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Parcours pédagogique

Le Livre et sa reliure

Par Murielle Luck, professeure agrégée d’arts plastiques
8 min de lecture
Reliure du second tome de L’Art Japonais de Louis Gonse
Durant la Renaissance, la conservation et la préservation des savoirs acquis depuis l’Antiquité constitue un enjeu majeur, qui s'exprime dans les collections de livres rassemblés par des bibliophiles, princes et lettrés. Cette attention particulière au savoir s’accompagne d’un besoin de montrer, à l’extérieur de « l’objet livre », la richesse de son contenu dans une esthétique soignée. Les reliures sont parfois aussi précieuses que les textes qu'elles contiennent, constituant ainsi une part essentielle de cet héritage culturel.

Ce parcours pédagogique explore les spécificités de quelques reliures, véritables « peaux » des livres, avant de proposer une mise en application pratique dans les cours d'arts plastiques du cycle 3 et du cycle 4.
Les ressources pour réaliser l'activité

« La reliure du livre est un grillage doré qui retient prisonniers des cacatoès aux mille couleurs, des bateaux dont les voiles sont des timbres-poste, des sultanes qui ont des paradis sur la tête pour montrer qu’elles sont riches. »
Max Jacob, Le Cornet à dés, 1917

Les rôles de la reliure

À l'époque de la Renaissance, le livre prend une valeur nouvelle, avec le développement de l'imprimerie et le renouvellement de la pensée humaniste. Sanctuaires de la littérature et de la science, ils renferment des écrits destinés à préserver l'héritage intellectuel des Anciens tout en insufflant une nouvelle vie aux idées.

La reliure à la Renaissance, loin d'être une simple couverture fonctionnelle, constitue souvent une œuvre en soi. Les artisans de la bibliophilie œuvrent avec une minutie d'orfèvre et façonnent des reliures à l'instar d'un second épiderme, s'adaptant aux contours du livre et de son contenu, mais aussi aux désirs des commanditaires. Les plaques de reliures appliquées sur le cuir avant dorure sont parfois faites spécifiquement ; ainsi Geoffroy Tory, l'imprimeur de François Ier, utilise-t-il des plaques portant son emblème « au pot cassé », et les fournit aux relieurs qui travaillent pour son compte.

Dans des reliures destinées aux princes, de riches décors ou des joyaux peuvent parer les revêtements colorés, comme autant de bijoux ornant un habit. Un recueil d'écrits humanistes de Laurent le Magnifique, réalisé en 1476, comporte une reliure en satin de soie rouge, rehaussée de plusieurs médaillons émaillés d’images en référence à Apollon. Les petites appliques du pourtours n’ont rien à envier aux cinq médaillons colorés du centre, par la minutie des représentations d’oiseaux qui y figurent.

Parmi les reliures ornées de représentations caractéristiques de la Renaissance figure celle du Rituum eccesiasticorum d'Agostino Patrizi Piccolomini, réalisée vers 1516 dans l'atelier parisien de Jean Picard. Celui-ci est le relieur attitré de Jean Grolier, grand bibliophile, qui commande pour ses livres des reliures d'art. Sur ce livre consacré aux cérémonies de l'Église prend place un décor d'arc de triomphe. La référence à l’Antiquité romaine est forte (colonnes surmontées de chapiteaux corinthiens, tympan triangulaire), mais la Renaissance ajoute son propre vocabulaire (lignes de perspective, caissons dans l'intrados de l'arc), conjuguant ainsi passé et présent. Le décor de la reliure semble ici déconnecté du texte : le relieur répond avant tout au goût de son commanditaire, et reproduit un motif conçu à l'origine pour un ouvrage d'architecture, la Raison d’architecture antique de Diego de Sagredo.

La reliure, œuvre d'art

La « peau » que constitue la reliure du livre devient à la Renaissance un lieu d'expression plastique où s'épanouissent arabesques, entrelacs et motifs floraux. Les matériaux utilisés sont souvent le cuir, estampé et doré ou rehaussé de couleurs, mais aussi parfois le textile ou le bois. Si le temps n'est plus aux riches reliures orfévrées médiévales, l'or posé sur le cuir ou sur la tranche du livre rappelle celui des enluminures, invoque la lumière et évoque la richesse, matérielle comme spirituelle.

