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Extrait

Isabelle Havelange, « Qu'est-ce qu'un auteur féminin pour la jeunesse entre 1750 et 1850 ? »

D’après « Les auteurs féminins », dans Le Magasin des enfants, la littérature pour la jeunesse (1750-1830), Bibliothèque Robert Desnos, Montreuil, 1988.

À côté des pionnières (madame Leprince de Beaumont, madame d’Epinay, madame de Genlis), s’alignent bientôt des femmes appartenant aux divers échelons de la bourgeoisie, allant de l’épouse de magistrat, d’officier, de professeur ou de « docteur de la Faculté de Paris », jusqu’à celle de simple maîtresse d’école ou d’artiste. Qui sont-elles, toutes les autres dont on ignore la position et qui choisissent de s’adresser aux filles ? On les imagine d’une honnête bourgeoisie au moins, assez instruites pour se préoccuper à leur tour d’éducation et assez dégagées des contraintes matérielles pour se livrer à la littérature, ou recherchant peut-être au contraire dans l’écriture une source de revenus. Les renseignements sur la profession de ces auteurs féminins, outre les travaux de plume, indiquent une activité liée en majorité au monde de l’éducation. Elles peuvent alors être : gouvernantes, institutrices ou maîtresses de pension.
Le titre de femme de lettres, reconnu naguère à quelques rares – et marginales – privilégiées est revendiqué par une population de plus en plus large et diversifiée. Souci réel du problème pédagogique plus que jamais à l’ordre du jour ou utilisation de cet alibi pour prendre la plume et sortir de l’anonymat ?
Préoccupation éducative ou ambition littéraire, l’écriture revêt pour certaines et, de manière avouée, une fonction lucrative. En 1795, le décret de la Convention concernant quelques gens de lettres octroie une pension à certaines d’entre elles, reconnaissant implicitement par là même, la possibilité pour une femme de vivre de son métier d’auteur.
Le métier de femme de lettres, cependant, reste sujet à suspicion : il ne fait pas partie de ces activités que bientôt les auteurs eux-mêmes recommandent aux jeunes filles en difficulté. La plupart d’entre eux, lorsqu’ils abordent la question, y voient trop de danger d’orgueil, trop de péril à sortir de la situation d’ombre où se doit de rester toute femme « convenable ». Parmi les détracteurs, se trouvent des hommes aussi bien que des femmes, malgré l’évidente ambiguïté, pour ces dernières, de cette prise de position. Ils sont quelques-uns seulement à encourager la carrière littéraire pour les femmes.
Au-delà de ce débat, la demande se fait de plus en plus pressante d’une littérature d’éducation à l’usage des filles. Auteurs masculins et féminins répondent à cet appel. Les auteurs féminins, malgré la pression sociale, se font de plus en plus nombreux, qu’il s’agisse d’institutrices, de gouvernantes ou simplement de mères de familles. Il semble bien s’agir d’un genre investi progressivement par l’écriture féminine. De 1820 à 1830, on compte 33 œuvres féminines écrites spécifiquement pour les demoiselles, contre 15 masculines seulement.

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