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Extrait

Harold à Waterloo

Byron, Le Pèlerinage de Childe-Harold, chant troisième, XVIII-XX, 1812-1818
La bataille de Waterloo, où se joua le destin de l'Europe, ne cesse de fasciner les romantiques. Bien que Britannique, et donc du côté des vainqueurs, le poète Byron se méfie des lauriers de la gloire, trop souvent souillés du sang des peuples.

Harold est au milieu de cette plaine immense
Couverte d’ossements ; — le tombeau de la France ;
Il est à Waterloo ! — Qu’il fallut peu d’instants
Pour changer l’univers !... Dans leurs jeux inconstants
Ainsi vont s’éclipsant la fortune et la gloire ! 
C’est ici que pressé, l’aigle de la victoire
Prit son dernier essor et fondit tout sanglant
Sur les peuples ligués contre son vol brûlant ;
Lorsque des nations qu’il foulait comme l’herbe
Soudain la flèche aiguë abat l’oiseau superbe !...
De ses ambitions les efforts furent vains.
Mais il traînait encor, pour finir ses destins,
De ses trônes conquis dépouille peu féconde,
Quelques anneaux brisés de la chaîne du monde !...

Juste retour ! la France , orgueil de l’univers,
Ronge aujourd’hui son frein, gémit dans ses revers ! 
Le monde est-il plus libre ? et, brisant un fantôme,
N’a-t-il donc combattu que pour vaincre un seul homme ?
Les peuples voulaient-ils, par pure vanité,
Apprendre aux rois vaincus leur souveraineté ?
Eh quo  ! voilé, mais dur, le honteux esclavage
Sera-t-il de nouveau l’idole de notre âge ?
Enfin, après avoir terrassé le lion,
Nous verra-t-on courbés en admiration
Devant la servitude et la splendeur des trônes ?
Non ; — attendons encor pour louer les couronnes.

Ainsi pourquoi vanter la chute d’un tyran
Lorsque les rois n’ont pas compris ce noble élan ?
C’est en vain que le deuil et des larmes brûlantes
Ont sillonné le front de nos mères tremblantes ;
C’est en vain que l’Europe a vu ses bataillons
Moissonnés par le glaive avec ses noirs sillons ;
C’est en vain que le sang a nourri la victoire ;
Les peuples délivrés ne chériront la gloire
Que lorsqu’avec le myrte ils verront couronné
Le fer d’Harmodius aux tyrans destiné.

Byron, Le Pèlerinage de Childe-Harold, tr. Guillaume Pauthier, Paris : A. Dupont, 1828, p. 120-121.
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