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Extrait

Le jardin de Jia Zheng

Cao Xueqin, Le Rêve dans le Pavillon rouge, 17e siècle

Ils poussèrent un cri d’admiration en entrant : juste en face d’eux s’élevait une “montagne” abrupte couverte de verdure qui leur cachait le reste. « Sans cette colline, fit remarquer Jia Zheng bien que ce fût une évidence, on verrai l’ensemble du jardin dès l’entrée et il n’y aurait plus de mystère. » En contemplant cette montagne en réduction, ils observèrent un grand nombre de grands rochers bleus aux formes variées et étranges qui s’élevaient en étage sur un des côtés, certains couchés, d’autres dressés ou plus ou moins inclinés ; leur surface était rayée et parsemée de mousse ou lichen, ou en partie dissimulée par des plantes grimpantes. À travers, ondulait un sentier étroit à peine discernable.
« Commençons notre promenade en suivant ce sentier », dit Jia Zhend. [...]
Ils passèrent par un tunnel formé de rochers dans une excroissance de la montagne et débouchèrent dans un ravin artificiel qui flamboyait grâce aux fleurs et feuillages de nombreuses variétés d’arbustes et plantes qui y poussaient. Un peu plus bas, où la végétation était la plus touffue, un ruisseau surgissait d’entre des pierres. Après avoir avancé de quelques pas vers le nord, ce ravin s’ouvrit sur une petite vallée au fond plat et le cours d’eau s’élargit pour former un étang. Sur les pentes, s’élevaient des pavillons aux décors joliment peints et sculptés dont la partie inférieure était cachée par des arbres, et dont le sommet se détachait sur le bleu du ciel. Parmi ce paysage, en-dessous d’eux, au milieu d’un pont qui enjambait l’eau, un petit pavillon avait été construit. Jia Zheng et ses amis y entèrent et s’y assirent. [...]
Ensuite ils passèrent de l’autre côté de l’étang et marchèrent un moment en s’arrêtant pour admirer différents rochers, fleurs et arbres sur leur chemin. Puis ils se trouvèrent soudain au pied d’un mur blanc qui protégeait une petite retraite presque cachée par des centaines de bambous verts formant un bosquet dense. Ils pénétrèrent en criant des louanges. Une allée couverte suivait le mur depuis l’entrée jusqu’à l’autre extrémité de cette retraite et un sentier en cailloux menait à l’escalier d’une terrasse. Il y avait au fond une petite maison dont les fenêtres s’ouvraient sur les trois de ses côtés. Les tables, sièges et divans qui la meublaient avoir été conçus spécialement pour cet intérieur. Dans le mur aveugle, une porte donnait derrière sur un jardin où un pêcher en fleurs dominait des plantains et que l’on pouvait aussi voir deux de loggias construites à l’arrière de la maison. Un cours d’eau, large d’à peine un pied, surgissait d’une ouverture au bas du mur d’enceinte, voulait au pied de la terrasse à l’arrière, puis le long d’un des côtés de la maison pour serpenter à travers les bambous dans la cour devant, puis disparaître à travers une autre ouverture dans le mur d’enceinte.
« Ce doit être un endroit agréable à tout moment, dit Jia Zheng en souriant. Imaginez-vous ici en train d’étudier près d’une fenêtre au clair de lune ! Voici un des plaisirs qui font que la vie mérite d’être vécue. » [...]
En avançant plus loin tout en bavardant, ils furent arrêtés par une colline à la pente abrupte, qu’ils se mirent à gravir. À moitié caché à mi-hauteur sur l’autre versant, un mur brun surmonté de chaume abritait plusieurs centaines d’abricotiers, dont le sommet en fleurs ressemblait à des nuages roses surgissant d’un volcan de fleurs. Au milieu, il y avait un petit groupe de maisonnettes au toit de chaume. De l’autre côté du mur, une haie irrégulière avait été formée en mêlant et pliant les tiges de mûriers, ormes, hibiscus et épineux, et on la franchissait par une barrière au milieu. Après cette haie, avait été creusé un puits avec sa margelle et un treuil ; puis au-delà, descendant vers le pied de la colline, avait été aménagé un petit potager avec des rangées de légumes et de fleurs.
« Ah ! voici un endroit qui a une utilité, dit Jia Zheng avec un sourire satisfait. Il a beau être le résultat d’un artifice humain, sa vue n’en reste pas moins touchante. Il éveille en moi le désir du retour à la terre, de la simplicité d’une vie campagnarde. Entrons et reposons-nous un instant. »

Cao Xueqin, Le Rêve dans le Pavillon rouge, 17e siècle, cité par Jacques Pimpaneau, Dans un jardin en Chine, Picquier, 2000
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