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La Bête est morte : la guerre mondiale chez les animaux

Album conçu et rédigé par Victor Dancette et Jacques, Images de Calvo Zimmermann
La Bête est morte : la guerre mondiale chez les animaux
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Les éditions G. P., qui sont à l’origine une petite maison de publicité, ont publié leurs premiers livres pour enfants sous le régime de Vichy, pour répondre à des commandes publiques. Quelques albums patriotiques nostalgiques ont suivi, sans que l’on puisse parler d’engagement réel. Mais à la fin de l’été ou à l’automne 1944 paraît le premier tome d’un ouvrage exceptionnel à tous points de vue, réalisé « dans la gueule du Grand Loup, au groin du Cochon décoré, et sans l’autorisation du Putois Bavard ». Dancette, qui dirige la G. P., est crédité du texte et du concept avec Jacques Zimmermann, un prisonnier de guerre évadé, tandis que Calvo a réalisé l’illustration, une bande dessinée en grandes planches, à la mise en page très souple, d’une à six cases. C’est l’histoire très précise et détaillée du conflit en cours qui est contée ici, dans un monde animalier, par un vieil écureuil mutilé qui s’adresse à ses petits-enfants, la narration se projetant dans le futur puisqu’on parle d’un « passé » qui est en fait le présent des lecteurs contemporains. Chaque peuple est représenté par un animal : les loups sont les Allemands, les ours blancs les Russes, les bull-dogs les Anglais, les « hyènes à peau de louve » les Italiens, les bisons des Américains, les singes des Japonais, les éléphants des Indiens. Les phases militaires sont exposées assez en détail, les conséquences sur les civils (massacres, bombardements, réfugiés, rationnements) et aussi la déportation sont largement traitées dès le premier tome. À plusieurs reprises sont évoqués les camps de prisonniers et les camps de concentration et le sort des Juifs est illustré notamment par une scène de déportation en train, un massacre et une affiche portant les mots « Condamné à mort » et « Juif » avec l’étoile jaune en arrière-plan, même si l’extermination proprement dite ne semble pas connue ou comprise des auteurs dans le volume de 1944. Cette mention est unique en littérature de jeunesse jusqu’en 1985. Le deuxième tome donne encore plus de détails sur la Résistance intérieure et extérieure, mais aussi sur les massacres de Tulle et d’Oradour, et sur les nombreux combats et événements politiques ; des allusions assez nettes à Henriot, à Vichy et à la Milice y sont perceptibles ; l’ouvrage s’achève sur un message d’espoir et de mise en garde très politique. Cet album très riche, documenté et plus complexe qu’il n’y paraît constitue, dans la littérature pour la jeunesse, un événement qui restera sans équivalent pendant des années. Tout ce récit très dense ne serait rien sans l’extraordinaire composition de Calvo, qui multiplie les allégories, les pages-tableaux, les citations (le Delacroix des Massacres de Scio et de La Liberté guidant le peuple), les trouvailles graphiques pour jouer sur les mots et les situations et présenter une réalité horrible en la rendant acceptable par des enfants. Disney demanda dès 1944 la modification de l’album, trouvant les loups trop proches de ses œuvres. L’album semble avoir disparu du catalogue G. P. dès 1947, vraisemblablement épuisé. (O. P.)

calvo © Éditions Gallimard

  • Date
    1944-1945
  • Lieu
    Paris
  • Provenance

    BnF, département des Estampes et de la Photographie, KA-103 (5)-4°

  • Lien permanent
    ark:/12148/mm1212011025