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La respiration de l’océan

Cadran des marées
Cadran des marées

Bibliothèque nationale de France

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À la fin du Siècle des lumières et au début du suivant, une idée se fit jour : la partie intérieure de l’océan, dite « nocturne », n’était pas immobilisée par le poids de sa froidure, mais entraînée par des mouvements évoquant ceux d’une énorme ventilation, d’une respiration.

La métaphore physiologique sied à l’océan. Des montagnes axiales, dites « dorsales », en forment la charpente osseuse, segmentée comme une colonne vertébrale. La couverture sédimentaire qui presque partout la recouvre à la façon d’une peau stratifiée et souple, est un vrai revêtement cutané nourri par l’eau océanique, ce liquide physiologique complexe que les médecins disent si proche du sang des vertébrés. Les écoulements marins, qu’il s’agisse d’entraînements (courants océaniques) ou de balancements (ondes océaniques, telles les vagues et, surtout, les marées, appelées « pouls des mers » par Lacombe), sont également soumis à des sortes de « pulsations », semblables à nos « ondées sanguines ». En remontant très haut dans le réseau capillaire des embouchures fluviales, en diffusant jusqu’aux plus grandes profondeurs et en pénétrant à plusieurs kilomètres sous le sol, elles sont capables de transporter aux divers étages de l’océan Mondial toutes les formes d’énergie et tous les corps chimiques indispensables à l’équilibre planétaire. À la « pompe biologique » (définie dans les travaux de Longhurst, Harrison, Sarmiento, Siegenthaler, etc.) est à présent confiée la lourde charge d’aller puiser dans le stock minéral de la « réserve nutritive » profonde les substances périodiquement épuisées en surface par la photosynthèse. L’idée que l’océan pouvait être autre chose qu’une simple machine énergétique ou hydraulique – une superpompe cardiaque – et qu’on pouvait le comparer à un appareil respiratoire – sorte d’immense poumon capable d’inspirer et d’expirer l’air, pur ou impur, que nous inhalons – n’a révélé que peu à peu, et bien tard, ses enrichissantes et tonifiantes vertus.

Étude sur la mer et ses mouvements
Étude sur la mer et ses mouvements |

Bibliothèque nationale de France

Quand l’expérience maritime de l’Europe se dilata jusqu’aux confins de l’océan Mondial. Quand l’outillage technique des premiers instruments (prélèvements, mesures) leur permit de progresser vers le bas de la colonne d’eau. Et quand, enfin, l’outillage intellectuel de la « révolution chimique » fit découvrir des substances, des fonctions et des réactions, simples ou combinées (oxygène, dioxyde de carbone, éléments radioactifs, parmi tant d’autres), qui incitèrent à penser que l’ « onde amère » n’est pas une matière inanimée mais un énorme viscère, un corps respirant qui se procure, stocke, transporte, consomme et libère, vers le fond ou l’air ambiant, tout ce dont il a besoin : l’océan est un être vivant.

Carte du Gulf Stream
Carte du Gulf Stream |

Bibliothèque nationale de France

Trombes marines
Trombes marines |

Bibliothèque nationale de France

Les basculements alternés vers le chaud et le froid des quinze derniers millions d’années n’ont pas manqué d’entraîner des changements de fréquence dans le rythme respiratoire de l’océan, c’est-à-dire des arrêts et des reprises du convecteur. Les découvertes géologiques et géophysiques ainsi que les simulations numériques (travaux récents de Seidov, Haupt et Maslin) ont aidé à reconstituer les troubles respiratoires qui accompagnèrent les grandes pulsions glaciaires. L’océan paraît avoir perdu haleine à un rythme précipité et oscillé rapidement entre le simple essoufflement contemporain des maxima et la syncope durant les grandes débâcles d’icebergs, la surabondance des eaux de fonte et de crue allégeant le haut de la colonne d’eau, étranglant les plongées et paralysant ou asphyxiant l’eau profonde. Quant au futur, nul ne peut dire si l’on doit accorder du crédit aux inquiétants pronostics inspirés par l’incontestable réchauffement des mers, boréales surtout, et si leur flottabilité accrue amènera le retour de semblables insuffisances respiratoires. L’océan des prochains siècles devra-t-il compter sur la sagesse des humains et / ou l’apaisement de la radiation solaire pour ne pas revivre l’angoissant syndrome de la « soif d’air » causé par le déplacement puis la fermeture de la « fenêtre de plongée » de l’Atlantique nord, la mise en panne du « tapis roulant » et la coupure de la vivifiante « pompe à oxygène » de l’océan ?

Mar del Sur
Mar del Sur |

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