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Jacques-Joseph Champollion-Figeac, un mentor pour son frère

Jacques-Joseph Champollion, dit Champollion-Figeac
Jacques-Joseph Champollion, dit Champollion-Figeac

© Département de l'Isère / Musée Champollion

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Né en 1778 à Figeac, Jacques-Joseph Champollion-Figeac, fut durant toute sa vie le conseiller, l’ami et le confident de son génial cadet. Il le soutint durant toutes les étapes de sa formation savante, encouragea ses découvertes, puis veilla jalousement à la publication de ses travaux posthumes.

De l’autodidacte au notable

Fils de libraire, élève brillant, particulièrement doué en latin et en grec, fasciné très jeune par l’Égypte, Jacques-Joseph Champollion-Figeac est l’aîné de douze ans de son frère Jean-François. Il fit un court passage comme employé au bureau de la correspondance générale du district de Figeac de 1794 à 1797 et aurait tenté, début 1798, de participer à l’expédition de Bonaparte, en passant par l’intermédiaire d’un de ses cousins, officier dans l’armée d’Égypte. En vain. À la fin de cette même année, il s’établit donc à Grenoble, où des cousins lui avaient proposé une place de commis dans leur maison de commerce. Là, il entreprit de compléter son éducation en autodidacte et se passionna pour l’archéologie, la numismatique, l’épigraphie et l’histoire de l’art.

Description de l'Égypte
Description de l'Égypte |

© Bibliothèque nationale de France

Admis à la société des Sciences et des Arts de Grenoble fin 1803, il ne tarda pas à entrer en correspondance avec Aubin-Louis Millin, conservateur des Antiques de la Bibliothèque nationale, publiant même quelques articles dans la revue savante qu’il dirigeait, le Magasin encyclopédique. Après avoir fait la connaissance du mathématicien Joseph Fourier, ancien de l’expédition d’Égypte devenu préfet du département de l’Isère, il aurait aussi pris part aux premiers travaux de la Description de l’Égypte, l’aidant à rédiger la préface qui occupe le premier volume en se chargeant pour lui des recherches préliminaires.

Devenu en 1808 bibliothécaire de Grenoble, en 1809 professeur de grec de la faculté des lettres de la ville puis doyen en 1812, maire-adjoint du village voisin de Valjouffrey l’année suivante et enfin correspondant de l’Institut en 1814, Champollion-Figeac fut dès lors considéré comme un notable local, et plus encore, comme un authentique savant.

Les deux frères

Dès 1801, il avait fait venir son brillant frère Jean-François auprès de lui afin d’assurer son éducation, devenant à la fois « son père, son maître et son élève ». Il l’initia au latin, au grec, au syriaque et à l’hébreu, et lui aurait même montré une reproduction gravée de la pierre de Rosette en  1804. Jacques-Joseph soutint constamment son cadet. À l’issue d’un voyage dans la capitale, il parvint à lui obtenir une place à l’École spéciale des langues orientales de Paris où il étudia de 1807 à 1809, avant de relire ses premiers travaux, comme le Mémoire sur les écritures anciennes de l’Égypte lu en août 1810 devant la société des Sciences et Arts de Grenoble. « Tu ne concevras pas jusqu’à quel point je suis touché de toutes les peines que tu te donnes pour moi […] L’Égypte chante tes louanges pour les bienfaits que tu m’as prodigués », écrivait Jean-François à son frère aîné en 1812.

Jacques-Joseph et Jean-François Champollion
Jacques-Joseph et Jean-François Champollion |

© Département de l'Isère / Musée Champollion

Secrétaire de l’empereur

S’il se rallia à Louis XVIII à la chute de l’Empire, Champollion-Figeac servit brièvement Napoléon durant les Cent-Jours, tenant même le rôle de secrétaire de l’empereur durant son passage à Grenoble le 7 mars 1815. Ces quelques heures le marquèrent profondément, et il en parla plus tard dans un ouvrage autobiographique sur ses premières années grenobloises, Fourier et Napoléon, l’Égypte et les Cent-Jours, paru en 1844 : « L’Empereur travailla toute la matinée ; il est certain qu'il écrivit à l'impératrice Marie-Louise et à l’Empereur son beau-père […]. En même temps, les ordres les plus pressants avaient été expédiés, les affaires urgentes mises en bon train d'exécution, les actes au nom de l'autorité impériale transmis dans tous les lieux où elle était reconnue. Le travail varié du cabinet et du quartier général était complètement organisé : des officiers y avaient été attachés.  »

Il en aurait également profité pour présenter à Napoléon son jeune frère, qui lui parla de son projet de Dictionnaire de langue copte. Il aurait ensuite suivi l’empereur à Paris, mais sans parvenir à obtenir un emploi dans l’administration après sa réinstallation aux Tuileries. Après Waterloo, son attitude lui valut d’être exilé quelques temps à Figeac et placé sous surveillance de la police. 

