d’un lectorat populaire dont elle facilite l’exercice de lecture par la typographie, la structure du texte et les figures gravées sur bois.

L’apprentissage des rudiments

Un second corpus didactique regroupe les abécédaires, les catéchismes, les vies de saints, les « civilités », c’est-à-dire un ensemble de textes qui mettent l’accent sur les premiers apprentissages de l’enfant dans les domaines scolaire, religieux et moral. Les civilités sont des recueils de règles dont le respect est nécessaire à la vie de groupe ; elles existent sous forme orale jusqu’au 15e siècle, puis écrite à partir du 15e. L’originalité du texte d’Érasme De civilitate morum puerilium (1530) est d’avoir fait entrer ce recueil de traditions orales dans la culture écrite et de l’avoir transformé en un genre littéraire : paraitront notamment Les Règles de la bienséance et de la civilité chrétienne de Jean-Baptiste de La Salle (1711), fondateur des frères des écoles chrétiennes ; La Civilité puérile et honnête, expliquée par l’oncle Eugène de Louis-Maurice Boutet de Montvel (1887) ; La Politesse d’Henri Bergson (1885).

Page d’abécédaire illustrée
Page d’abécédaire illustrée |

© Bibliothèque nationale de France

Les quadrupèdes
Les quadrupèdes |

Bibliothèque nationale de France

Les livres destinés à l’éducation des princes

Le troisième ensemble se compose d’une part d’une littérature d’éducation destinée à la noblesse et au prince à l’image d’Esther (1688) et d’Athalie (1690), deux tragédies écrites par Racine pour les demoiselles de Saint-Cyr, et surtout de Télémaque, écrit en 1699 par Fénelon pour servir à l’éducation du duc de Bourgogne ; s’y ajoutent d’autre part des ouvrages pédagogiques, notamment de livres à l’usage des collèges et pensionnats (grammaires, classiques grecs et latins), comme, par exemple, la collection de livres ad usum delphini. Conçue peu après 1670 par le duc de Montausier, gouverneur du Dauphin, et dirigée principalement par Pierre-Daniel Huet, la collection, dite « bibliothèque », comprend une soixantaine de volumes de classiques grecs et latins publiés à partir de 1674 : Homère, Aristophane, Plaute, Térence, Ovide, Juvénal, etc. Épurés des passages inappropriés à l’âge du lecteur, les textes sont accompagnés de notes et d’une interprétation destinée à faciliter la lecture des passages les plus difficiles. Cet événement éditorial pose des jalons et l’idée fera son chemin tout au long du 19e siècle : adapter des textes écrits pour les adultes afin de les mettre à la portée des enfants.

En Espagne, Miguel de Cervantes a publié les deux parties de Don Quichotte en 1605 et 1615 ; de l’autre côté de la Manche, Daniel Defoe fait paraître en 1719 Robinson Crusoé et son compatriote Jonathan Swift Les Voyages de Gulliver en1726. Ces trois titres devenus des classiques de la littérature pour la jeunesse n’ont pas été écrits pour les enfants.

« Gulliver et Robinson Crusoé, anglais tous les deux, se transforment, à l’insu de leurs créateurs et au prix d’adaptations réductrices, en héros d’une jeunesse, contemporaine de Cook et de Lapérouse qui ne se contente plus des seuls grands hommes de l’Antiquité classique ».

Ces trois œuvres majeures, qui sont lues par les enfants dans des éditions pour adultes, puis dans des éditions spécifiquement adaptées, appellent à une réflexion sur la traduction et l’adaptation pour la jeunesse en ce qu’elles ouvrent la voie à de nouveaux acteurs (auteurs, éditeurs, traducteurs) ayant la volonté de s’adresser à la jeunesse.

