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Anthologie

La Confession d’un enfant du siècle dans le texte

Du Mal du siècle

Alfred de Musset, La Confession d’un enfant du siècle, 1836
Les premiers chapitres du roman abordent des considérations historiques et sociales. Le narrateur évoque le « mal du siècle » qui touche les jeunes gens désœuvrés de sa génération.

Alors s’assit sur un monde en ruines une jeunesse soucieuse. Tous ces enfants étaient des gouttes d’un sang brûlant qui avait inondé la terre ; ils étaient nés au sein de la guerre, pour la guerre. Ils avaient rêvé pendant quinze ans des neiges de Moscou et du soleil des Pyramides ; on les avait trempés dans le mépris de la vie comme de jeunes épées. Ils n’étaient pas sortis de leurs villes, mais on leur avait dit que par chaque barrière de ces villes on allait à une capitale d’Europe. Ils avaient dans la tête tout un monde ; ils regardaient la terre, le ciel, les rues et les chemins ; tout cela était vide, et les cloches de leurs paroisses résonnaient seules dans le lointain…

Alfred de Musset, Œuvres complètes illustrées, Paris, Librairie de France, 1927-1929, p. 5.

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Du romantisme

Alfred de Musset, La Confession d’un enfant du siècle, 1836
Après avoir évoqué le « mal du siècle », le narrateur aborde l’influence de Chateaubriand sur la littérature et, à travers elle, sur les jeunes romantiques de sa génération.

Mais, pareille à la peste asiatique exhalée des vapeurs du Gange, l’affreuse désespérance marchait à grands pas sur la terre. Déjà Chateaubriand, prince de poésie, enveloppant l’horrible idole de son manteau de pèlerin, l’avait placée sur un autel de marbre, au milieu des parfums des encensoirs sacrés. Déjà, pleins d’une force désormais inutile, les enfants du siècle roidissaient leurs mains oisives et buvaient dans leur coupe stérile le breuvage empoisonné. Déjà tout s’abîmait, quand les chacals sortirent de terre. Une littérature cadavéreuse et infecte, qui n’avait que la forme, mais une forme hideuse, commença d’arroser d’un sang fétide tous les monstres de la nature.

Alfred de Musset, Œuvres complètes illustrées, Paris, Librairie de France, 1927-1929, p. 14.

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Du roman social

Alfred de Musset, La Confession d’un enfant du siècle, 1836
Après avoir découvert l’infidélité de sa maîtresse, Octave, dépité, s’enfonce dans une vie de débauche. Mais les excès ne parviennent pas à lui ôter son chagrin. Au contraire, il n’en devient que plus lucide sur le monde qui l’entoure et la misère du peuple.

La première fois que j’ai vu le peuple… c’était par une affreuse matinée, le mercredi des Cendres, à la descente de la Courtille. Il tombait depuis la veille au soir une pluie fine et glaciale ; les rues étaient des mares de boue. Les voitures de masques défilaient pêle-mêle, en se heurtant, en se froissant, entre deux longues haies d’hommes et de femmes hideux, debout sur les trottoirs. Cette muraille de spectateurs sinistres avait, dans ses yeux rouges de vin, une haine de tigre. Sur une lieue de long, tout cela grommelait, tandis que les roues des carrosses leur effleuraient la poitrine, sans qu’ils fissent un pas en arrière. J’étais debout sur la banquette, la voiture découverte ; de temps en temps un homme en haillons sortait de la haie, nous vomissait un torrent d’injures au visage, puis nous jetait un nuage de farine. Bientôt nous reçûmes de la boue ; cependant nous montions toujours, gagnant l’Île-d’Amour et le joli bois de Romainville, où tant de doux baisers sur l’herbe se donnaient autrefois. Un de nos amis, assis sur le siège, tomba, au risque de se tuer, sur le pavé. Le peuple se précipita sur lui pour l’assommer ; il fallut y courir et l’entourer. Un des sonneurs de trompe qui nous précédaient à cheval reçut un pavé sur l’épaule : la farine manquait. Je n’avais jamais entendu parler de rien de semblable à cela. Je commençai à comprendre le siècle, et à savoir en quel temps nous vivons.

Alfred de Musset, Œuvres complètes illustrées, Paris, Librairie de France, 1927-1929, p. 77.

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De la jalousie

Alfred de Musset, La Confession d’un enfant du siècle, 1836
Octave entretient une liaison avec Brigitte, mais très vite, le jeune homme nourrit des soupçons quant à la fidélité de sa maîtresse. Luttant difficilement contre ses sentiments, Octave se montre tantôt odieux envers la femme qu’il aime, tantôt exalté par l’amour.

Pendant six mois entiers, Brigitte, calomniée, exposée aux insultes du monde, eut à essuyer de ma part tous les dédains et toutes les injures qu’un libertin colère et cruel peut prodiguer à la fille qu’il paye. Au sortir de ces scènes affreuses où mon esprit s’épuisait en tortures et déchirait mon propre cœur, tour à tour accusant et raillant, mais toujours avide de souffrir et de revenir au passé ; au sortir de là, un amour étrange, une exaltation poussée jusqu’à l’excès, me faisaient traiter ma maîtresse comme une idole, comme une divinité. Un quart d’heure après l’avoir insultée, j’étais à genoux ; dès que je n’accusais plus, je demandais pardon ; dès que je ne raillais plus, je pleurais. Alors un délire inouï, une fièvre de bonheur s’emparaient de moi ; je me montrais navré de joie, je perdais presque la raison par la violence de mes transports ; je ne savais que dire, que faire, qu’imaginer, pour réparer le mal que j’avais fait. Je prenais Brigitte dans mes bras, et je lui faisais répéter cent fois, mille fois, qu’elle m’aimait et qu’elle me pardonnait. Je parlais d’expier mes torts et de me brûler la cervelle si je recommençais à la maltraiter. Ces élans du cœur duraient des nuits entières, pendant lesquelles je ne cessais de parler, de pleurer, de me rouler aux pieds de Brigitte, de m’enivrer d’un amour sans bornes, énervant, insensé. Puis le matin venait, le jour paraissait ; je tombais sans force, je m’endormais, et je me réveillais le sourire aux lèvres, me moquant de tout et ne croyant à rien.

Alfred de Musset, Œuvres complètes illustrées, Paris, Librairie de France, 1927-1929, p. 194.

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