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Extrait

Trois mille ans d’histoire

Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise

Dès la plus haute antiquité, à partir du milieu du IIe millénaire avant l’ère chrétienne, les tout premiers écrits témoignent des caractères originaux de la civilisation chinoise qui plonge ses racines dans le culte des ancêtres et dans le caractère divinatoire de l’écriture et de la rationalité. Avec le formidable pari sur l’homme lancé par Confucius se forge une éthique qui ne cessera plus de travailler la conscience chinoise. Sous les Royaumes Combattants (4e-3e siècle), le discours s’affine dans un extraordinaire brassage d’idées dû à la multiplication des courants de pensée. C’est pendant cette période que tout se joue et se dessine : les données de départ, les atouts, les enjeux, ainsi que les orientations à venir.

Avec l’unification de la Chine par le Premier Empereur Qin en 221 av. J.-C., le pluralisme des Royaumes Combattants marque le pas. L’effervescence intellectuelle qui avait précédé l’instauration de l’empire connaît une première forme de stabilisation sous les Han (206 av. J.-C.- 220 apr. J.-C.). En même temps que se mettent en place les institutions et les habitudes politiques qui vont caractériser dans ses grandes lignes le système impérial chinois pendant ses deux mille ans d’existence, se dessine une identité culturelle chinoise fondée sur un ensemble de notions communes et sur une pensée déjà formalisée.

C’est au moment où semble triompher la pax sinica que la pensée chinoise aborde une nouvelle ère où elle se trouve confrontée à son « dehors ». Après la chute de la dynastie Han au IIIe siècle et l’effondrement de toute sa vision du monde, l’espace politique chinois connaît une fragmentation qui favorisera la résurgence des courants philosophiques des Royaumes Combattants et l’implantation du bouddhisme venu de l’Inde. Tout en s’adaptant à la société et aux mœurs chinoises, cette forme de pensée à priori étrangère transformera en profondeur tout l’acquis culturel jusqu’à permettre la grande floraison des Tang.

À la mesure de l’ampleur de l’influence bouddhique est l’immense effort consenti à partir de la fin du Ier millénaire parla tradition lettrée des Song pour se repenser de fond en comble en fonction de la nouvelle donne. En réaction contre ce renouveau jugé trop livresque, la dynastie Ming est marquée au 15e-16e siècle par une redécouverte des vertus de l’introspection, laquelle suscite par contre-réaction un retour aux valeurs pratiques, accéléré par l’instauration de la dynastie mandchoue des Qing.

Au moment où elle a fini d’assimiler le bouddhisme, la pensée chinoise est confrontée à la tradition, encore plus étrangère, du christianisme et des sciences européennes, d’abord par le truchement des missionnaires, puis à travers les contacts qui se multiplient tout au long du 19e siècle jusqu’à tourner aux agressions de la part des puissances occidentales. Au seuil du 20e siècle, la Chine se trouve alors écartelée entre le poids écrasant de l’héritage du passé et l’exigence impérative de répondre au nouveau défi de l’Occident, compris comme celui même de la modernité. Le mouvement iconoclaste du 4 mai 1919 constituera la lisière symbolique de notre propos : le premier de cette ampleur à tourner résolument le dos à une tradition deux fois millénaire, il inaugure en effet une nouvelle ère, faite de contradictions et de conflits qui ne sont pas encore résolus.

Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise, collection « Points Essais », éditions du Seuil, 2002. 
Avec l’aimable autorisation de l’auteur et de l’éditeur

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