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Extrait

Ma cabane de chaume sur le mont Lu

Bo Juyi, Lu-shan cao-tang-ji, 9e siècle

Le paysage est merveilleux, le plus beaux des monts Lushan. En 816, à l’automne, moi qui suis originaire de Taiyuan, j’ai été ravi en le voyant. Ce fut comme si je retrouvais mon pays natal et ne pouvait plus m’en arracher. C’est pourquoi face à ce mont, contre ce monastère, j’ai bâti une chaumière, qui fut achevée au printemps suivant. Elle comprend trois pièces séparées par trois alignements de piliers : j’ai donc deux chambres latérales ; la façade est percée de quatre fenêtres. Sa grandeur correspond à mes goûts et à mes moyens. Une porte qui s’ouvre au nord laisse entrer le vent frais de l’été. L’auvent sur le sud est relevé pour que pénètre le soleil contre le froid en hiver. Les parties en bois sont laissées à l’état brut sans être peintes de laque rouge, et les murs sont simplement en terre, sans enduit de chaux. Le soubassement en terrasse est en pierre, et du papier est collé aux fenêtres. Les stores en bambou et les rideaux de chanvre sont en harmonie avec le reste de la maison. À l’intérieur, il y a quatre lits en bois, deux paravents non décorés, une cithare et deux ou trois livres sur chacune des pensées confucéenne, taoïste et bouddhiste.
Quand j’occupe cette maison, que je lève la tête et je vois des montagnes ; que je la baisse et j’entends des sources ; sur le côté, j’aperçois des bambous, des arbres, des nuages blancs, des rochers. Le paysage change sans cesse du matin au soir. Très vite mon esprit est absorbé par ce qui m’environne ; je me sens physiquement bien et mon cœur se calme. Après une nuit de sommeil, mon corps est en forme ; deux nuits, et mon cœur est en paix. Que j’y passe trois nuits, et toute ma personne se sent si bien que je perds conscience de tout, sans que je comprenne pourquoi il en est ainsi. Et lorsque je me le demande, je me réponds : C’est, devant cette chaumière, le terrain plat de cent pieds de côté avec, au milieu, cette terrasse qui en occupe la moitié ; c’est, au sud, ce bassin carré qui fait le double de la terrasse et qui est entouré de bambous de montagne, de plantes sauvages, avec, au centre, des nénuphars blancs et des poissons, blancs eux aussi. Si l’on s’avance un peu plus au sud, c’est cette gorge enserrée entre de vieux pins et cyprès qui sont si énormes qu’il faudrait dix hommes pour les entourer, qui ont je ne sais combien de centaines de pieds de haut. Leurs troncs caressent les nuages et, en même temps, leurs branches retombent jusqu’à la surface de l’eau.


Bo Juyi (772-846), Lu-shan cao-tang-ji, cité par Jacques Pimpaneau, Dans un jardin en Chine, Picquier, 2000
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