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Le papier, une invention chinoise

Le Pays du roi Brahmâ
Le Pays du roi Brahmâ

© Bibliothèque nationale de France

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Vénéré comme le patron des papetiers, Cai Lun, un eunuque de l'Office des armes et des outils, avait « eu l'idée d'utiliser de l'écorce, du chanvre, des chiffons et des filets de pêche pour fabriquer du papier ». Sa biographie officielle précise qu'il avait présenté son invention à l'empereur Han Hedi, en 105 de notre ère, et qu'il en fut loué et récompensé.

Un inventeur, une date, un lieu

Un inventeur, une date, un lieu – Luoyang, alors capitale de l'empire –, authentifiés par l'histoire officielle... Trois certitudes ébranlées par les découvertes archéologiques des dernières décennies qui révèlent un usage du papier antérieur d'au moins deux siècles. Cai Lun passe maintenant pour avoir amélioré les techniques de fabrication du papier et l'avoir fait officiellement accepter comme substitut à « la soie, trop chère » et aux « planchettes de bambou, trop lourdes », alors supports usuels de l'écriture.

Les recettes anciennes n'ont pas été conservées, et nul ne sait comment Cai Lun utilisait les différents ingrédients. L'analyse des plus vieux papiers retrouvés confirme l'emploi de moracées : chanvre, Cannabis sativa, dama ; de tiliacées : jute, Corchorus capsularis, huangma ; de linacées : lin, Linum perenne, yama, et d'urticacées : ramie, Boehmeria nivea, zhuma.

Les fibres du mûrier à papier, une autre moracée (Broussonetia papyrifera, chu ou gou), apparaissent dans les papiers du début du 5e siècle, tandis que l'utilisation du bambou est attestée dès la fin du 8e siècle. Le bambou, si commun en Chine, deviendra un matériau privilégié et le processus de fabrication du « papier de bambou » est donné en détail dans une encyclopédie des techniques datant du début du 17e siècle. Le plus souvent, plusieurs fibres différentes sont associées dans la pâte et diverses substances végétales, ou animales, sont ajoutées pour donner au papier finesse, résistance et lustre.

La Quintessence des Lois de la Nature
La Quintessence des Lois de la Nature |

© Bibliothèque nationale de France

Les textes citent le rotin, la paille, l'hibiscus, et c'est le santal bleu (Pteroceltis tartarinowii, qingtan) qui confère au xuanzhi, le « papier de Xuan » – du nom du lieu où il est fabriqué depuis les Tang (618-907) – ses qualités de blancheur et de finesse que louent calligraphes et peintres.

Dès le début du 5e siècle, les papiers portent les traces – vergeures et lignes de chaînette – d'une forme mobile faite d'un cadre de bois et d'un treillis de bambou. Elle remplace la forme primitive, une simple étoffe fixée à un cadre de bois, qui restera cependant en usage jusqu'à une époque très récente dans le sud de la Chine ou au Népal.

Une très large utilisation

Vocabulaire chinois-coréen pour l’étude du chinois parlé
Vocabulaire chinois-coréen pour l’étude du chinois parlé |

Bibliothèque nationale de France

Très tôt, la Chine fit un large usage du papier dans la vie quotidienne et en développa une grande variété de qualités.

Les provinces livraient en tribut chaque année leurs plus beaux produits à une administration dévoreuse de papier pour sa monnaie, ses archives, ses examens, ses éditions...

Des fabrications spéciales répondaient aux exigences esthétiques des calligraphes et des peintres, tel ce « papier au poivre » jiaozhi, produit à Jianyang, dans la province du Fujian, sous les Song du Sud (1127-1279) : il tenait sa couleur jaune d'or et son parfum épicé, censé durer plusieurs siècles, d'un traitement à la décoction de graines de poivre qui le protégeait aussi de la gourmandise des insectes.

Une rapide diffusion en Extrême-Orient

Le papier circula très tôt dans l'empire, jusque dans ses garnisons les plus lointaines, comme en témoignent ces fragments du 3e siècle retrouvés parmi les ruines d'un fort chinois situé dans le désert du Taklamakan. Sa fabrication gagna les provinces les plus excentrées et les régions voisines, alors sous influence chinoise, de l'actuel Viêtnam et de la Corée.

Le papier coréen est fait essentiellement des fibres libériennes du mûrier à papier (tak). Après macération dans l'eau, l'écorce est battue soigneusement pour ne pas broyer les fibres, dont certaines restent intactes dans la pâte. La plus belle qualité, un papier épais aux longues fibres, lisse, très résistant et d'un blanc ivoirien aux reflets soyeux, était fabriquée à l'automne. Elle était réservée à la cour de Corée, mais aussi à la Chine, présentée en tribut ou exportée à l'intention des peintres et des calligraphes, qui appréciaient la douce robustesse du « papier de Jilin », jilinzhi.

De Corée, la Chine importait aussi d'autres variétés de papier, tel le « papier cuir », dengpizhi, employé pour faire des couvertures de livres, des imperméables ou pour garnir les fenêtres. Selon la tradition, c'est un moine coréen, Damjing (579-631), en japonais Doncho, qui aurait introduit la fabrication du papier au Japon en 610.

Choix de fables de La Fontaine illustrées par un groupe des meilleurs artistes de Tokyo
Choix de fables de La Fontaine illustrées par un groupe des meilleurs artistes de Tokyo |

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À partir des méthodes chinoises, les papetiers japonais ont inventé des processus et des recettes spécifiques pour obtenir des papiers d'une grande résistance et d'une extrême finesse. Au Japon, les fibres employées sont aussi celles de diverses espèces de moracées : le mûrier à papier, Broussonetia papyrifera, kozo ; le kajinoki, Broussonetia kazinoki ; le chanvre, Cannabis sativa, taima. Mais propre à la contrée est l'emploi de thymélacées comme le mitsumata, Edgeworthia papyrifera, ou le gampi, Wickstroemia Shikokiana. L'usage du chanvre a décliné dès la fin du 8e siècle au profit du mûrier à papier, apprécié pour la longueur et la robustesse de ses fibres. La douceur et la délicatesse sont les qualités de l'écorce du mitsumata, tandis que le gampi, un arbuste sauvage devenu rare, donne le plus beau des papiers, le plus résistant, le plus doux et le plus brillant, fabriqué depuis le 8e siècle.

Le Pays du roi Brahmâ
Le Pays du roi Brahmâ |

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Le lent travail de battage des fibres, l'adjonction d'un mucilagineux extrait d'une plante (d'une malvacée, tel le tororo, Abelmoschus manihot medicus, une hydrangée, ou le nori, Hydrangea paniculata), la parfaite répartition des fibres sur la forme relevée dans un mouvement de va-et-vient expulsant l'eau (nagashizuki), mais aussi l'attention apportée au choix des matières premières et à l'application des processus donnent au papier japonais ses exceptionnelles qualités.

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