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Parcours pédagogique

Histoire d'ombres

Représentation plastique et rapport au réel
Par Murielle Luck, professeure agrégée d’arts plastiques
9 min de lecture
La Caverne de Platon
En arts plastiques, l’ombre fait partie intégrante du volume, destinée avec la lumière, à le rendre intelligible sous ses trois dimensions. Elle peut par ailleurs s’avérer poétique, liée à la silhouette, ou bien encore générer des univers épiques et romanesques.
Depuis que Platon nous a proposé de sortir de la Caverne (La République livre VII, 378 av. J.-C.), afin d’admirer la vérité vraie baignant dans la lumière, les ombres sont restées synonyme de tromperie et de fausseté.
Mais comment se nourrir de l’Allégorie de la Caverne de Platon en vue d’une transposition didactique et pédagogique ? Des hommes, enchaînés au fond d’une caverne, dos à l’entrée, ne perçoivent du monde et des choses que l’ombre portée sur les paroies générée par un feu entre eux et l’extérieur. Ces ombres sont ce qu’ils connaissent depuis toujours et nul n’aurait idée de penser qu’elles ne sont qu’une trompeuse parcelle de la réalité des objets terrestres. Déformées, amplifiées, imprécises et incomplètes, ces silhouettes représentent alors les savoirs des hommes ignorants, au sens « qui n’est pas informé de ».
Ainsi, les questions relatives à la forme (silhouette), au contraste (ombres et lumières), au volume (modelé), au format (ombre projetée) ou encore à l’outil (créer des ombres), sont autant de pistes pédagogiques susceptibles d’être traitées en cours d’arts plastiques. En quoi l’ombre peut-elle être génératrice de création plastique ?
Les ressources pour réaliser l'activité

« Une lumière ici requiert une ombre là-bas. »
Virginia Woolf (1882-1941), La promenade au phare, 1927

Pour comprendre

On distingue deux types d’ombres en dessin : les ombres propres et les ombres portées.

  • L’ombre portée est la projection de la sihouette de l’objet sur une surface. Son intensité, dépend du contraste entre la source lumineuse et la lumière ambiante. De plus, son étendue et ses dimensions peuvent varier en fonction du positionnement de ladite source, donnant à voir une silhouette sensiblement différente de l’origine.
  • L’ombre propre est composée par l’ensemble des valeurs sur l’objet même, lui conférant volume et modelé.

Pour apprendre

Un autre mythe que celui de la caverne est fondateur dans la culture plasticienne car l’origine du dessin et de l’art du portrait prend justement sa source dans une histoire d’ombre portée...

Pline l’Ancien (né en 23 ap. J.-C. et mort en 79 dans l’éruption du Vésuve) raconte dans son Histoire Naturelle (vers 77 ap. J.-C.), qu’une jeune femme corinthienne, fille du potier Boutadès, nommée Callirrhoé de Sicyone (ou Kora de Sicyone), ne pouvait se résoudre au départ de l’élu de son cœur. Afin de garder un souvenir de celui-ci auprès d’elle, elle traça à l’aide d’un morceau de charbon de bois, l’ombre portée du visage de son bien-aimé projetée sur un mur. Les contours de ce profil ainsi fixés furent ensuite mis en forme par son père potier pour en faire un relief en terre.

Pour pratiquer

Questionnements pour problématiser

De nombreuses questions plasticiennes peuvent alors être posées dans une situation pédagogique :

  • En quoi l’ombre portée peut-elle devenir source de création plastique ?
  • Comment rendre une ombre portée expressive ?
  • Dans quelle mesure l’ombre portée peut-elle être travaillée en situation d’apprentissage ?

Incitation et proposition pédagogique : une créature adorable mais une ombre effrayante

Dans les programmes (cycle 3) :

Premier temps : « Création, fabrication, transformation d’objets en lien avec des situations à forte charge symbolique ; jeux sur les relations entre formes et fonction, entre dimension symbolique et qualités plastiques ».

Deuxième temps : « Recherche d’imitation, d‘accentuation ou d’interprétation, d’éloignement des caractéristiques du réel dans une représentation, le surgissement d’autre chose… ».

Dispositif :

  1. Création d’une créature en volume (+/- 20 cm) qui exprimerait des sensations positives. Utilisation de matériaux dont les caractéristiques plastiques permettent un langage autour des émotions comme la joie, la douceur. Cette créature est un prétexte à l’étape 2, la production d’une ombre portée susceptible de modifier la perception de l’objet premier.
  2. Travail potentiellement numérique (utilisation d’appareils photographiques numériques) et premières rencontres de l’élève avec la prise de vue photographique. Un espace de prise de vue doit être aménagé avec un écran en fond (type grande feuille de papier ou mur neutre). Une source lumineuse flexible est conseillée. Le noir total n’est pas obligatoire mais la luminosité de cet espace devra être adaptée. Des téléphones portables (pour la photo et la lampe torche) pourraient aussi être utilisés avec autorisations.
  3. Les prises de vues seront complétées par un travail de recherche sur l’ombre portée que l’élève souhaite obtenir, à base de dessin, en croquis. Cela permet de fluidifier l’accès à l’espace de prise de vue tout en faisant prendre conscience à l’élève de ses intentions et permettre une verbalisation écrite.
Les ressources pour réaliser l'activité

« Il n'y a pas de lumière sans ombre. »
Louis Aragon (1897-1982), J'abats mon jeu, 1959.

Pour apprendre

Comme son nom l’indique, le clair-obscur joue à la fois de l’ombre et de la lumière.

  • Le clair-obscur désigne en art, une manière particulière de jouer avec les ombres et les lumières qui sont très fortement contrastées pour rendre compte d’une atmosphère particulière.

