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Échos de guerre, Proust réformé

Verdun
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Photo © Paris - Musée de l'Armée, Dist. RMN-Grand Palais / image musée de l'Armée

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Si Marcel Proust s’engage durant l’affaire Dreyfus, il est davantage spectateur lors de la guerre de 1914-1918, second bouleversement de société qu’il expérimente et dont on trouve l’écho dans Le Temps Retrouvé. Il traverse la période de conflit avec la culpabilité de ne pas avoir été mobilisé et l’anxiété de perdre ses proches. Cette double douleur ne l’empêche pas de trouver dans les épisodes dramatiques des aspects propres à stimuler son émotion esthétique.

Le 28 juillet 1917, Marcel Proust assiste, depuis son balcon du Ritz où il dîne en compagnie de ses amis, à une attaque aérienne. Il décrit à Mme Straus « cette Apocalypse admirable où les avions montant et descendant venait compléter ou défaire les constellations » et reprendra, dans Le Temps retrouvé, à la faveur d’une conversation entre Saint-Loup et le Narrateur, une telle description théâtrale d’un raid de zeppelins dans lequel ils voient tous deux « un spectacle d’une grande beauté esthétique » alliant le son wagnérien des sirènes à une constellation d'effets colorés. En 1915, la presse relate un événement similaire. La première nuit du printemps est marquée par un spectacle peu habituel dans le ciel de Paris : le passage d’un zeppelin allemand « enveloppé, relate L’Illustration, presque continuellement par le faisceau lumineux des projecteurs » et, autour de lui, « comme des étoiles filantes, la poussière des bombes lumineuses lancées par nos canons pour leur permettre de corriger leur tir ».

Les Zeppelins passent… Paris a le sourire
Les Zeppelins passent… Paris a le sourire |

© Bibliothèque nationale de France

« Nous avons trop pensé ensemble à la guerre pour que nous ne disions pas, au soir de la victoire, un tendre mot, joyeux à cause d’elle, mélancolique à cause de ceux que nous aimions et qui ne la verront pas. Quel merveilleux allegro presto dans ce finale, après les lenteurs infinies du début et de toute la suite. Quel dramaturge que le Destin, ou que l’homme qui a été son instrument ! », écrit Marcel Proust à Mme Straus au soir de l’armistice.

Le lendemain soir, Proust s’inquiète des conséquences de cette paix : « Je préfère à toutes les paix celles qui ne laissent de rancune dans le cœur de personne. […] du moment qu’elle lègue le désir de vengeance, il eût peut-être été bon de la rendre impossible à exercer […] j’aurais aimé des conditions plus rigoureuses, je suis un peu effrayé de l’Autriche allemande venant grossir l’Allemagne comme une compensation possible de la perte de l’Alsace Lorraine ».

Je préfère à toutes les paix celles qui ne laissent de rancune dans le cœur de personne.

Correspondances

Durant toute la guerre, Proust, qui a fait des études de sciences politiques, a en effet développé un grand intérêt pour les aspects politiques et stratégiques du conflit, et beaucoup lu les journaux.

Je m’ingurgite chaque jour tout ce que les critiques militaires français ou genevois pensent de la guerre.

Correspondances

Il peut ainsi dans la Recherche, placer dans la bouche de ses personnages des réflexions lues notamment dans Le Journal des débats, ou encore utiliser la guerre, au même titre que l’affaire Dreyfus, comme révélateur de certains travers de l’humanité, par exemple l’erreur par accès de suffisance :

J’avais vu dans l’affaire Dreyfus, pendant la guerre, dans la médecine, croire que la vérité est un certain fait […] qui n’a pas besoin d’interprétation.

À la recherche du temps perdu

Ainsi, Proust, bien qu'éloigné du front, est marqué par la guerre jusque dans son destin d'écrivain. En effet, le conflit retardera de cinq ans la publication du deuxième tome de la Recherche, l'activité éditoriale du pays se trouvant bouleversée. En tant que témoin de la Grande Guerre, l'auteur nous livre à travers son oeuvre une forme de témoignage de ce qu'il a pu se passer à l' « arrière ».

Provenance

Cet article a été conçu dans le cadre de l'exposition Marcel Proust : la fabrique de l'œuvre, présentée à la BnF du 11 octobre 2022 au 22 janvier 2023.

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