Sans être complètement absentes, les représentations figurées sont rares sur les reliures de la Renaissance, mais lettres et mots constituent un motif apprécié, évocateur de la culture lettrée. Ocium [sic] sine literis mors est et hominis vivi sepultura  Le repos sans l’étude est la mort : l’homme s’y enterre vif ») lit-on ainsi sur la couverture d'un Contra gentiles de Jean Chrysostome de 1528, une formule empruntée à Sénèque, écrite en lettres d’or et encadrée de volutes et motifs ornementaux, dont la typographie rappelle les inscriptions funéraires romaines. Les lettres se font également marque ou emblème, comme sur la reliure de Catherine de Médicis.

Certaines reliures sont aussi des tableaux en miniature. Le Traité des vertus cardinales de François Demoulins de Rochefort comporte quatre allégories sur son plat supérieur. Ces représentations sont autant de petits portraits peints par Robinet Testard vers 1510 pour illustrer le contenu de l’ouvrage. En haut à gauche, la Prudence dont les bras sont retenus par des liens, semble maîtriser la fougue d’un dragon, animal issu de l’iconographie gothique. La Force quant à elle, femme en armure, est associée au lion semblable à un petit animal docile à ses côtés. En dessous à gauche, c’est à la Justice d’être représentée sous les traits d’une honnête femme tenant un bâton afin de faire avancer un échassier droit devant lui. Enfin, en bas à droite se tient la Tempérance, capable par sa retenue d’approcher la licorne, animal souvent associé à la pureté de l’âme. Ainsi dépeintes, les quatre vertus cardinales annoncent le contenu de l'ouvrage.

Grâce à leurs reliures d'art, les ouvrages humanistes, les traités scientifiques ou les recueils de poésie deviennent en quelque sorte des œuvres d'art totales, puisqu'ils sollicitent l'intervention de plusieurs d'artistes de disciplines différentes.

Les ressources pour réaliser l'activité

« La reliure recommande un livre. Il faut qu'un livre rappelle son lecteur (…). Il ne peut le rappeler que par l'agrément. Un certain agrément doit se trouver même dans les écrits les plus austères. »
Joseph Joubert, Carnets, t. 1, 1er avril 1797

Questionnements et thèmes

Des questionnements pour problématiser

  • Comment contenant et contenu peuvent être plastiquement liés ?
  • En quoi la matière et la texture peuvent être des prolongements des émotions ?
  • Comment une narration peut-elle passer par l’usage de matériaux au potentiel expressif ?
  • En quoi l’enveloppe peut exprimer l’intérieur de ce qu’elle contient/cache ?

Des thématiques pour impulser

  • La couverture de mon livre a des choses à dire
  • Poème écrit vs. poème illustré : faites un poème « ressenti » 
  • Touchez donc ce poème !
  • Une reliure pour un livre sur un personnage du passé
  • Habillez le livre
  • Des matériaux (feuilles d’arbre, carton, papiers divers, tissus) pour une mise en pratique immédiate
  • Utilisation d’un livre relié ancien

Dispositif d'apprentissage : l'écrin des mots

Principe : À partir d’un texte, d’un roman ou d’un poème, l'élève réalise un écrin pour ces mots, digne d’exprimer le flot d’émotions ressenties à sa lecture. Il choisit les couleurs, les matériaux et les textures en fonction des sensations recherchées, et cherche une traduction sensorielle de ce qui est ressenti, afin de créer une œuvre à toucher des yeux et du bout des doigts.

Référence proposée : Reliure de Camille Martin, en collaboration avec René Wiener, pour L’Art Japonais de Louis Gonse (1893)

Cette reliure est caractéristique de l'École de Nancy dans sa mise en valeur de techniques artisanales, ici le travail du cuir mosaïqué et pyrogravé, dans ses références japonaises et dans son esthétique art nouveau. En s'inspirant des estampes japonaises pour créer une œuvre colorée où s'épanouissent les iris et ou s'envolent des grues, devant un soleil rougeoyant, les relieurs lient contenu et contenant, reliure et et texte.

Mise en œuvre : De nombreux manuels scolaires en fin de vie peuvent être recyclés pour servir de support à cette recherche esthétique autour du matériau, qui viendra exprimer, en dehors, ce que les écrits contiennent, en dedans.

Dans les disciplines littéraires ou dans les langues vivantes, des incitations semblables sont parfois utilisées pour lier image et textes, en demandant par exemple de réaliser la première et la quatrième de couverture d’un ouvrage. Cette piste d'activité est donc propre à un travail pluridisciplinaire mêlant arts et langues, lettres ou sciences. Le travail en arts plastiques utilisera, en complément de celui réalisé dans une autre matière, un vocabulaire qui est propre au sensible et au tactile.

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