En dehors de ces prémices, c’est au milieu du 18e siècle que, parallèlement aux œuvres citées ci-dessus, se forge une littérature proprement destinée à la jeunesse sur le principe nouveau et fondamental du plaisir d’apprendre, de s’instruire en s’amusant. Inspirés par les thèses de John Locke sur l’éducation du jeune âge (Some Thoughts concerning Education, 1693), nombre de pédagogues préconisent une éducation adaptée à l’humeur de l’enfant, une instruction ludique. En 1744, Claude-Louis Berthaud expose sa méthode d’apprentissage de la lecture dans son Quadrille des enfans : sa méthode associe des figures aux sons, au moyen de fiches de différentes couleurs sur lesquelles sont collées d’un côté la figure, de l’autre la prononciation ; ces « joujoux instructifs » permettent de « faire un jeu d’une étude rebutante ».

Des Lumières à la Deuxième République (1750-1851)

La pédagogie distrayante ne se limite pas à l’apprentissage de la lecture mais donne également naissance à une littérature adaptée à l’enfance – voire aux différents âges de l’enfance –, caractérisée par la brièveté et la simplicité du récit, un ancrage affirmé dans la réalité quotidienne de l’enfant, par opposition à la féerie et au merveilleux récusés, et une finalité moralisatrice.

Amuser les enfants et les porter à la vertu

Le premier jalon est posé en 1756, le Magasin des enfans de Mme Leprince de Beaumont met en scène une gouvernante et cinq fillettes, âgées de cinq à treize ans, en une vaste fresque éducative formée de vingt-neuf dialogues truffés de leçons d’histoire sainte, d’histoire naturelle, de géographie, de mythologie et agrémentés de quatorze contes moraux (dont le plus célèbre est La Belle et la Bête). Ces dialogues, dosant savamment féerie modérée et religion, opèrent comme de véritables modèles pour les enfants.

Le Magasin des enfants ou Dialogue d'une sage gouvernante avec ses élèves de la première distinction
Le Magasin des enfants ou Dialogue d'une sage gouvernante avec ses élèves de la première distinction |

Bibliothèque nationale de France

L’Ami des enfans
L’Ami des enfans |

Bibliothèque nationale de France

Mme de Genlis, de son côté, publie en 1779 son Théâtre à l’usage des jeunes personnes, suivi en 1784 des non moins célèbres Veillées du château. Enfin, en 1782-1783, Arnaud Berquin fait paraître le premier périodique français destiné aux enfants : L’Ami des enfans, dont chaque livraison, composée de 144 pages, propose « un petit drame dont les principaux personnages sont des enfants ».

Cette littérature est toutefois marquée par une certaine défiance à l’égard de l’imaginaire et des contes de fées. La préface de L’Ami des enfans indique qu’on ne trouvera pas trace de fiction extravagante ni de merveilleux bizarre, mais des aventures dont les enfants peuvent être témoins chaque jour, le début du prospectus faisant figure de manifeste : « Cet ouvrage a le double objet d’amuser les enfants et de les porter naturellement à la vertu. » La période révolutionnaire va contribuer à amplifier la tendance à une édition récréative et non plus seulement instructive. Dans les années 1780 à 1800, les catalogues de libraires font mention de nombreuses adaptations des œuvres de Defoe, Buffon (les « Buffon de la jeunesse » ) et Berquin, pour ces derniers sous le titre évocateur de robinsonnades et de berquinades…

Les bases d’une édition pour la jeunesse

Dans la seconde moitié du 18e siècle, comme les bases d’une édition spécialisée pour la jeunesse sont désormais posées, certains auteurs écrivent pour ce qui devient progressivement un « genre » et des éditeurs en constituent le fonds exclusif de leur librairie, à l’instar de l’Anglais John Newbery, qui cumule la triple fonction d’auteur-éditeur-libraire et qui ouvre à Londres en 1744 la première maison d’édition consacrée à la jeunesse, The Bible and the Sun. Il manque cependant encore en France une clientèle pour ce marché, qui va se développer à partir des années 1820 à 1830. Dans le premier tiers du 19e, deux éditeurs parisiens, Alexis Eymery et Pierre Blanchard, créent un véritable réseau commercial d’imprimeurs, en région parisienne et en province. Les nouvelles techniques mises au point pour les illustrations (gravure sur bois, lithographie) associées au formatage des collections (séries facilement repérables, uniformisation des couvertures et des cartonnages, etc.), tout concourt à la mise en place d’un véritable marché.

