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Extrait

La laïcité, un principe directeur de l'éducation selon Condorcet

Condorcet, L'organisation générale de l'instruction publique, 1792
Engagé dans la Révolution dès ses débuts, siégeant comme député de l'Aisne à la Convention, Condorcet propose les 20 et 21 avril 1792 un plan d'organisation de l'instruction publique. S'appuyant sur les principes des Lumières et sur une première ébauche de système publiée l'année précédente (Sur l'Instruction publique, 1791), il plaide pour une séparation des enseignements religieux et moraux. Engagée dans la guerre, la toute jeune République ne prête que peu d'intérêt à ce plan d'instruction, auquel Robespierre préfère l'année suivante celui de Lepeletier de Saint-Fargeau.

Messieurs,

Offrir à tous les individus de l’espèce humaine les moyens de pourvoir à leurs besoins, d’assurer leur bien-être, de connaître et d’exercer leurs droits, d’entendre et de remplir leurs devoirs ; assurer à chacun d’eux la facilité de perfectionner son industrie, de se rendre capable des fonctions sociales auxquelles il a droit d’être appelé, de développer toute l’étendue des talents qu’il a reçus de la nature, et par là, établir entre les citoyens une égalité de fait, et rendre réelle l’égalité politique reconnue par la loi. Tel doit être le premier but d’une instruction nationale ; et, sous ce point de vue, elle est pour la puissance publique un devoir de justice. […]

Nous avons pensé que, dans ce plan d’organisation générale, notre premier soin devait être de rendre, d’un côté, l’éducation aussi égale, aussi universelle ; de l’autre, aussi complète que les circonstances pouvaient le permettre, qu’il fallait donner à tous également l’instruction qu’il est possible d’étendre sur tous ; mais ne refuser à aucune portion de citoyens l’instruction plus élevée, qu’il est impossible de faire partager à la masse entière des individus ; établir l’une, parce qu’elle est utile à ceux qui la reçoivent ; et l’autre, parce qu’elle l’est à ceux même qui ne la reçoivent pas. […]

Les principes de la morale enseignés dans les écoles et dans les instituts, seront ceux qui, fondés sur nos sentiments naturels et sur la raison, appartiennent également à tous les hommes. La Constitution, en reconnaissant le droit qu’a chaque individu de choisir son culte, en établissant une entière égalité entre tous les habitants de la France, ne permet point d’admettre, dans l’instruction publique, un enseignement qui, en repoussant les enfants d’une partie des citoyens, détruirait l’égalité des avantages sociaux, et donnerait à des dogmes particuliers un avantage contraire à la liberté des opinions. Il était donc rigoureusement nécessaire de séparer de la morale les principes de toute religion particulière, et de n’admettre dans l’instruction publique l’enseignement d’aucun culte religieux. Chacun d’eux doit être enseigné dans les temples par ses propres ministres. Les parents, quelle que soit leur opinion sur la nécessité de telle ou telle religion, pourront alors sans répugnance envoyer leurs enfants dans les établissements nationaux ; et la puissance publique n’aura point usurpé sur les droits de la conscience, sous prétexte de l’éclairer et de la conduire. D’ailleurs, combien n’est-il pas important de fonder la morale sur les seuls principes de la raison ! Quelque changement que subissent les opinions d’un homme dans le cours de sa vie, les principes établis sur cette base resteront toujours également vrais, ils seront toujours invariables comme elle ; il les opposera aux tentatives que l’on pourrait faire pour égarer sa conscience ; elle conservera son indépendance et sa rectitude, et on ne verra plus ce spectacle si affligeant d’hommes qui s’imaginent remplir leurs devoirs en violant les droits les plus sacrés, et obéir à Dieu en trahissant leur patrie. Ceux qui croient encore à la nécessité d’appuyer la morale sur une religion particulière, doivent eux-mêmes approuver cette séparation : car, sans doute, ce n’est pas la vérité des principes de la morale qu’ils font dépendre de leurs dogmes ; ils pensent seulement que les hommes y trouvent des motifs plus puissants d’être justes ; et ces motifs n’acquerront-ils pas une force plus grande sur tout esprit capable de réfléchir, s’ils ne sont employés qu’à fortifier ce que la raison et le sentiment intérieur ont déjà commandé ? Dira-t-on que l’idée de cette séparation s’élève trop au-dessus des lumières actuelles du peuple ?

Non, sans doute ; car, puisqu’il s’agit ici d’instruction publique, tolérer une erreur, ce serait s’en rendre complice ; ne pas consacrer hautement la vérité, ce serait la trahir. Et quand bien même il serait vrai que des ménagements politiques dussent encore, pendant quelque temps, souiller les lois d’une nation libre ; quand cette doctrine insidieuse ou faible trouverait une excuse dans cette stupidité, qu’on se plaît à supposer dans le peuple pour avoir un prétexte de le tromper ou de l’opprimer ; du moins, l’instruction qui doit amener le temps où ces ménagements seront inutiles, ne peut appartenir qu’à la vérité seule, et doit lui appartenir tout entière.

Condorcet, L'organisation générale de l'instruction publique, 20-21 avril 1792
Texte entier sur le site de l'Assemblée nationale : https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/grands-discours-parlementaires/condorcet-20-et-21-avril-1792
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