Le clair-obscur et les émotions qu’il véhicule est fort éloigné de la tradition des peintres italiens de la renaissance. Ainsi, Léonard de Vinci (1452-1519) montrait une certaine réserve esthétique à l’usage excessif des contrastes : « Les peintres désapprouvent  au plus haut point la lumière trop brutalement divisée par des ombres. Pour parer à ce défaut, quand tu représentes des personnages en plein air, ne les montre pas sous le soleil, mais ingénie-toi à placer une certaine quantité de brume ou de nuage transparent entre les corps et le soleil, et ainsi [….] les contours des ombres ne discorderont pas avec les contours des clairs. » (Trattato della pittura, Codex Urbinas, fol. 40v.).

On attribue à Caravage (Michelangelo Merisi da Caravaggio 1571-1610), si ce n’est l’invention du clair-obscur, le recours quasi systhématique à cette technique en vue de produire des images d’une grande profondeur. Le Caravagisme est l’art du clair-obscur, réduisant la profondeur de champ afin de gagner en proximité avec le regardeur. L’œuvre ainsi travaillée exprime souvent une grande émotion tourmentée propre au baroque.

Pour pratiquer

Des questionnements pour problématiser

Le travail de l’ombre, de la lumière, et des contrastes générés par la recherche du clair-obscur peut être travaillé au travers de questionnements :

  • Comment faire naître une forme à partir d’ombres et de lumières ?
  • En quoi les contrastes peuvent-ils accentuer le caractère expressif d’un dessin ?
  • Dans quelle mesure la part de l’ombre est-elle nécessaire à la lisibilité d’une figure ?
  • Comment les élèves peuvent se servir de l’ombre pour modifier un élément/corps/image ?

Incitation et proposition pédagogique : Une forme naît dans l’ombre

Dans les programmes (cycle 4) :

Productions tirant parti des interrelations entre des médiums, des techniques, des processus variés à des fins expressives.

Dispositif

Partir d’un support noir, soit directement sur une feuille teintée, soit par un support préparé avec du fusain. Amener l’élève à construire une représentation, un dessin, à l’inverse de ce qu’il produit habituellement (dessin avec un outil sombre sur une surface blanche).

  • Outils de travail :
    • sur feuille noire : craie grasse blanche, craie sèche blanche, correcteur blanc (type stylo correcteur) ;
    • sur feuille préparée au fusain : gomme mie de pain, gomme taillée, véritable mie de pain.

Les productions, selon les recherches, peuvent être abstraites ou représenter des figures sortant de l’ombre. Le but étant de montrer des techniques et gestes artistiques singuliers dans une optique de réappropriation future.

Les ressources pour réaliser l'activité

« C'est toujours ce qui éclaire qui demeure dans l'ombre. »
Edgar Morin (1921-…), Le Paradigme perdu, La nature humaine, 1973.

Pour apprendre

  • Ombre : Diminution plus ou moins importante de l'intensité lumineuse dans une zone soustraite au rayonnement direct par l'interposition d'une masse opaque. (https://www.cnrtl.fr/definition/ombre)
  • Modelé : Rendu du relief, des formes, dans un dessin, une peinture, une sculpture. […] Tout le langage du sculpteur tient dans le modelé, c'est-à-dire dans l'art d'utiliser la profondeur, de varier, d'enchaîner, d'équilibrer ses plans, d'organiser ses masses d'ombres et ses masses éclairées (Gillet, Art fr.,1938, p.116) (https://www.cnrtl.fr/definition/modelé)
  • Dégradé : Passage d’une couleur à une autre ou d’une valeur à une autre (on parle alors de valeurs de gris). Les étapes sont plus ou moins brutes, rapides ou visibles dans cette progression en vue d’un caractère expressif ou réaliste. Le modelé quant à lui nécessitera des passages subtils pour privilégier la lisibilité de la forme.

Le dessin d’un volume passe par l’utilisation des ombres afin de modeler l’objet ou les sujets ainsi représentés. Elles permettent de donner un relief plus ou moins important en fonction de son degré d’intensité. Le sujet se trouve ainsi animé et empreint de réalisme.

Pour pratiquer

Questionnements pour problématiser

  • Comment le modelé permet de suggérer le volume ?
  • En quoi les valeurs permettent de générer profondeur et reliefs ?
  • De quelle manière travailler les ombres à des fins de composition expressive de l’image ?
  • Comment travailler la notion d’opposition par les valeurs ?

Incitation et proposition pédagogique : Opposer ses valeurs

Dans les programmes

La ressemblance : le rapport au réel et la valeur expressive de l’écart en art ; les images artistiques et leur rapport à la fiction, notamment la différence entre ressemblance et vraisemblance.

Dispositif

  1. Proposer ce texte d’Apollinaire comme incitation :

    Tour
    Au nord au sud
    Zénith nadir
    Et les grands cris de l’est
    L’Océan à l’ouest se gonfle
    La tour à la roue
    S’adresse
    Calligrammes, 1918

    Repérer les oppositions et faire une transposition didactique vers les arts plastiques sur les notions d’opposition, de contrastes, de valeurs…
  2. Proposer des images de type photographique ayant de forts contrastes et amener les élèves à se questionner sur le bouleversement visuel opéré dans la modification de ces zones de contrastes. Après avoir décalqué les formes principales et reportées celles-ci sur papier (ce travail fastidieux peut être réalisé par l’outil numérique car il ne constitue pas une étape de découverte plastique), l’élève aura à créer des dégradés de valeur (ou de couleur) nouveaux destinés à créer du contraste et des oppositions.
  3. Les travaux réalisés pourront donner lieu à une verbalisation écrite où le vocabulaire spécifique sera réemployé. La production pourra aussi être liée à un travail d’écriture littéraire.

Pour aller plus loin