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La fin du monde dans la mythologie nordique

Le Crépuscule des dieux
Le Crépuscule des dieux

Bibliothèque nationale de France

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La mythologie nordique possède une spécificité qui la distingue des autres mythologies classiques : la majorité de ses divinités y sont vouées à périr. Le dieu Odin avalé par le loup Fenrir, Thor tuant Jörmungand, le serpent entourant le monde des hommes, et périssant de son venin, le géant Surt consumant le monde consumé par le feu : ces événements se dérouleront lors du Ragnarök, le destin des divinités nordiques. Cependant, cette destruction n’est pas une finalité en soi, car elle mène à la régénération d’un nouveau monde.

Le destin des divinités

Le terme Ragnarök

Carte de l’Europe du Nord et de l’océan Atlantique
Carte de l’Europe du Nord et de l’océan Atlantique |

Bibliothèque nationale de France

Le Ragnarök désigne le destin (rǫk) des puissances organisatrices (ragna). Notre compréhension de ce récit repose principalement sur deux poèmes de l’Edda poétique, un recueil de poésie mythologique et héroïque du 13ᵉ siècle : la Völuspá et le Vafthrudnismál. Ces textes sont écrits en vieux norrois, une des langues du Nord employée entre le 8ᵉ siècle et le milieu du 14ᵉ siècle.

La Völuspá dans le Codex regius
La Völuspá dans le Codex regius |

© The Árni Magnússon Institute for Icelandic Studies

Manuscrit du Vafthrudnismál
Manuscrit du Vafthrudnismál |

 Photo : Suzanne Reitz, © Collection Arnamagnæanske

Certains sont cependant familiers d’une autre désignation de cet événement, employée par Richard Wagner dans sa tétralogie Der Ring des Nibelungen (L’Anneau du Nibelung) : le Götterdämmerung, ou « Crépuscule des Dieux ». Cette variante, se rencontre déjà dans l’Edda de Snorri, un manuel de poésie du début du 13e siècle, ainsi que dans un autre poème de l’Edda poétique, la Lokasenna : ces deux textes parlent du Ragnarǫ(k)kr, littéralement le « crépuscule des puissances ».

Les deux désignations se rapportent au même événement, au terme duquel la majorité des divinités périra. La strophe 52 du Vafthrudnismál décrit cette période par les mots suivants : « Quand les puissances seront détruites ».

Un destin connu d’avance

Ce destin est non seulement inéluctable, mais il est également connu, en particulier d’Odin. Afin de s’y préparer, les Valkyries sélectionnent une partie des guerriers morts au combat et les amènent dans la halle d’Odin, le Valhalla (valhǫll). Là, ils deviennent des einherjar, une collectivité de guerriers qui comprend également des héros et des rois sélectionnés par le dieu.

Pierre illustrée de Tjängvide I
Pierre illustrée de Tjängvide I |

Photo : Myrin, Ola, Historiska museet/SHM / CC BY 4.0

Pierre d'Ardre
Pierre d'Ardre |

Photo : Myrin, Ola, Historiska museet/SHM / CC BY 4.0

Les einherjar se livrent bataille chaque jour afin de s’entrainer pour le Ragnarök. Le poème eddique Grímnismál précise que le Valhalla compte cinq cent quarante portes, d’où pourront sortir simultanément huit cents einherjar lors de l’affrontement final.

Cinq cents portes et quarante de plus,
Je pense qu’il y a à la Valhöll
huit cents einherjar passeront à travers une seule porte
quand ils marcheront pour affronter le loup.

Grímnismál, strophe 23 (trad. Pierre-Brice Stahl, Édition critique et traduction commentée du poème eddique Vafþrúðnismál, 2025.)

La bataille

Une certaine diversité dans les textes norrois s’observe quant au moment où se situe le Ragnarök. Il peut ainsi être placé dans la continuité des récits relatifs à la mort du dieu Baldr, à la suite de la joute d’insultes opposant Loki aux divinités (la Lokasenna), ou encore relégué être à un temps indéfini.

La version de la Völuspá

La Völuspá décrit les événements liés au Ragnarök. Une vieille femme donnera naissance à des loups, dont l’un dévorera la lune, plongeant le monde dans les ténèbres. Le chaos s’étendra, les liens familiaux se briseront et la violence régnera. Eggthér, gardien des troupeaux, fera résonner sa harpe, tandis que trois coqs chanteront. Garm, le chien infernal, hurlera devant la grotte de Gnipahellir. Enfin, le dieu Heimdall soufflera dans son cor, le Gjallarhorn, et l’arbre-monde Yggdrasil se mettra à trembler.

