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La Bruyère, écrivain et moraliste

Portrait de La Bruyère
Portrait de La Bruyère

Bibliothèque nationale de France

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Précepteur du dauphin et moraliste du Grand Siècle, La Bruyère est surtout connu pour la publication des Caractères, un recueil de remarques, dont des maximes et portraits, au cour desquelles l'auteur dresse le tableau de la société et des mœurs de son temps.

Un écrivain du Grand Siècle

Jean de La Bruyère naît dans une famille bourgeoise. Le détail de son enfance est obscur, mais il est issu d’un milieu assez aisé pour faire des études de droit à Orléans, en 1665, puis acquérir une charge de Trésorier général à Caen en 1673. À Paris, il mène une vie plutôt retirée, mais sa vivacité de plume attire l’attention de quelques proches. Il commence la rédaction des Caractères dès 1670, observant finement les mœurs de son époque. Sur recommandation de Bossuet, il entre en 1684 au service de la famille de Condé, comme précepteur du duc Louis de Bourbon, puis comme bibliothécaire et « gentilhomme de M. le Duc » - le duc d'Enghien, son ancien élève désormais marié avec Mlle de Nantes, fille naturelle du roi.

Ceux qui font des maximes veulent être crus : je consens au contraire que je n’ai pas quelquefois bien remarqué, pourvu que l’on remarque mieux.

La Bruyère, Caractères, Préface, 1688

Lorsque La Bruyère publie en 1688 chez le libraire Michallet, un texte auquel il travaille depuis longtemps : Les Caractères de Théophraste, avec les caractères ou les mœurs de ce siècle, son livre devient l’emblème du débat entre les Anciens et les Modernes, puisqu'il juxtapose cent pages de traduction du moraliste grec Théophraste et deux cents pages de sa création. Le succès est tel que les éditions se succèdent à un rythme accéléré (neuf en huit ans), chacune voyant se réduire proportionnellement et typographiquement la part de l'Ancien, et s'étoffer, s'organiser, s'affirmer celle du Moderne. Pourtant, La Bruyère s’affirme du côté des Anciens lors de la Querelle, et proche de Bossuet dans les questions religieuses (Dialogues sur le quiétisme, publiés en 1698).

Les Caractères
Les Caractères de Théophraste, avec les caractères ou les mœurs de ce siècle |

Bibliothèque nationale de France

En 1693, La Bruyère entre à l’Académie française, malgré l'opposition de Fontenelle et des Modernes. Il y est promu par le parti dévot, le roi et les jésuites. L’auteur prononce un discours de réception incisif, qu'il publie, avec une Préface encore plus agressive, dans la huitième édition de ses Caractères (1694). Il affirme ainsi une position publique farouchement conservatrice alors que son œuvre accuse avec tant de lucidité le dysfonctionnement d'une société en décomposition.

Les Caractères

Je rends au public ce qu'il m'a prêté ; j'ai emprunté de lui la matière : il est juste que, l'ayant achevé avec toute l'attention pour la vérité dont je suis capable, et qu'il mérite de moi, je lui en fasse la restitution.

La Bruyère, Caractères, Préface, 1688

Au cœur de la querelle entre Anciens et Modernes

C’est à l'abri d'une traduction anonyme d’un auteur grec, Théophraste, que va se révéler et se développer un des textes les plus fascinants du 17e siècle français.

La Bruyère avait commencé la rédaction de « caractères » dès 1670, observant finement les mœurs de son époque.

En 1688, paraît chez le libraire Michallet Les Caractères de Théophraste, avec les caractères ou les mœurs de ce siècle : 420 remarques, relevant du genre à la mode qu’est la « maxime », une quarantaine de jugements littéraires ou de réflexions, et une douzaine de portraits, souvent très brefs.

Le livre devient l’emblème du débat entre les Anciens et les Modernes, puisqu'il associe cent pages de traduction de Théophraste et deux cents pages de La Bruyère. Le succès est tel que les éditions se succèdent à un rythme accéléré (neuf en huit ans), chacune voyant se réduire proportionnellement et typographiquement la part de l'Ancien, et s'étoffer, s'organiser, s'affirmer celle du Moderne. Pourtant, La Bruyère ne cesse de s’afficher du côté des Anciens dans la fameuse Querelle. C’est l’énigme de ses Caractères

La satire et l'art du portrait

La Bruyère observe admirablement les caractères, et c'est dans l'art du portrait qu'il excelle. Dans ses Caractères, l'humour, la finesse, le burlesque ou la satire, voire parfois une indulgence amusée, sont mis au service d'un œil perspicace. Sa liberté de ton et son regard suffisent à faire comprendre quels sont le suffisant Arsène, le pédant Théocrine, le richissime Philémon, l'égoïste Gnathon, le goinfre Cliton, l'efféminé Iphis, et tant d'autres.

Homme de qualité en surtout d’esté
Homme de Cour |

© Bibliothèque nationale de France

Le narcisse
Narcisse |

© Bibliothèque nationale de France

L'auteur dénonce ainsi les abus du pouvoir, les égarements de la Cour et de ceux qui la font, ou la fausse dévotion, et personne n’échappe à son regard aiguisé. Les portraits allient physique et moral, et, par leur brièveté, ils visent avant tout des stéréotypes qui se rapprochent parfois de la caricature. Acis par exemple est un courtisan, précieux et servile, qui s’étourdit dans la vacuité d’un langage inutilement contourné ; Arias « a tout lu, a tout vu, il veut le persuader ainsi ; c’est un homme universel, et il se donne pour tel », le portrait s’employant à démontrer la présomption et l’absurdité de telles affirmations ; Ménalque quant à lui promène sa distraction dans les rues et à la Cour, s’associe aux moqueries qu’il provoque et s’égare dans sa propre maison.

Si l’ironie est bien présente au fil de ces portraits, l’objectif de La Bruyère est de dresser un portrait de son époque, de ses travers et de ses absurdités, et d’amener par le rire ses contemporains à corriger leurs mœurs : son projet tel qu’il le présente dans la préface est donc à finalité didactique. À une autre échelle, se dessine aussi un tableau plus universel des grandeurs et des misères de l’Homme, tissé de contradictions, capable du pire et du meilleur.

Gnathon
Gnathon |

© Bibliothèque nationale de France

La saga éditoriale de ce volume, qui connaît 8 éditions revues et augmentées du vivant de son auteur, donne la mesure de son immense succès. 
Enrichi et complété au fil des éditions, le recueil est le travail d’une vie – 420 remarques en 1688, 1120 en 1694 – et la seule œuvre que La Bruyère ait publiée : il travaillait encore à la neuvième édition, posthume, au moment de sa mort en 1696.

Provenance

Cet article provient du site Les Essentiels de la littérature (2015).

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