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Itinéraire de Paris à Jérusalem

François-René de Chateaubriand
Le Sphinx et la grande pyramide de Gizeh
Le Sphinx et la grande pyramide de Gizeh

Bibliothèque nationale de France

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En juillet 1806, Chateaubriand part pour un voyage aux sources de l’Antiquité d’abord, puis de la chrétienté ensuite. Le « pèlerinage » de celui qui se présentait comme un « nouveau croisé » devait être un voyage éclair, répondant à un projet éditorial précis : retrouver les paysages qu’il avait déjà décrits dans Les Martyrs, et publier un récit de voyage en terre sainte.

De Paris à Jérusalem

Voyager jusqu’en Orient n’était pas chose facile au début du 19e siècle. Les moyens de transport restaient aléatoires, les risques de vols et d’épidémie élevés, et la France avait officiellement déclaré la guerre à l’Empire ottoman après la conquête de l’Égypte par Bonaparte, ses ressortissants étant menacés d’être réduits en esclavage. Le voyage entrepris par Chateaubriand ne manquait donc pas d’audace. Parti en juillet 1806, au moment où l’Europe profitait d’une paix précaire, l’écrivain était muni de toutes les protections diplomatiques possibles.

Vue de la prise d’eau du canal du Caire, et de la fête annuelle célébrant l’ouverture de la digue
Vue de la prise d’eau du canal du Caire, et de la fête annuelle célébrant l’ouverture de la digue |

© Bibliothèque nationale de France

Décidé à être de retour à Paris avant la fin de l’année pour écrire son livre au printemps, Chateaubriand ne fit que de brèves étapes dans les hauts-lieux qu’il aspirait à visiter. En 105 jours de voyage, il traversa l’Italie, la Grèce, la Turquie, la Palestine et l’Égypte, avant de devoir patienter 128 jours pour trouver un bateau capable de le conduire à Algésiras, et de là en France.

J’allais chercher des images, voilà tout. […] je n’ai point la prétention d’avoir connu des peuples chez lesquels je n’ai fait que passer.

François-René de Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem, préface, 1811

Sa précipitation explique l’amusement ou l’exaspération des Français qu’il rencontra sur son chemin. Le vice-consul de France à Athènes, l’archéologue Fauvel, sourit ainsi de sa volonté de tout voir « en masse » et de sa certitude d’avoir fait de grandes découvertes archéologiques au cours de ses rares visites de ruines. Le récit de voyage de son valet Julien, également conservé, montre par ailleurs que l’écrivain passa de nombreuses journées au lit, épuisé ou frappé par la dysenterie, et que certaines de ses descriptions sublimes étaient tout droit sorties de son imagination.

Plus qu’un récit de voyages

Si le récit de voyage était alors à la mode, Chateaubriand visait plus loin que raconter de simples péripéties ou décrire des paysages pittoresques. Son récit, tenu au jour le jour puis extrêmement retravaillé, aborde de nombreux thèmes, de la poétique des ruines à la religion, en passant par la confrontation entre différentes sensibilités esthétiques, le beau « grec » et le beau « arabe », incarnés par des monuments tels que l’Acropole ou les palais de l’Alhambra.

Église du Saint-Sépulcre à Jérusalem
Église du Saint-Sépulcre à Jérusalem |

Bibliothèque nationale de France

Son texte, présenté comme un ouvrage savant, est tissé de citations, de notes bibliographiques et de réminiscences, qui en font autant un récit de voyage géographique qu’une réflexion sur l’histoire et la littérature, allant de la mythologie antique aux récits bibliques, de l’histoire grecque, romaine, égyptienne, byzantine et arabe jusqu’à la conquête de l’Égypte par Bonaparte, en passant par les Croisades. Il cite Homère et Tacite, Virgile, Plutarque et Pausanias, mais aussi Joinville et Le Tasse, Bossuet, sans oublier Barthélemy et son Voyage du jeune Anacharsis en Grèce. Toutes ces références, des récits antiques jusqu’aux souvenirs de voyageurs du 18e siècle, lui servent de guide dans sa recherche des sites antiques et des monuments. Dans cet Itinéraire, Chateaubriand voyage autant dans des pays réels que dans des contrées imaginaires nées de ses lectures, de son imagination et de sa nostalgie du passé.

On aurait tort de penser que je livre au jour un ouvrage qui ne m’a coûté ni soins, ni recherches, ni travail.

François-René de Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem, préface, 1811

Écrit et retravaillé de 1807 à 1810, le texte fut soumis à la censure impériale avant d’être finalement publié en début d’année suivante. Il fut remarqué pour son ton poétique et pour le dépouillement du style, très éloigné des Martyrs. On reprocha cependant à l’auteur de s’être à ce point mis en scène. Dans le Courrier de l’Europe et des spectacles (11-19 mars 1811), un critique déclara ainsi que Chateaubriand se présentait certes comme un dévot pèlerin, « mais [que] ce qu’il dit ressemble à un rôle étudié ». Malgré ces attaques, l’écrivain fut quelques jours après élu à l’Académie française, avec le soutien tacite de l’Empereur.

Une campagne intellectuelle

Chateaubriand visitant les ruines de Sparte
Chateaubriand visitant les ruines de Sparte |

Bibliothèque nationale de France

Chateaubriand était l’un des premiers Français à s’aventurer dans ces contrées depuis la Révolution. S’il se présente comme l’héritier direct des « antiquaires » de l’Ancien Régime, son voyage illustra aussi la « concurrence » intellectuelle avec les voyageurs anglais intéressés par l’archéologie. Ses descriptions d’auberges perdues en Grèce, où étaient servis du « roast-beef et du vin de Porto », annoncent à bien des égards la rivalité entre les archéologues et les collectionneurs Français et Anglais, qui fut illustrée par des « victoires » dans les deux camps : lord Elgin venait de ramener les frises du Parthénon à Londres, mais la France avait saisi les œuvres d’art de toute l’Italie puis amené ses savants en Égypte. Le récit de voyage de Chateaubriand, pétri des souvenirs du passé, est donc aussi un manifeste par lequel la France revendique l’héritage artistique, intellectuel et moral de l’Antiquité, au détriment de l’avidité de l’Angleterre. On peut presque y voir un pendant littéraire à l’expédition d’Égypte dirigée par Bonaparte en 1798-1799.

Par quelle fatalité ces chefs-d’œuvre de l’antiquité […] doivent-ils en partie leur destruction aux modernes ?

François-René de Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem, 1811

Plusieurs fois réédité, utilisé par de nombreux touristes comme un guide de voyage, l’Itinéraire servit, sous la Restauration, de manifeste en faveur de l’indépendance de la Grèce, en soutien de laquelle Chateaubriand écrivit justement une longue préface à l’occasion de la parution de ses Œuvres complètes en 1828.

Provenance

Cet article provient du site Les Essentiels de la littérature (2017).

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