Une carrière savante en dents de scie

De retour à Paris en 1817, Champollion-Figeac devint bientôt secrétaire de Bon-Joseph Dacier, président du conservatoire de la Bibliothèque royale et membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, avec qui il collabora à la publication d’une série de mémoires relatifs aux anciens monuments de la France. Il échoua cependant à trois reprises à se faire lui-même élire sous la coupole. Dacier accepta cependant de protéger son frère cadet, qui put donner lecture devant l’académie son Mémoire sur l’écriture démotique, dont son frère fit un compte rendu élogieux dans le Moniteur le 1er octobre 1822. « Champollion le Jeune », reconnu comme le « déchiffreur » des hiéroglyphes, accéda dès lors à la célébrité, tandis que son aîné l’assistait dans ses publications suivantes, jouant le rôle de secrétaire et de correcteur, mais aussi d’ami, le rassurant dans ses périodes de doute.

Lettre à M. Dacier
Lettre à M. Dacier |

© Bibliothèque nationale de France

Lettre à M. Dacier
Lettre à M. Dacier |

© Bibliothèque nationale de France

Longtemps cantonné à des postes secondaires, Champollion-Figeac fut finalement nommé conservateur au cabinet des Manuscrits en 1828 puis professeur de paléographie à l’École des chartes à partir d’août 1830. Après la mort de son frère en 1832 et l’entrée de ses manuscrits à la Bibliothèque royale l’année suivante, il publia ses travaux inachevés avant de se consacrer à ses propres recherches érudites, publiant entre autres en 1837 une Paléographie des classique latins d’après les plus beaux manuscrits de la Bibliothèque royale, puis la première édition du Registre-Journal de Pierre de L’Estoile (1837), et enfin des rééditions d’après les manuscrit des Mémoires du cardinal de Retz et des Mémoires d’Omer Talon (1839), souvent assisté de son fils Aimé, ancien élève de l’Ecole des chartes.  

Vue actuelle de la Galerie de Diane au château de Fontainebleau
Vue actuelle de la Galerie de Diane au château de Fontainebleau |

© RMN-Grand Palais (Château de Fontainebleau) / Jean-Pierre Lagiewski

Membre du Comité des travaux historiques, doyen du collège des conservateurs, figure du monde de l’érudition dont la salle de lecture des Manuscrits est un centre névralgique, Jacques-Joseph était particulièrement bien vu des princes de la famille d’Orléans à qui il montrait des manuscrits à peintures lors de leurs visites rue de Richelieu, ce qui contribua à mettre fin à sa carrière après la Révolution de février 1848, au moment où il fut accusé de malversation : certains livres et autographes avaient été égarés sous son administration et surtout… certains manuscrits de son frère, théoriquement donnés à la Bibliothèque, étaient restés chez lui.

Contesté par d’anciens élèves pour ses méthodes considérées comme peu rigoureuses, presque réduit à la mendicité, il fut finalement chargé en juin 1849 par Louis-Napoléon Bonaparte de dresser les tables de l’Année littéraire, périodique du 18e siècle dont une collection était conservée à Fontainebleau, ce qui lui procura un traitement et un logement. En novembre 1852, il fut nommé conservateur de la bibliothèque du palais, assurant notamment l’installation des livres à leur emplacement actuel, dans la Galerie de Diane. Dans cette semi-retraite, il écrivit une histoire de Fontainebleau et des articles de vulgarisation pour le journal bonapartiste L’Abeille impériale, notamment sur la campagne d’Égypte, mais aussi sur les manufactures nationales sous l’Empire, sur les « anecdotes du palais » ou les bals masqués de la cour des Tuileries à l’époque de Napoléon et de Joséphine. Il multiplia les confidences sur l’empereur qu’il n’avait en réalité que peu connu, notamment auprès de l’historien chartiste Capefigue ou encore de l’écrivain Sainte-Beuve. Champollion-Figeac mourut en poste le 9 mai 1867, à 89 ans, léguant à son fils Aimé (1813-1894) les papiers de famille aujourd’hui conservés aux archives départementales de l’Isère, indispensables pour la connaissance de la vie de Champollion le Jeune, mais aussi pour celle de l’École des chartes et de la Bibliothèque royale, et plus généralement de la vie intellectuelle en France au 19e siècle.

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