Éducation maternelle, simples leçons d’une mère à ses enfants
Éducation maternelle, simples leçons d’une mère à ses enfants |

Bibliothèque nationale de France

Manuels scolaires et livres de prix

L’aiguillon essentiel de cette progression est la loi Guizot du 28 juin 1833, qui organise l’enseignement primaire en imposant à toute commune de plus de cinq cents habitants l’entretien d’une école primaire. L’édition de manuels scolaires est la première stimulée et Louis Hachette tire le plus grand bénéfice des commandes publiques dès 1835. Avec les lois Falloux (1850) et Ferry (1881-1882), c’est tout un pan de l’édition à l’intention de la jeunesse qui se trouve encouragé pour répondre aux demandes massives à la fois de manuels scolaires et de livres de prix.

À la gloire des bêtes
À la gloire des bêtes |

© Bibliothèque nationale de France

Car parallèlement au créneau des manuels scolaires, le secteur des livres de prix prospère, tout comme celui des livres d’étrennes, et cette tendance va durablement marquer l’histoire de l’édition jusqu’à la Première Guerre mondiale.

Depuis les années 1730 à 1750, il était d’usage courant dans les collèges de remettre en fin d’année des livres de prix aux élèves brillants. À partir de 1820, la pratique gagne les écoles élémentaires, ouvrant un nouveau marché à l’édition enfantine. L’éditeur catholique Alfred Mame, établi à Tours, est le premier à saisir cette opportunité, avec des publications qui se signalent par la qualité du papier, de la typographie, des gravures et des cartonnages. La maison Martial Ardant frères, de Limoges, lui emboîte rapidement le pas, suivie par Barbou, également à Limoges, Mégard à Rouen, Lefort à Lille. Toutefois, le vent éditorial qui soufflait jusque-là en faveur des éditeurs catholiques de province s’inverse avec les lois Ferry : le livre de prix devient laïc et Alfred Mame ne peut que protester contre les nouvelles listes auprès de l’inspecteur général de l’Instruction primaire.

Michel le Savoyard ou la Probité, suivi d’autres épisodes
Michel le Savoyard ou la Probité, suivi d’autres épisodes |

© Bibliothèque nationale de France

Cette poignée d’éditeurs provinciaux se partage le marché des livres de prix selon une formule commune : une littérature édifiante, religieuse et morale, produite par des dames pieuses et des ecclésiastiques qui restent souvent anonymes ; des collections portant le nom de « Bibliothèques », suivant une présentation formelle identique. Les titres sont évocateurs : Michel le Savoyard ou la Probité, La Petite Mère de douze ans, Anna ou la Petite Gourmande, Le Prix de vertu, Cyprien ou les Deux Mères… Il ne s’agit pas là, en effet, de distraire la jeunesse mais de la former aux valeurs chrétiennes et à ses devoirs par des lectures strictement encadrées.

Livres d’étrennes

Catalogue Mame de livres d’étrennes 1938
Catalogue Mame de livres d’étrennes 1938 |

© Bibliothèque nationale de France

En revanche, le second secteur, celui des livres d’étrennes, qu’on met sur le marché à la veille de Noël, plus parisien et laïque, se caractérise par une plus grande notoriété des auteurs – Pauline Guizot, Amable Tastu, Élise Voïart, Jean-Nicolas Bouilly – et produit un objet-livre luxueux, destiné à la bourgeoisie. Les éditeurs en sont Lehuby, Didier, Bédelet, Desesserts. Quant au contenu, il est similaire à celui des livres de prix, avec une caractéristique constante : la féerie en est bannie. Les enfants à qui ces livres sont offerts n’ont d’ailleurs guère le loisir de les feuilleter, le « beau livre » étant souvent mis hors de portée de leurs mains enfantines.

Richelieu
Richelieu |

© Bibliothèque nationale de France

Bibliothèque du premier âge
Bibliothèque du premier âge |

© Bibliothèque nationale de France