Le cerf dévorant Yggdrasil
Le cerf dévorant Yggdrasil |

Photographie : Micha L. Rieser, Wikimedia commons / domaine public

Fenrir attaché et l'arbre Yggdrasil
Fenrir attaché et l'arbre Yggdrasil |

© The Árni Magnússon Institute for Icelandic Studies

Les variantes

L’Edda de Snorri rapporte que Máni et Sól, qui personnifient respectivement la lune et le soleil, seront dévorés par les loups Hati et Sköll.

Le poème eddique Vafthrudnismál indique, quant à lui, que c’est Fenrir qui dévorera le soleil. Ce loup est l’une des progénitures du dieu Loki. Lors de la bataille finale, il engloutira Odin, qui sera vengé par son fils, Vidar. Selon les versions, Vidar placera son pied sur la mâchoire inférieure du loup et saisira l’autre mâchoire de sa main, la déchirant, ou bien il plantera son épée dans le cœur de la bête.

Vidar tuant Fenrir
Vidar tuant Fenrir |

Wikimedia commons, Domaine public

Le serpent Jörmungand
Le serpent Jörmungand |

© The Árni Magnússon Institute for Icelandic Studies

D’autres affrontements sont décrits par, l’historien, poète, et homme politique, Snorri Sturluson dans son Edda. Le dieu Týr et le chien Garm périront en combattant l’un contre l’autre. Thor parviendra à vaincre Jörmungand, le serpent qui entoure le monde des hommes ; mais le dieu mourra après avoir effectué neuf pas, terrassé par son venin. Les dieux Heimdall et Loki, qui rejoindra les géants, périront également en s’affrontant. De son côté, Freyr mourra en combattant le géant Surt qui sera armé de son épée de feu et finira par embraser le monde entier.

La mort d'Odin

Vafthrudnismál, strophes 52 et 53
O.q.
Fiolþ ec fór fiolþ ec freistaþac
fiolþ ec reynda regin
hvat verþr Óðni at aldr...
Lire l'extrait

L'après-Ragnarök

Cependant, le récit se poursuit. La Völuspá indique que la terre surgira de nouveau de l’océan pour une seconde fois. Le mal sera réparé, et les dieux Baldr et Höd (tous deux fils d’Odin) reviendront du séjour des morts. Hœnir et les fils de deux frères seront également présents sur cette nouvelle terre.

Le poème Vafthrudnismál précise, pour sa part, que Vidar et Váli, fils d’Odin également, survivront au Ragnarök et régneront sur les possessions des dieux. De même, Módi et Magni, les fils de Thor, hériteront du marteau de leur père, Mjöllnir. Avant d’être engloutie par Fenrir, Álfrödull (le Soleil) donnera naissance à une fille qui poursuivra la course de sa mère dans ce monde renouvelé.

Deux êtres humains survivront également au Ragnarök : Líf et Lífthrasir. C’est de ce couple, qui se sera dissimulé dans le bois de Hoddmímir (qui pourrait désigner l’arbre Yggdrasil), que descendront les générations futures.

Líf et Lífdrasir, le futur couple originel

Vafthrudnismál, strophes 44 et 45
O.q.
Fiolþ ec fór fiolþ ec freistaþac
fiolþ ec reynda regin                                      Lire l'extrait

Le poème eddique Völuspá, qui constitue, aux côtés du Vafthrudnismál, l’une de nos principales sources sur le Ragnarök, se présente comme le monologue d’une voyante qui, à la requête d’Odin, révèle son savoir. C’est dans ce cadre narratif que s’insèrent les strophes relatives au Ragnarök. Pourtant, bien que le récit laisse envisager un âge prospère, la fin du poème du poème pourrait suggérer une autre interprétation.

Voilà le dragon sombre qui vole,
le serpent étincelant, depuis Nidafjǫll ;
Níðhǫggr vole au-dessus de la plaine, dans ses serres,
il emporte des cadavres ; maintenant elle va sombrer

Vǫluspá, strophe 63 (trad. Pierre-Brice Stahl, Édition critique et traduction commentée du poème eddique Vafþrúðnismál, 2025.)

Juste avant de sombrer, la voyante évoque la présence de Nídhögg, transportant des cadavres. Il s’agit du dragon qui, avant le Ragnarök, rongeait les racines de l’arbre-monde Yggdrasil et suçait les corps des morts. Sa survie dans le monde pourrait symboliser le retour possible du mal.

Provenance

Cet article a été rédigé dans le cadre de l'exposition Apocalypse, hier et demain présentée à la BnF du 4 février au 8 juin 2025.

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